Tribune
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Publié le 5 Juin 2013

Révélations sur les armes chimiques en Syrie : et après ?

Par Céline Lussato

 

Paris affirme avoir la preuve de l'utilisation par le régime de Bachar al-Assad. La "ligne rouge" semble franchie. Quelles peuvent être les conséquences ?

 

Le ministre des Affaires étrangères français Laurent Fabius l'a confirmé mardi soir sur France 2 : la France a la preuve formelle que le régime de Bachar al-Assad a bel et bien, au moins en une occasion, utilisé du sarin, une arme chimique, sur sa population lors de la répression de l’insurrection qui a gagné le pays ces deux dernières années.

La France a en effet procédé à l'examen de deux séries d'échantillons. Ceux ramenés par les journalistes du "Monde", et d'autres, dont le ministre assure que les services français ont pu remonter la chaîne jusqu'à l'origine des tirs : l'armée régulière syrienne.

 

Damas possède en effet des stocks de différentes armes chimiques et biologiques, notamment le neurotoxique évoqué par le ministre : le sarin.

 

Depuis plusieurs mois, les Occidentaux évoquaient à propos de l'utilisation d'armes chimiques une "ligne rouge" que le régime ne devait pas franchir sous peine d'une possible intervention. Quelles peuvent donc être les conséquences des affirmations françaises ?

 

Laurent Fabius l'a dit, elles peuvent être "de toutes sortes" : depuis "ne pas réagir" à "réagir de façon armée, là où est stocké le gaz". "Mais nous n'en sommes pas là", a ajouté le ministre concernant la seconde option.

 

Et pour cause, une action armée ne peut être organisée qu'en fonction du droit international. Et Paris n'a donné, d'ailleurs, mardi 4 juin 2013, aucun signe ne pouvant faire comprendre qu'il souhaiterait s'éloigner de cette voie.

 

Quelles vont donc être, a priori, les prochaines étapes ?

 

Laurent Fabius a donc remis ce mardi au professeur Ake Sellström, chef de la mission d’enquête de l'ONU chargée d’établir les faits sur les allégations d’emplois d’armes chimiques en Syrie, les résultats d'analyses identifiant les gaz toxiques de guerre évoqués. Une mission qui ne peut effectuer son travail puisque le régime syrien n'a pas donné l'autorisation aux enquêteurs de pénétrer sur son territoire malgré les appels pressants de Ban Ki-moon. En effet, Damas avait fait savoir qu'il serait seulement permis aux enquêteurs de se rendre dans la localité de Khan al-Assal, où le régime accuse les insurgés d'avoir utilisé une arme chimique.

 

Ban Ki-moon, aux vues des résultats d'analyses français, devrait donc, une nouvelle fois, demander instamment à Bachar al-Assad d'autoriser le déroulement de l'enquête sans délai et sans condition.

 

En cas d'accord de la part du régime, l'équipe du scientifique suédois serait prête à se déployer dans un délai de 24 à 48 heures suivant le feu vert de Damas.

 

Mais un tel accord reste peu probable pour le moment.

 

Conseil de sécurité

 

Dans ce cas, la France, qui réitérait encore mardi par la voix du porte-parole du ministère des Affaires étrangères que la preuve irréfutable de l'utilisation d'armes chimiques en Syrie ne pourrait rester sans conséquence, pourrait proposer l'adoption par le Conseil de sécurité d'une résolution exigeant de Damas qu'il autorise les enquêteurs à entrer en Syrie. Une résolution qui pourrait, comme le proposait également mardi la commission d'enquête sur les droits de l'Homme, saisir le procureur de la Cour pénale internationale afin que les crimes commis en Syrie, qu'ils concernent les armes chimiques ou non, ne "restent pas impunis".

 

Mais pour qu'une résolution soit adoptée au Conseil de sécurité, il faudrait qu'aucun des cinq membres permanents ne pose son veto. Or, la Russie, principale alliée d'Assad, n'a encore jamais permis l'adoption d'aucune résolution sur la Syrie en plus de deux ans.

 

Moscou peut-il changer d'avis ? Paris indiquait jusqu'alors que, pour les Russes, "la preuve irréfutable de l'usage d'armes chimiques serait de nature à changer la lecture russe de la crise syrienne et les remèdes à y apporter".

 

Mais, anticipant sur les révélations françaises, Vladimir Poutine avait déclaré mardi matin lors d'une conférence de presse à Ekaterinbourg que "toute tentative d'influer sur la situation en Syrie par la force, par une ingérence militaire [était] vouée à l'échec et entraînerait de lourdes conséquences humanitaires".

 

Conférence de Genève 2

 

Les révélations françaises pourraient-elles être sans conséquence ? L'hypothèse n'est pas à écarter.

 

Elles peuvent, peut-être, aussi, influer sur la tenue de la conférence de paix proposée par les Américains et les Russes communément appelée "Genève 2".

 

Les négociations sont en effet âpres ces dernières semaines pour réunir autour d'une même table représentants du régime syrien et opposants, entourés des soutiens internationaux des uns et des autres.

 

Les révélations françaises pousseront-elles Moscou à travailler au corps Damas pour obtenir des concessions alors que les insurgés souhaitent que la répression cesse avant tout sommet ? Bachar al-Assad et son clan tenteront-ils de négocier certaines inflexions de leur ligne contre la possibilité de ne pas être jugés pour leurs crimes ? Ces révélations pousseront-elles au contraire le régime à vouloir s'accrocher au pouvoir, convaincu de pouvoir garder la maîtrise du pays ?

 

Nul ne sait pour le moment. Mais cette conférence, initialement prévue en juin – la date du 10 avait été avancée – ne devrait finalement pas se tenir avant juillet.