Tribune
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Publié le 29 Janvier 2014

Rivarol, ce journal obscène et l’antisémitisme

Tribune de Marc Knobel, chercheur et Directeur des Etudes du CRIF

 

Dans un éditorial fumeux et pathétique, Jérôme Bourdon, patron de l’hebdomadaire d’extrême droite Rivarol, écrit : « Jeudi dernier l’on pouvait lire sur le site officiel du CRIF une tribune d’un certain Marc Knobel intitulée « Rivarol, ce journal obscène », pas moins, et appelant non seulement à un procès contre nous pour injure publique et provocation publique à la haine envers les juifs mais exigeant des pouvoirs publics l’interdiction du journal, en tout cas au moins son interdiction à la distribution et à la vente dans les kiosques, ce qui revient de toute façon à tuer le journal. Nous publions en page 2 de ce numéro l’intégralité de cet appel à la répression contre le doyen des hebdomadaires de l’opposition nationale car il est révélateur de l’hystérie d’une coterie qui ne souffre plus que puisse s’exprimer la moindre voix discordante, aussi modeste soit-elle. » Il ajoute aussitôt : « Il est faux de prétendre que nous avons injurié qui que ce soit ni appelé à la haine ». A ce flot d’ignominie et de mensonges, nous répondons.

C'est avec un profond dégoût et horreur que j'avais lu l’immonde numéro du 16 janvier 2014 de Rivarol, un hebdomadaire dans la pure tradition de l'extrême droite française, en ce qu’elle a de plus répugnante et perfide. Or, ce numéro titrait en Une: « L'insupportable police juive de la pensée. » Ce numéro s'illustrait par sa grossièreté et des attaques qui contiennent une exhortation à la haine ou à la violence antisémite. J’avais donc publié un texte sur le site Internet du CRIF (1).

La tirade de Jérome Bourbon sur le CRIF voulant « tuer » Rivarol me fait bien rire, tant vous abusez de ce registre incantatoire et victimaire. N’aviez-vous pas écrit, par exemple,  dans votre éditorial du 19 novembre 2010 « Le Pen veut tuer Rivarol ».

Pathétique.

Et puisque Jérôme Bourdon feint d’ignorer ce qui était écrit dans son hebdomadaire obscène, je le prends au mot.

1) Le dessin signé « Chard » qui accompagne la Une de Rivarol est  particulièrement agressif. Il s’agit d’un homme en uniforme de police avec l’inscription « police de la pensée », coiffé du bonnet phrygien, sortant du Conseil d’Etat sur lequel se trouve un drapeau français avec l’étoile juive au centre. Il est possible de lire « Exécution immédiate ! » près du Conseil d’Etat (le « a » de « immédiate » étant écrit avec l’étoile juive), ce à quoi le policier répond « Immédiate ».

 

Les passages injurieux ou incitant à la haine de cet article sont les suivants :

 

1)  Ligne 13, 1er paragraphe, page 1 : « Et ce que nous voyons et entendons depuis quelques semaines montre de manière éclatante que nous vivons en pleine tyrannie juive ».

2)  Ligne 28, 1er paragraphe, page 1 : « On peut insulter dans des chansons, des sketches, des émissions de radio et de télévision du service public les catholiques, les blancs, les Français sans aucune limite mais en revanche l’on ne saurait se moquer du « peuple sûr de lui et dominateur » ».

3)  3ème paragraphe, page 1 : « Selon le processus d’inversion accusatoire les puissantes qui nous dirigent projettent sur les autres ce dont ils sont eux-mêmes coupables. Ils dénoncent sans cesses la haine qui serait distillée par Dieudonné mais qui répand la haine à flots continus ? Qui organise la traque, la chasse à l’homme contre le plus génial humoriste français depuis trente ans ? Ce qui se passe actuellement rappelle ce que l’on a vécu en 1999 contre le nonagénaire Maurice Papon qui était alors recherché par toutes les polices et traqué comme une bête sauvage par tous les grands média ».

4) 3ème paragraphe, page 1 : « De même qu’avec Hollande et Valls au pouvoir la France devient plus que jamais un territoire occupé par le sionisme et le judaïsme international, de même que l’on sait désormais que le Conseil d’Etat est un tribunal rabbinique ».

5) 3ème paragraphe, page 1 : « Elle [la décision du Conseil d’Etat] rompt radicalement  avec la tradition du droit public français et, par un soudain retournement de jurisprudence, place sous étroite surveillance les humoristes mais aussi les hommes politiques qui devront plus que jamais passer sous les fourches caudines du judaïsme politiquement organisé. Faudra-t-il désormais une autorisation préalable du CRIF, de la LICRA, des Klarsfeld et de BHL pour pouvoir s’exprimer en public ? ».

6) 4ème paragraphe, page 1 : « Il est scandaleux que ce soit un israélite qui interdise un spectacle où il est question des juifs. C’est un peu comme si l’on faisait juger un assassin par le père de la victime ou comme si l’on chargeait les prostituées de la défense de la morale et de la famille ».

7) Dernier paragraphe, page 1 : « Qu’on ne s’y trompe pas : les heures les plus sombres de notre histoire, ce ne sont pas les années 1930 ni les années 1940, c’est aujourd’hui que nous les vivons. Nous sommes en effet dirigés, étouffés, opprimés par une minorité qui se croit tout permis et qui ne souffre même plus les saillies drolatiques d’un chansonnier. Leur monde est une prison. Notre insurrection intellectuelle et morale est totale ».

 

Les passages injurieux ou incitant à la haine de cet article sont les suivants :

 

1) 3ème colonne, page 12 : « Ils en font vraiment beaucoup. Ce n’est plus une minorité

visible, c’est une minorité ostentatoire ».

2) 3ème colonne, page 12 : « Et dans ce super cinéma, ils tiennent bien sur tous les rôles importants : Cukierman pour le CRIF et Jakubowicz pour la LICRA approuvent Valls Tartakowsky pour la LDH le réprouve, et tous condamnent Dieudonné : ils vont toujours un peu plus loin dans le sûr de soi et dominateur. Un peu plus dingue ».

3) 4ème colonne, page 12 : « (…) la compétition pour l’exploitation de la mémoire et de la souffrance (…) »

 

Les passages qui ont été mis en exergue ici contreviennent gravement aux dispositions pénales en matière de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations, à savoir :

 

1) L’infraction de provocation publique à la discrimination à la haine ou à la violence nationale, raciale ou religieuse (art. 23, 24 alinéa 6 et 7, art. 42 de la loi du 29 juillet 1881).

L’injure publique raciale (art. 23, 29, 33, alinéa 3 et 4, art 42 de la loi du 29 juillet 1881).

 

2) De tels écrits si réguliers dans ce journal négationniste et d’extrême droite sont intolérables en ce qu’ils portent atteintes aux fondements mêmes des principes républicains de respect des convictions et des choix d’autrui.

 

Monsieur Bourbon,

 

Même Marine Le Pen a eu à votre égard et à l'égard de Rivarol, en décembre 2010 sur le plateau de Serge Moati, ces mots secs  : « Je suis opposée à voir revenir dans le FN des groupuscules radicaux, caricaturaux, anachroniques. Entre les catholiques intégristes, les pétainistes et les obsédés de la Shoah, ça ne me paraît pas cohérent. Le FN ne servira pas de caisse de résonance à leurs obsessions. »

 

Les obsessions de Rivarol sont inacceptables.

 

Note :

1. http://crif.org/fr/tribune/rivarol-ce-journal-obsc%C3%A8ne/48824