Tribune
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Publié le 9 Mai 2014

Sur les réseaux sociaux, ils recrutent, racontent les combats et leur vie quotidienne

Enquête de Julie Schneider publiée dans le Figaro le 7 mai 2014

«Ah là là, ils veulent pas me lâcher. J'avais recréé la page hier soir, mais ils l'ont encore fait sauter.» L'homme se présente comme l'administrateur d'une page Facebook sympathisante, en français et en anglais, de l'État islamique d'Irak et du Levant (EIIL), branche dissidente d'al-Qaida en Syrie. 

«Nous n'avons aucun lien direct avec l'organisation. C'est plus une page de soutien et d'information», tient-il à préciser. En deux semaines, c'est la quatrième page qu'il crée. «Ce n'est pas fatigant, ça prend deux minutes. C'est juste qu'on perd des abonnés en chemin et toutes ses publications. Mais rien de très grave», plaide cet étudiant de 24 ans résidant en Europe. En quelques jours, il a attiré plus de 1 400 «fans» à grand renfort de photos d'hommes cagoulés faisant faire de la balançoire à des enfants, graffitis, parade militaire à Raqqa, «opérations martyrs» en Irak…

Régulièrement, son compte est bloqué. Et puis, plusieurs heures plus tard, il est de retour pour diffuser la photo d'un «martyr», des vidéos de la Fondation al-Itissam, la branche médiatique syrienne de l'EIIL, des prêches… Une bataille «qui n'est pas près de se finir», rit-il. Il défend que «l'aspect médiatique est très important dans le djihad, le n° 1 d'al-Qaida, Ayman al-Zawahiri, allait même jusqu'à dire que les médias représentaient 50 % du djihad. Il est important de renseigner les gens sur les avancées des djihadistes, leurs discours, les institutions qu'ils ouvrent, etc. (…) une contre-propagande en somme».

Et c'est via le Web que cette «contre-propagande» se déroule. Le Figaro a contacté une douzaine de djihadistes ou sympathisants, tous francophones. Les échanges se sont déroulés via Facebook, Twitter, Skype ou par e-mail. Ils sont français ou belges. La majorité a moins de 30 ans. Ils sont de Brest, Grenoble, Nice, Strasbourg, Paris, de la région parisienne, «du Sud» ou de Bruxelles. Une poignée d'entre eux sont en Europe, les autres ont rejoint la Syrie. Une minorité n'a pas accepté de parler: «J'ai une règle, zéro confiance en personne», écrira l'un d'eux. Un n'a pas hésité à laisser sa géolocalisation indiquant la région de Raqqa: «C'est pour vous donner envie de venir directement.» Un autre est allé jusqu'à demander «5 000 euros pour une cinquantaine de questions et une heure d'interview sur Skype ou Facebook».

Certains ont répondu avec la bénédiction de leur chef et d'autres ont lâché: «Personne ne doit savoir que je parle à une fille», quelques-uns effaçant rapidement les messages en conversation privée sur Twitter. Ils ont quitté la France pour «pouvoir vivre (leur) religion tranquillement», la «défendre», «tuer ceux qui violent (leurs) sœurs, comme les soldats alaouites et chiites» (comprendre l'armée du régime de Bachar el-Assad et les combattants du Hezbollah, NDLR), «aider les personnes âgées, soigner les blessés…». Ils ont aussi bien rejoint l'EIIL que le Front al-Nosra. Certains disent aller au combat, comme lors des affrontements à Boukamal, à la frontière irakienne ; d'autres vivre «comme en France», avec «un travail» pour «aider les enfants» ou «faire de l'humanitaire». «On est un groupe de sept personnes - trois Français, deux Anglais, deux Suisses - avec une ambulance et un camion de nourriture», détaille un Français, assurant ce jour-là que «800 repas ont été distribués à Alep, Homs, Idlib»… Lire la suite.

En vidéo, un reportage de BFMTV : Un français parti en syrie pour retrouver sa sœur.