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Jamais, sur un laps de temps aussi réduit, un pays n'a autant attiré de djihadistes français. «En Afghanistan et en Bosnie, ils n'étaient pas aussi nombreux», rappelle le juge antiterroriste Marc Trévidic. Et le phénomène ne touche pas seulement la France. Des centaines de jeunes Européens se battent en Syrie aux côtés des musulmans radicaux, a récemment mis en garde la présidente de l'agence européenne Eurojust, Michèle Coninsx.
Mais contrairement aux précédents djihads, le «combat sacré» en Syrie est très particulier. S'y rendre est tout d'abord beaucoup plus aisé qu'atteindre l'Irak, le Yémen ou le lointain Afghanistan. Nul besoin de visa pour atterrir en Turquie ; d'Istanbul, la route est facile pour rejoindre un camp près de la frontière syrienne, où des contacts peuvent être pris avec l'intérieur. «Et personne ne les empêche de franchir la frontière», ajoute Marc Trévidic, qui parle d'un «djihad autorisé» face au «massacreur en chef» (Bachar el-Assad, NDLR), selon l'expression de Laurent Fabius, le chef de la diplomatie française.
En deux ans de répression, l'armée syrienne et ses milices ont en effet multiplié les massacres contre leurs opposants. Difficile dans ces conditions de demander aux autorités turques, en pointe elles aussi pour faire tomber Assad, de freiner les djihadistes? «Nous sommes dans une ambiguïté totale», reconnaît un expert antiterroriste. Et cette ambiguïté est renforcée par le caractère inorganisé des démarches djihadistes. En Bosnie, les jeunes Français du réseau de Roubaix, par exemple, ralliaient le «bataillon des moudjahidin» de Zenica, point de passage obligé des apprentis djihadistes. En Irak également, la branche locale d'al-Qaida les prenait souvent en charge à leur entrée sur le territoire. «En Syrie, rien n'est clair», souligne le juge Trévidic.
Dangereux à leur retour
À l'image du salafiste marseillais Djamel Amer al-Khedoud, aujourd'hui dans une geôle damascène, la plupart des djihadistes français ne savent pas avec quel groupe ils vont combattre en arrivant sur place. D'autres, avant de partir, sont arrêtés par la police, ignorant également tout de leurs «frères d'armes» sur place. D'autres encore ont été appréhendés à leur retour en France, avant d'être relâchés. «C'est très compliqué de qualifier leur aventure de terroriste», reconnaît le juge Trévidic.
Leur amateurisme ne doit pas masquer le fait, cependant, que tous seront potentiellement dangereux quand ils rentreront en France, après s'être aguerris au combat face à une armée régulière. «Ne nous trompons pas, renchérit l'expert antiterroriste, une bonne partie de ces candidats au djihad vont en Syrie dans l'espoir d'établir un État islamique radical.» Et même si certains d'entre eux combattent aujourd'hui au sein de groupes salafistes syriens non liés à al-Qaida, «le terrorisme commencera quand le régime tombera», prévient Marc Trévidic. Les combats fratricides se multiplieront entre djihadistes et ceux qui voudront éviter un basculement dans l'obscurantisme.
«On se bat pour faire tomber Bachar, mais aussi pour établir ensuite un vrai État islamiste, insiste le franco-belge Abdel Rahman Ayachi. Mais rassurez-vous, je ne rentrerai plus en France ou en Belgique», nous disait-il récemment depuis son repaire d'Idlib, au nord-ouest de la Syrie.