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Le scrutin d'abord : après l'épuration de la liste des candidats, allant jusqu'à celle d'un ancien Président de la "République islamique", par ailleurs objet d'un mandat d'arrêt international délivré par Interpol, après la réduction à quatre du chiffre des "nominés", dont aucun ne s'inscrivait dans la "ligne" du Président sortant, Mahmoud Ahmadinejad, après la qualification absurde des impétrants entre conservateurs "durs" et "modérés", alors que tous sont issus du même moule khoneiniste et que leurs titres à la rigueur inflexible du régime sont équivalents, après tous ces avatars d'une élection ordinaire en dictature, sont intervenues des manipulations révélatrices de l'état de décomposition de la théocratie.
Étant donné que le ministère de l'Intérieur est tenu par un partisan d'Ahmadinejad, le résultat ne pouvait être contesté dans l'ordre qu'il donnait des candidats. En revanche, il importait de ne pas aller à un second tour, compte tenu du précédent de 2009 et des troubles qu'il avait suscités. Il fallait aussi donner au monde l'impression d'une vraie consultation populaire, ayant mobilisé les foules. Telle était la mission impartie au million de séides stipendiés du régime sous des formes et des appellations diverses : adjonction d'un autre scrutin, municipal celui-ci, au présidentiel, affluence de miliciens dans les bureaux de vote comme naguère chez nous, des inspecteurs des R.G. à une fameuse réunion électorale, regroupement de bureaux de vote afin d'en élargir la fréquentation, et pour couronner le tout, multiplication des chiffres obtenus par quatre ou cinq dans les "salles de regroupement des voix", doux euphémisme pour désigner les bureaux de trucage électoral.
De la sorte, après avoir eu le culot d'annoncer dès la veille du scrutin les chiffres de participation, les autorités ont pu proclamer élu dès le premier tour un candidat qui n'avait même pas obtenu le fatidique quart des électeurs inscrits que requiert une élection à la majorité absolue. Qu'importe puisque les médias occidentaux ont avalé la supercherie, comme un brochet affamé gobe l'appât et l'hameçon.
Le nouveau Président ensuite. La personnalité du mollah Hassan Rohani ne diffère en rien de celle de ses prédécesseurs. Il suffit de consulter sa biographie pour s'en convaincre. Ancien proche de l'ayatollah Khomeiny, il présente le profil d'un spécialiste des questions militaires, avec l'exercice des fonctions de secrétaire du Conseil supérieur de la sécurité nationale pendant seize ans, de 1989 à 2005, fonctions qu'il cumulait avec celles de conseiller à la sécurité nationale du Président, de membre du Conseil supérieur de la défense, de commandant en chef de la défense aérienne, de président du Conseil supérieur de la logistique de guerre et, pour couronner le tout, de Président de la commission de la défense nationale. Ce qui ne donne pas précisément l'image d'un grand pacifiste qui serait résolu à stopper la marche de l'Iran vers la possession de l'arme nucléaire, s'il en avait le pouvoir. Hassan Rohani a encore récemment déclaré qu'il avait trompé la troïka européenne à ce sujet afin de permettre la poursuite du programme atomique et ses déclarations d'allégeance au Guide suprême ne laissent place à aucune ambigüité quant à sa loyauté envers les caciques du régime. Parler, dans ces conditions, d'une "cohabitation" entre le Guide et le Président témoigne d'une méconnaissance certaine de la logique institutionnelle de l'Iran religieux.
Sans instruire un procès de (mauvaises) intentions à l'encontre du nouveau Président, il convient donc de ne pas oublier aussi vite les antécédents de ce religieux. Pourrait-il avoir changé et s'être converti à une relative modération ? Pourrait-il infléchir la ligne doctrinale de la République islamique au point de supporter que s'exprime une opposition politique au principe même d'une théocratie ? Pourrait-il donner des preuves de l'arrêt du programme nucléaire et abandonner le soutien à la Syrie de Bachar el Assad ? Comme le souligne Jérusalem, il faut certes attendre les actes plutôt que les discours de cet homme qui nous a déjà floués.
Mais alors, ces élections sont-elles un coup pour rien ? Ce serait faire bon marché de la volonté populaire de changement que ces élections ont fourni l'occasion de découvrir. Indiscutablement , tous les analystes s'accordent sur ce point, l'Iran vit une véritable et inexorable conversion des esprits à un changement de régime, à l'abandon du Velayate Faqih, la primauté du jurisprudent religieux, au retour des libertés. L'adhésion à une constitution (celle de l'ayatollah Khomeiny) qui falsifiait l'élan libérateur de 1979, longtemps nié contre toute évidence par ceux qui avaient confisqué la volonté démocratique, n'est certes plus depuis longtemps et une certaine opposition, celle qui a multiplié les gestes pendant la campagne électorale, et qui s'exprime clairement en faveur d'une démocratie pluraliste et tolérante, en a durement payé le prix.
Aujourd'hui, même les contempteurs de ce système archaïque en demandent l'amodiation. Aujourd'hui, même les caciques du régime, Rafsandjani en tête, s'en désolidarisent. S'ils le font, ce n'est pas par bonté d'âme ni en vertu d'une improbable grâce, mais plus simplement parce qu'ils mesurent la profondeur et la largeur du fossé qui les séparent de la société civile et des forces actives de ce grand pays. Leur "réalisme" les conduit sur le chemin de l'apaisement que le Guide n'empruntera jamais. Mais il sort affaibli de l'épreuve. Il s'est résigné à la victoire approximative de Rohani parce qu'il tient toujours les rênes du lourd char de l'État. Mais l'essieu en est fendu et ne tardera guère à se briser.