Tribune
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Publié le 3 Juillet 2013

Sauvons la République des extrémismes

Par Nicolas Lebourg (Historien des extrêmes droites) et Stéphane François (Politologue spécialiste des extrêmes droites)

 

Après la mort de Clément Méric, le premier ministre a ouvert la voie à la dissolution de groupes politiques d'extrême droite sans pour autant en donner une liste exhaustive.

Il importe de rappeler les limites des interdictions qui ne visent que des groupes, mais laissent vaquer hommes et idées. Les anciens militants peuvent non seulement échapper à toute surveillance, mais aussi se radicaliser. Or la seule interdiction de structures n'est pas en mesure de résoudre l'affaiblissement de la communauté républicaine. Les contestations des valeurs égalitaires, une "altérophobie" tantôt antisémite tantôt islamophobe, tantôt les deux, sont des dynamiques sociales puissamment à l'oeuvre. Celles-ci réclament une politique globale alliant répression des troubles à l'ordre public et réintégration sociale des agents de déstabilisation de l'ordre républicain.

 

Pour le volet répressif, chacun sait que le skinhead menace moins la République, en tant que culture commune et contrat social, que ne le fait la banalisation de l'assignation à leur origine ethnique et cultuelle de certains de nos compatriotes. Disqualifier le skinhead est plus facile que d'interpeller ceux qui, élus, universitaires, hommes et femmes de presse, diffusent des conceptions altérophobes dont le style feutré est bien plus dommageable qu'un défilé de crânes rasés. Une répression républicaine ne saurait se limiter à viser la seule haine émanant du Lumpenproletariat. Au contraire : les discours de haine, les actes discriminatoires, la domination sociale sont d'autant plus efficaces qu'ils sont exercés par ceux qui, situés en haut de l'échelle sociale, savent en atténuer la visibilité et donc en limiter la dénonciation.

 

Mais lutter contre la haine, c'est aussi lutter contre les causes de son émergence. Car la confiance dans la République est aussi affaiblie par le bal des affaires, dont l'impact est d'autant plus grand que la crise se prolonge. La République doit donc combattre avec la même visibilité et le même acharnement les délinquants en cols blancs que ceux en cols bruns ; les premiers, de par les rancoeurs qu'ils suscitent, ne manquant pas de favoriser la prolifération des seconds.

 

Bien qu'il ne s'agisse pas de prime abord d'un même combat, la République doit faire savoir sa fermeté par l'instauration de peines planchers, de privation de droits civiques pour ceux qui menacent son contrat social, que ce soit pour incitation à la haine, violence, discrimination en raison de l'ethnie, la confession, le genre, la nationalité, l'orientation sexuelle ou pour détournement de fonds publics. On ne pourra pas faire reculer l'adhésion aux thèses d'extrême droite en faisant l'économie de la répression d'une corruption qui menace autant le pacte républicain que la lutte contre le racisme. Cette privation de droits civiques est certes insignifiante pour le skinhead, mais des élus et hommes de médias devraient être ainsi plus soucieux des conséquences de leur discours.

 

Par ailleurs, on ne saurait viser de jeunes gens non intégrés sans revenir à ceux qui légitiment dans leur fauteuil un passage à la violence. La liberté d'expression est un bien précieux : si elle est enlevée aux Jeunesses nationalistes révolutionnaires, c'est que l'on juge que la contestation permanente de la légitimité de l'État appelle des signes de son raffermissement.

 

La manifestation projetée un temps par Riposte laïque et Résistance républicaine contre "les islamo-racailles" et les "antifas", les défilés des Indigènes de la République faisant l'apologie de groupes terroristes, relèvent de l'agitation factieuse permanente qu'assurent ces structures depuis plusieurs années. S'il faut dissoudre, alors il importe autant de frapper des groupes qui se livrent à la violence, comme la Ligue de défense juive, que ceux qui construisent socialement cette violence.

 

En somme, il faut considérer que, au stade où nous en sommes d'accommodation de notre société aux haines, il importe de mettre en place un dispositif capable de réprimer aussi bien en haut qu'en bas. Le dépôt de plainte pour incitation à la haine ne doit plus être le fait sporadique d'associations : l'État doit systématiquement rappeler à l'ordre républicain ceux qui s'en écartent.

 

Cela passe peut-être par un dispositif voué à ce fait, comme cela existe en Allemagne, et non sans penser également à l'exemple du pôle financier : l'instauration d'une structure permanente de veille et saisine du juge quant aux infractions aux principes fondamentaux de la République. En ce qui concerne des ressortissants étrangers condamnés pour de tels faits, la procédure d'expulsion reste la plus adéquate.

 

Cela signifie enfin un travail d'intégration des citoyens aux normes républicaines. La République n'est pas un marché idéologique ouvert. Elle ne peut tenir dans un rapport consumériste à ses valeurs, où les individus prendraient ce qui leur sied et se réfugieraient ensuite derrière leur individualisme libéral. Il est en ce sens symptomatique que nombre de nos concitoyens ne trouvent rien à redire aux discours qui, sous couvert de lutte contre le communautarisme, subvertissent les valeurs républicaines en établissant une hiérarchie des civilisations, revenant en ce sens à des représentations coloniales.

 

L'instauration de cours de morale républicaine est déjà un premier pas en ce sens. Dans le même esprit, les cours d'éducation civique doivent devenir effectifs. Matière sans épreuve au baccalauréat, les heures qui lui sont dévolues sont dans les faits utilisés pour tenter d'absorber le pléthorique programme d'histoire-géographie. Ce dernier doit justement être repensé non pour imposer un savoir officiel, mais réintroduire du commun : tout le long du cursus scolaire, instaurons un cours d'histoire-géographie de la France, venant compléter le cours général actuel et instituant un socle culturel commun.

 

Posons-nous enfin la question de savoir si la défiance à l'égard des élites et l'exutoire xénophobe ne tient pas aussi au fait que près d'un cinquième des électeurs ne voit pas son vote traduit dans la représentation politique. Intégrons donc aussi ceux qui votent à l'extrême droite. Il nous faut soit une part de députés élue à la proportionnelle, soit, mieux encore, un Sénat élu au suffrage universel direct.

 

Plutôt que d'instaurer un cordon sanitaire autour des hommes et des femmes et d'ouvrir toutes les fenêtres à leurs idées, faisons l'inverse : assurons à ceux qui jouent le jeu des institutions que leur propos peut venir s'exprimer dans les instances législatives, refusons toute compromission idéologique. Ne nous contentons pas de la facilité qui consiste à ostraciser des groupes marginaux : mettons-nous nous-mêmes en cause, pour fabriquer du commun.