Tribune
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Publié le 24 Mars 2014

Soral et Dieudonné, les Dupont Dupond de l’antisémitisme à l’assaut du CRIF

Tribune de Joël Kotek publiée dans le hors série des Études du CRIF anniversaire des 70ans du CRIF

Le CRIF a publié un recueil de textes en hommage au 70e anniversaire du CRIF, qui a été offert aux invités lors du 29e Dîner de l’institution. Ce recueil est composé de trente articles rédigés par des intellectuels, écrivains, journalistes, sociologues, philosophes... Nous reproduisons ci-après le 14e article de ce recueil : la tribune de Joël Kotek, Professeur à l’Université libre de Bruxelles. Nous publierons par la suite l’ensemble de ces textes.

Marc Knobel, Directeur des Études du CRIF

Le phénomène des paupières lourdes est bien connu des spécialistes du communisme. Pendant plus d’un demi-siècle, les intellectuels français ont refusé, par dénégation, omission ou complaisance, d’admettre la réalité concentrationnaire soviétique. Mieux valait, disait-on, avoir tort avec Jean-Paul Sartre que raison avec Raymond Aron. Les temps n’ont guère changé. Les clercs d’aujourd’hui se révèlent tout autant incapables d’affronter la réalité, surtout lorsque celle-ci apparaît par trop dérangeante. Au point de la dénaturer pour la rendre acceptable. J’en veux pour preuve la manière dont les médias ont jusqu’à tout récemment appréhendé le phénomène Dieudonné. Un exemple parmi tant d’autres : la réaction immédiate et ô combien rassurante d’un site antifasciste belge à l’affaire dite de la « quenelle » de Canal +.

Petit rappel : le 10 novembre 2013, tandis que se déroule l’émission Le Petit Journal, un spectateur répète par seize fois le geste soi-disant subversif de la quenelle qui consiste à tendre un bras vers le bas et à poser simultanément la paume de la main de son bras sur l’épaule. « La quenelle est un salut de reconnaissance inventé par Dieudonné à la fin des années 2000. […] Depuis 2006, ce dernier est passé dans les rangs de l’extrême droite nationaliste, poujadiste, mais aussi toujours plus que jamais raciste et islamophobe. » Que dire, sinon que cette affirmation tient autant du phénomène des paupières lourdes que du wishfull thinking (« pensée irréaliste ») !Loin d’être islamophobe et poujadiste (?), Dieudonné est, en effet, à l’instar de son maître à penser Alain Soral, aussi passionnément antisémite qu’islamophile. C’est bien l’antisémitisme qui constitue le cœur de leur discours. Comme l’a notamment souligné Aude Lancelin dans Marianne. Leur « pensée » n’est rien d’autre qu’une réappropriation « désinhibée des ficelles les plus grossières de l’antisémitisme » (A. Lancelin). À en croire Soral, en effet, tout partirait et ramènerait à Auschwitz, ce mensonge historique fabriqué par les Juifs pour justifier, ici, la création d’un État voyou en Palestine et, là, leur domination mondiale sur le système mondial. Pas étonnant, dès lors, que ces idées d’un autre âge les aient poussés en direction du monde arabo-musulman qui n’en demandait pas tant.

Ce n’est pas par hasard, en effet, que le régime des mollahs soit devenu peut-être le principal bailleur de fonds de nos Dupond Dupont de l’antisémitisme français, comme le confia fort imprudemment Alain Soral dans une vidéo qu’il tente désormais de faire oublier : « Si on a pu faire la liste antisioniste qui a coûté 3 millions d’euros, c’est parce qu’on a eu l’argent des Iraniens. Faut le dire, faut être honnête.

Si on ne les avait pas eus, on n’aurait pas pu le faire : on n’a pas 3 millions d’euros. Surtout qu’on les a perdus, puisque pour être remboursé, il fallait faire 5 % minimum. » (1er mai 2013).

