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Mais malgré cette annonce, le président de la Convention des rabbins européens, Pinhas Goldschmidt, a eu des mots très durs, le jour même, pour la décision de la Diète : « C’est très bien d’ériger des musées relatant l’histoire des Juifs de Pologne et des festivals sur la culture juive polonaise, mais pourquoi alors rendre plus difficile encore la vie des quelques derniers Juifs qui vivent encore dans ce qui est le plus grand cimetière juif d’Europe » a lancé le grand rabbin Goldschmidt, à Bruxelles. Ce faisant, Pinhas Goldschmidt s’est fait l’écho de la double colère des communautés juives européennes : d’abord parce que la Pologne qui a vu sa communauté juive (3.500.000 âmes avant la Shoah) disparaitre à 90% dans les crématoires durant la Shoah, n’aurait jamais dû s’en prendre ainsi aux quelques 10.000 Juifs descendants des rescapés qui y vivent encore. Pour certains dirigeants juifs, cela tient du blasphème. Selon d’autres, c’est là l’expression d’un antisémitisme resté toujours vivace dans ce pays devenu presque« judenrein » (purifié de Juifs).
Mais la colère du grand rabbin Goldschmidt masque, surtout, une très vive inquiétude exprimée déjà au cours des dernières années par d’autres dirigeants juifs européens. Celle de voir l’abattage rituel progressivement interdit sur le Vieux Continent. Pour comprendre les tenants et les aboutissements de ce dossier complexe, plusieurs précisions s’imposent : selon les autorités rabbiniques orthodoxes, l’abattage rituel juif, la ché’hita, a été conçue pour que la bête souffre le moins possible. L’abatteur rituel, le cho’het, doit sectionner rapidement à l’aide d’un couteau à la lame très tranchante, l'œsophage et la trachée de l'animal afin de réduire au maximum les instants de souffrance de la bête. Toutefois, selon la tradition juive, la bête doit impérativement être consciente au moment de l’abattage, ce qui interdit, pour les rabbins, la pratique en vigueur actuellement dans les abattoirs européens, de l’étourdissement préalable de la bête.
Par contre, toujours selon ces rabbins, au moment de l’incision de la trachée, la bête perd immédiatement conscience et ne ressent plus rien, rendant cette pratique moins cruelle que celle de l’étourdissement. Mais ce n’est pas là l’avis d’experts européens qui prétendent que l’abattage rituel juif est cruel et représente une violation des droits des animaux. Au fil des ans, ces avis ont conduit certains pays comme la Norvège, la Suède et la Suisse à interdire cet abattage sur leur sol, obligeant leurs communautés juives à se fournir en viande casher à l’étranger. Aujourd’hui, la loi européenne impose l’étourdissement préalable de la bête avant l’abattage, mais prévoit des exceptions « au nom de la pratique religieuse » pour les abattages rituels juif et musulman, ce qui permet la production réglementée de viande casher ou halal, mais laisse également à tout pays européen le choix d’adopter une législation plus rigoureuse.
Et justement : au cours des dernières années, les dirigeants juifs européens ont vu des brèches se former dans différents pays autour de l’abattage rituel. À l’initiative d’élus, plusieurs projets visant à interdire la ché’hita ont été déposés, comme par exemple, en Hollande. Et il y a quelques jours à peine, une commission du Sénat français présidée par la sénatrice UDI Sylvie Goy-Chavent a débattu du dossier de l’abattage rituel sans étourdissement préalable, obligeant le président des Consistoires Joël Mergui et le grand rabbin (et vétérinaire) Bruno Fiszon à venir plaider en faveur de la ché’hita, sans obtenir gain de cause. Or ces dirigeants communautaires craignent que ce genre d’initiatives fasse boule de neige et parvienne à mobiliser une coalition d’élus contre l’abattage rituel. Si les autorités polonaises devaient persister dans leur décision d’interdire l’abattage rituel, ce serait là un dangereux précédent sur la voie d’une remise en cause de l’abattage rituel en Europe et pourrait poser, de manière aigüe, la question d’un maintien d’importantes communautés juives sur le Vieux Continent. En effet, l’alimentation casher est l’un des fondamentaux de la vie juive. Or l’absence d’abattage rituel affectera la qualité de vie de nombreux Juifs pratiquants qui pourraient alors envisager d’émigrer sous d’autres cieux, en Israël, mais aussi aux États-Unis ou au Canada. Récemment un responsable de la communauté juive de France a mis en garde contre un tel scénario : « Il ne faudrait pas que les Juifs de France quittent leur pays parce qu’ils ne peuvent plus y manger casher » avait-il dit.
Daniel Haïk est journaliste et écrivain, consultant sur la société israélienne pour i24news