Tribune
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Publié le 21 Février 2014

Retour à l’alliance russe ?

Tribune de Zvi Mazel, ancien ambassadeur d’Israël

 

Le rapprochement inattendu entre l’Égypte et la Russie devrait préoccuper l’Occident et Israël.  On se demande comment lest États-Unis ne semblent pas encore avoir compris qu’en exigeant une plus grande démocratie de la part du nouveau régime au Caire, ils le jettent tout droit dans les bras accueillants de l’un des pays les moins démocratiques de l’Europe.  Selon des sources concordantes, un contrat de fourniture d’armes d’une envergure sans précédent serait sur le point d’être conclu.  Il s’agit de trois milliards de dollars de matériel militaire sophistiqué : Migs 29, système de défense antiaérienne, missiles antitanks Kornett et hélicoptères de combat.  Il s’en suit que des spécialistes russes viendront en expliquer le maniement et en assurer l’entretien en Égypte.  Ce n’est sans doute pas un retour à la collaboration intégrale des années soixante et soixante-dix, mais tout de même des spécialistes russes vont remplacer les nombreux spécialistes américains actuellement discrètement à l’œuvre sur les bords du Nil pour aider l’armée à intégrer les  armements et les équipements américains  achetés dans le cadre de l’aide annuelle d’un montant de 1.2 milliard de dollars versé par l’Amérique depuis la signature du traité de paix entre l’Égypte et Israël. 

Désormais des officiers et des techniciens égyptiens seront envoyés en Russie pour se former aux technologies et aux méthodes  d’un régime qui ne se préoccupe pas autre mesure de la démocratie. Ce sera sans doute ensuite le tour des membres des services de sécurité – comme au bon vieux temps de Nasser sous l’ère soviétique. C’est le KGB qui avait été chargé « d’aider » à la création à son image des services de renseignement et de sécurité intérieure. Des services qui ont continué à fonctionner sous les Présidents suivants, Moubarak compris, étendant leur emprise sur tous les secteurs d’activité – économique, social et culturel sans oublier les relations d’affaires avec des pays étrangers. En effet aucun projet ne pouvait être mis en chantier sans avoir été examiné préalablement pour s’assurer qu’il n’y avait pas « atteinte à la sécurité du pays. »

 

Les États-Unis auraient pu changer tout cela et mettre l’Égypte sur la voie d’une plus grande démocratie. Ils ne l’ont pas fait et c’est une lourde erreur. Depuis 1980 des milliers d’officiers égyptiens – dont un certain Abdel Fattah Al Sissi – ont effectué des stages aux États-Unis, où ils ont découvert les valeurs libérales et la démocratie. Seulement une fois rentrés, ces officiers n’avaient aucune influence sur la politique de leur pays. L’Amérique n’a pas cherché à profiter de ses bonnes relations avec Le Caire pour envoyer aussi les membres des services de sécurité – qui eux ont de l’influence – et les exposer à ces valeurs.

 

Le régime intérimaire en Égypte qui se bat contre la terreur islamiste cherche désespérément à avoir de meilleures relations avec l’Occident qui s’y refuse. En désespoir de cause il se tourne vers la Russie qui n’est que trop contente de lui offrir son assistance. Il ne s’agit pas uniquement du domaine militaire. Les Russes forment aujourd’hui  les gros bataillons des touristes. L’Égypte, qui est le premier  importateur de blé au monde, en achète de grandes quantités en Russie pour nourrir son peuple. Le Ministre russe des Affaires étrangères a proposé son aide pour la construction de la première centrale nucléaire en Égypte. Les deux pays vont promouvoir des projets conjoints dans le domaine de l’économie et de  la culture – sans parler de l’équipement et la technologie militaire. Après la visite des Ministres russes de la Défense et des affaires étrangères au Caire en novembre dernier, et celle de leurs homologues égyptiens à Moscou début février, une nouvelle rencontre est prévue le 28 mars au Caire. Il semblerait qu’il n’y a pas de temps à perdre !

 

Ce qui n’empêche pas les États-Unis, l’Égypte et la Russie de déclarer en cœur que cette nouvelle orientation ne changera en rien les relations du Caire avec « d’autres pays ».  Il est à remarquer tout de même que le Ministre égyptien des Affaires étrangères a déclaré à son retour de Moscou que l’Égypte avait soumis à l’Amérique des propositions détaillées pour améliorer le dialogue entre les deux pays – et que la réponse se faisait attendre.

 

Cette rhétorique ne peut tout de même pas cacher le fossé grandissant entre Washington et Le Caire. La Maison Blanche, mécontente de l’arrestation du Président Morsy, a suspendu son aide militaire « jusqu’à ce qu’elle soit convaincue que l’Égypte est sur la voie de la démocratie. » Pour des raisons encore inexpliquées, elle a apporté son soutien aux Frères Musulmans. Elle savait pourtant que Morsy n’avait rien fait pour redresser le pays et avait consacré tous ses efforts à mettre des Frères à tous les postes de l’administration centrale et locale et à faire accepter une constitution qui faisait la part trop belle à la Charia. Les Égyptiens – et pas seulement le Maréchal Sissi – se sentent insultés et trahis. Ils n’arrivent pas à comprendre pourquoi les États unis, avec leurs institutions démocratiques et la masse d’informations que leur fournissent leurs services de renseignement,  s’opposent à un pays qui s’est montré pendant des décennies un allié fidèle et le pilier de leur politique au Moyen-Orient. Faute de réponse Sissi n’a eu d’autre choix que de se tourner vers la Russie pour obtenir leur aide dans le combat qu’il mène contre l’Islam radical qui multiplie les attentats contre des cibles civiles et militaires ; l’Égypte a besoin d’armement et d’équipements militaires.

 

De sources égyptiennes l’Arabie saoudite et les Émirats du Golfe seraient prêts à financer le contrat de fourniture d’armes évoqué plus haut. Façon aussi de manifester leur incompréhension vis-à-vis de l’Amérique, leur allié de toujours, qui n’a pourtant pas hésité à mener des négociations secrètes avec leur ennemi numéro un, l’Iran, et à conclure avec lui un accord hautement insatisfaisant qui n’empêchera pas Téhéran de poursuivre son programme nucléaire militaire.

 

La politique américaine au Moyen-Orient est partout battue en brèche ; l’alliance des pays pragmatiques contre l’Iran n’est plus ; l’Égypte se tourne vers la Russie. On se demande ce qui va se passer maintenant.