Autre exemple de la difficulté de nombreux journalistes à accepter l’insupportable réalité d’un antisémitisme de banlieue : l’idée selon laquelle la fameuse « quenelle » ne serait qu’un « salut nazi inversé ». Cette explication, reprise à l’unisson par l’ensemble des médias, participe elle aussi de cette difficulté à accepter l’idée que Dieudonné ne serait qu’un obsédé du complot juif, sans être pour autant xénophobe, d’extrême droite ou nazi. La vulgate antifasciste souhaiterait, en effet, qu’il ne fût pas tant antisémite que raciste et donc quelque part aussi (mais où ?) islamophobe. Pur wishfull thinking : le geste de la « quenelle » n’a que peu à voir avec le salut nazi, fut-il inversé. La réalité est bien plus prosaïque et vulgaire. Qu’est-ce qu’une quenelle ? Un rouleau de viande ou de poisson généralement allongé qui, par la grâce de Dieudonné, a tôt fait de se transformer en blague antisémite. Comment ? Il suffit de songer à l’anatomie masculine pour figurer ce qui ressemble à une boulette allongée et l’usage que peut en faire tout individu sur, ou plutôt, dans autrui. La « quenelle » n’est rien d’autre qu’une version revisitée du (sodomique) bras d’honneur, ou pour être encore plus explicite, du fist-fucking ; le bras tendu au lieu d’être plié, représentant un phallus hypertrophié. En langage dieudonnesque, « glisser une quenelle » revient à « glisser [sa] petite quenelle dans le fond du fion de l’ennemi sioniste » [sic]. Pour les familiers des sketchs, caricatures et autres photomontages publiés sur son site, toute méprise paraît impossible. « Dieudonné a baptisé ça “quenelle” en référence au plat dont la forme rappelle celle d’un suppositoire », explique très sérieusement Ahmed Moualek, l’ancien compagnon de l’humoriste. Sur le ton de la confidence, il ajoute : « C’est un bras d’honneur au système, c’est-à-dire aux médias, aux politiques, mais aussi à Israël. Mais tout est lié, on ne va pas se raconter d’histoire, non ? »

L’idée première est de signifier aux Juifs que le monde n’est plus dupe de la Shoah et qu’il est temps de leur faire payer leur mensonge. Comme les ananas (la chanson Shoahnanas apparaît ainsi comme un détournement négationniste de la chanson Cho Ka Ka O d’Annie Cordy), la «quenelle» doit être comprise comme un message subliminal à l’adresse de tous les obsédés de la domination juive mondiale. Ce n’est pas par hasard si la plupart des « quenelles » postées par des anonymes sur Facebook sont prises devant des lieux symboliques directement liés aux Juifs ou à la Shoah. C’est devant les mémoriaux de la Shoah de Paris, de Drancy, de Berlin (Soral) ou, d’Auschwitz-Birkenau, que nos soi-disant antisystème choisissent de se faire photographier. Qu’on le veuille ou non, la « quenelle » est devenue ainsi le signe de reconnaissance de tous ceux qui – héritiers de Drumont, comme amoureux de la Palestine – ont intérêt à nier la réalité Shoah. C’est ainsi qu’elle est devenue le signe de ralliement de nombreux jeunes beurs obsédés du complot sioniste, tel ce Malik Naram qui appela, tout récemment, à l’extermination des Juifs. Nul besoin encore de souligner que le « quenelleur » de Canal + ne tenait en rien de la Bête blonde au crâne rasé pour être, en réalité, un étudiant en histoire d’origine maghrébine.

En Belgique aussi, ce ne sont pas forcément les héritiers de Degrelle qui « quenellent ». Pour preuve, une photo postée tout récemment sur Facebook par un jeune policier bruxellois d’origine marocaine. Enfin, comment oublier que le très populiste député belge Laurent Louis, auteur d’une quenelle en plein hémicycle du Parlement fédéral, fut jusqu’à il y a peu la tête de liste du parti Islam et ce, avant d’en être éjecté par ses fondateurs, aussitôt dénoncés comme… sionistes. « Aujourd’hui, je constate que […] les fondateurs d’Islam sont […] des manipulateurs et des petites mains du sionisme. Je suis donc très heureux d’avoir pris mes précautions […] en accédant assez subtilement à la présidence d’Islam. J’ai ainsi pu jeter les pommes pourries hors du mouvement. […] Jusqu’au bout, je devrai supporter les attaques de mes ennemis sionistes, mais je suis prêt à les affronter avec l’ensemble de mon équipe et le bureau politique d’Islam. […]

Rien n’est simple en politique, mais sachez que je continue le combat et que, plus que jamais, je suis prêt à envoyer de belles quenelles au monde politique. Pour preuve cette photo prise en plein Parlement… »

Soulignons que ce sinistre individu, qui s’exhibe sur Facebook aux côtés du député Nicolas Dupont-Aignant, de Soral ou encore de Yahia Gouasmi, ce proche d’Ahmadinejad en France, a été l’un des heureux lauréats de la cérémonie de la Quenelle d’or 2013.

C’est bien l’antisémitisme qui constitue la colonne vertébrale du groupe hétéroclite des fans de Dieudonné et de son mentor Soral. C’est bien leur dénonciation radicale du système juif mondialisé qui fonde leur immense popularité. Tous les familiers des sites liés à Égalité et Réconciliation en conviendront aisément. Il suffit de compulser les photos, dessins, vidéos postés par la dizaine d’« artistes antisionistes » maison pour s’en persuader: 90 % de leur production est judéocentrée. Ces sinistres individus sont de véritables obsédés du complot judéomaçonnique. Il n’est donc pas étonnant que le CRIF, symbole de la soi-disant domination juive sur la France, soit leur cible privilégiée. Léon Pinsker n’avait pas tort, l’antisémitisme tient bien de la psychose collective.