Tribune
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Publié le 10 Janvier 2014

Quelles sanctions pour une « quenelle » ?

Par François Béguin 

 

Deux élèves ont été exclus jeudi 9 janvier du lycée Rosa-Parks de Montgeron (Essonne), pour la photographie d'une « quenelle » réalisée à l'intérieur de leur établissement, après une plainte pour apologie de crime contre l'humanité déposée par un enseignant qui les a brièvement conduits en garde à vue. Réaliser une « quenelle », le « salut » popularisé par Dieudonné M'bala M'bala, ou diffuser ce geste par une photo est-il punissable par la loi ? Un geste sans parole, ni écrit, suffit-il à rendre son auteur coupable d'un acte antisémite ? 

La multiplication des photos de « quenelle »

Depuis plusieurs mois, la presse régionale se fait régulièrement l'écho de scandales, à l'échelle locale, après la diffusion de photos sur les réseaux sociaux d'individus prenant cette pose sur leur lieu de travail, d'étude ou de loisirs. Les sanctions apportées vont alors généralement du simple avertissement à la mise à pied, voire au licenciement.

 

Un éducateur de Seine-et-Marne a été licencié pour avoir posé pour une photo en faisant une « quenelle » en présence d'enfants. Deux militaires pris en photo faisant une « quenelle » devant une synagogue rue de Montevideo dans le 16e arrondissement de Paris ont été sanctionnés en septembre 2013. Quatre serveurs d'une boîte de nuit lyonnaise ont été mis à pied en décembre pour le même motif. Fin décembre, le PDG de la Compagnie des Alpes, société propriétaire du Parc Astérix, a condamné « avec la plus extrême fermeté », les photos montrant deux visiteurs, et apparemment deux employés du parc, faisant ce geste en costumes d'Astérix et Obélix. Le parquet de Toulouse a ouvert le 13 décembre 2013 une enquête après la diffusion sur Internet d'une photo d'un individu faisant une « quenelle » devant l'école juive où Mohamed Merah a assassiné un enseignant et trois enfants juifs.

 

Que prévoit le Code du travail ?

« Si la “quenelle” est perçue comme quelque chose d'ambivalent et déplacé, l'employeur peut agir », explique Marie Mercat-Bruns, maître de conférences en droit privé à la chaire de droit social du Conservatoire national des arts et métiers et à Sciences Po. Si la photo a été diffusée, on peut comprendre qu'il y ait un préjudice pour l'entreprise, notamment en terme d'image. »

 

Une sanction sera cependant proportionnelle à l'impact de la photo, à la notoriété de l'entreprise et au type de poste exercé. « Un salarié qui travaille dans les archives d'une PME expose moins son entreprise, souligne Marie Mercat-Bruns. Il y a une marge d'autonomie du salarié. Comment peut-il faire usage de sa liberté d'expression ? » 

 

Que prévoit la loi ?

Le droit français dispose de tout un arsenal pour réprimer la provocation à la discrimination, à la haine, à l'injure ou à la violence raciale ou religieuse, notamment les articles 23 et 24 de la loi de 1881. Ces deux articles prévoient théoriquement une peine d'emprisonnement d'un an et jusqu'à 45 000 euros d'amende.

L'article R. 645-1 du Code pénal prévoit également une amende de 1 500 euros pour  « le port ou exhibition d'uniformes, insignes ou emblèmes rappelant ceux des responsables de crimes contre l'humanité ».

 

Mais en l'absence de parole ou d'écrit, le juge doit démontrer que la « quenelle » est bien un geste antisémite, et pas un simple geste « antisystème ».

 

Démontrer l'intentionnalité

« Un délit pénal est constitué lorsqu'il y a une infraction matérielle et l'intention de commettre ce délit, rappelle l'avocate Agnès Tricoire, déléguée de la ligue française des droits de l'homme. Si ces deux choses ne sont pas réunies, le tribunal ne peut pas entrer en voie de condamnation. »

 

« Il faut que le juge montre que l'auteur du geste était conscient de la portée de celui-ci », abonde Thomas Hochmann, maitre de conférence à l'université de Reims et auteur de "Le négationnisme face aux limites de la liberté d'expression" (Editions A. Pedone, 2013).

 

Mis en cause, les auteurs de « quenelle » plaident généralement la bonne foi, affirment en ignorer la  signification religieuse ou politique, et ne revendiquent bien souvent qu'un « bras d'honneur au système ». « Je l'ai fait, c'était juste pour m'amuser et je ne voulais pas le faire contre qui que ce soit, en fait. On m'a dit que j'avais fait un geste antisémite, mais, moi, ce n’était pas pour ça que je voulais le faire. On voulait le faire contre la société en fait », a déclaré le 7 janvier à France Culture l'un des deux lycéens incriminés à Montgeron.

 

Pour Sacha Reingewirtz, nouveau président de l'Union des étudiants juifs de France (UEJF), la « quenelle » est clairement devenue « un signe de ralliement ». « Si on regarde n'importe quelle vidéo de Dieudonné, il n'y a aucune ambiguïté  », estime-t-il. « Il faut distinguer la “quenelle” d'avant médiatisation et celle d'après médiatisation, souligne Thomas Hochmann. Aujourd'hui, il est difficile d'ignorer à quoi renvoie ce geste »… Lire la suite.