Tribune
|
Publié le 29 Juin 2012

Solidarité avec le Doyen de la Faculté de Tunis Manouba, mon ami Habib Kazdaghli

Par Jean Corcos, responsable de la Commission pour les relations avec les Musulmans du CRIF

 

Décidément, ce sont de toujours plus désolantes nouvelles qui nous arrivent de Tunisie : en même pas neuf mois de pouvoir, le parti islamiste Ennahda plonge le pays à marche forcée vers l'obscurantisme, tantôt en imposant un "ordre moral" de plus en plus pesant, tantôt en laissant faire les actes de violence des Salafistes, qui intimident la population et s'attaquent à tous les symboles passés de la pluralité et de la tolérance...

Habib Kazdaghli, Professeur d'Histoire Contemporaine à la Faculté de Tunis - Manouba,  mais aussi et surtout actuel Doyen élu de cette faculté, fait partie de ces symboles à abattre : il vient d'être mis en examen pour avoir soit disant "agressé une étudiante portant le niqab", et il doit comparaitre au Tribunal de première instance de la Manouba le 5 juillet prochain. En vérité, et comme l'indique le communiqué de presse du "Comité de défense des valeurs universitaires, de l'autonomie institutionnelle et des libertés académiques", il s'agit d'une accusation sans fondement : il est non pas  le coupable mais la victime d’une agression alors qu’il accomplissait son devoir. Deux étudiantes portant le niqab se sont, en effet, introduites dans son bureau, en ont endommagé le mobilier. Elles ont  dispersé  les documents et tenté de détruire les dossiers qui s’y trouvaient. Ces infractions ont été constatées par le Procureur de la République auprès du Tribunal de première instance de la Mannouba, l’après-midi du 6 mars 2012. Ce même jour, le bureau du Doyen avait été la cible de plusieurs jets de pierres. 

 

Pour qui suit un peu ce qui se passe dans cette faculté, ce n'était pas la première fois que de tels incidents se passaient, et que le professeur Kazdaghli était visé : le 22 janvier dernier, la chaine de télévision M6 diffusait un reportage intitulé "Etudiantes contre salafistes", qui illustrait parfaitement comment les intégristes activistes occupaient les lieux, bloquant la fac, empêchant les autres étudiants de travailler, et cherchant à imposer le voile intégral. On peut toujours voir ce reportage sur ce lien.

 

Mais cette haine tenace envers un universitaire tunisien tient sans doute à autre chose, et là je voudrais évoquer et les liens d'amitiés qui me lient à lui, et l'antisémitisme rampant que révèle aussi cette affaire. Spécialiste de l'histoire contemporaine des minorités en Tunisie, Habib Kazdaghli a été longtemps un membre actif de la "Société d'Histoire des Juifs de Tunisie", association laïque réunissant des historiens de toutes les confessions et travaillant ensemble à faire connaître le passé, jadis pluriel, du pays. J'ai pu ainsi faire sa connaissance, et le recevoir à plusieurs reprises sur notre station, Judaïques FM. Il a eu le courage il y a deux ans de publier dans la presse tunisienne, un article évoquant les persécutions antijuives lors de l'occupation allemande du pays, en 1942-1943 (lire ici), et de participer à un grand pèlerinage à Auschwitz, réunissant des personnalités juives et musulmanes : or cela est devenu insupportable, dans un pays où par ailleurs le pire antisémitisme s'affiche maintenant dans des manifestations publiques. Le même gouvernement Ennahda, qui vient de rendre hommage au négationniste Roger Garaudy, ne peut que vouloir réduire au silence un esprit libre, comme Habib Kazdaghli ...

Une chaine internationale de solidarité se constitue pour défendre cet universitaire contre l'arbitraire : elle réunit, au delà des différences d'opinions, de confessions ou d'origines, des amis de ce Professeur ; et je suis fier de la rejoindre à mon tour.

 

Jean Corcos