Tribune
|
Publié le 28 Mai 2014

Réarmons la sagesse

Par Perrine Simon-Nahum, Directrice de recherches au CNRS, publié dans le Monde le 27 mai 2014

La victoire du Front national nous aura au moins appris une chose : nous ne pouvons plus confier à la politique l'avenir de la démocratie. Il ne s'agit pas ici de faire le procès des dirigeants, de droite comme de gauche, pour n'avoir pas su s'opposer à la « résistible ascension » de Marine Le Pen, même s'il y aurait beaucoup à dire sur les ravages provoqués ici par un aveuglement idéologique, là par les démangeaisons d'un populisme ravageur, et partout par le sacrifice de nos valeurs aux appétits personnels.

Il s'agit de reconnaître que le niveau du débat auquel nous nous plaçons depuis maintenant deux décennies n'est pas le bon. Il ne s'agit plus de défendre telle ou telle mesure économique ou sociale, mais les valeurs sur lesquelles reposent nos institutions. Les mots sont abstraits, ils font référence à des idées et on ne s'en excusera pas.

Car il est temps de prendre la mesure de l'enjeu. Les arguments politiques ou économiques, aussi pointus et justes soient-ils, sont impuissants à atteindre leur cible. Car c'est ainsi qu'il faut comprendre la rupture majeure accomplie par Marine Le Pen avec ce que représentait le Front national de Jean-Marie Le Pen. Ce que le Front Bleu Marine vient de conquérir en deux ans sous nos yeux c'est une légitimité à exister dans le jeu démocratique.

L'Etat n'est plus le rempart du droit

Ce à quoi sa Présidente s'attaque en réalité directement, ce sont les principes de légalité qui sont à la base de notre démocratie. Derrière le dévoiement des mots, – les mêmes mots sont employés qui recouvrent un sens opposé – c'est en effet au cœur de la démocratie que frappent Marine Le Pen et ses lieutenants.

Le peuple qu'ils appellent de leurs voeux, la France dont ils prétendent restaurer la place ne sont pas ceux auxquels s'adressent les démocrates. Un nouveau peuple voit le jour, protecteur de ses intérêts. L'Etat n'est plus le rempart du droit, mais celui que les institutions érigent en citadelle coupée de son environnement. Soit, nous diront leurs partisans.

Mais dès lors que la force s'érige en critère ultime d'une politique qui considère l'homme mauvais par essence, l'argument peut leur être retourné. Qu'invoqueront-ils un jour pour leur propre défense, lorsque l'individu, le citoyen, la communauté renverront uniquement à la victoire du plus fort ?

C'est déjà ce que tentait d'expliquer Raymond Aron lorsqu'en 1938 il affrontait lors de sa soutenance de thèse ceux de ses professeurs qui, alors que s'accumulaient les nuages du Reich, proclamaient leur confiance dans la victoire envers et contre tout de la Raison démocratique… Lire la suite.