Tribune
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Publié le 6 Février 2013

Syrie : pourquoi le chef de l'opposition veut négocier

 

Malgré les vives critiques dans son propre camp, Ahmed Moaz al-Khatib a réitéré sa proposition de dialogue, sous conditions, avec le régime de Bachar al-Assad. Pourquoi ? Les réponses de TF1 News avec Barah Mikaïl, spécialiste du Moyen-Orient.

 

Barah Mikaïl est directeur de recherche sur le Moyen-Orient à l'institut Fride, un centre de réflexion sur les questions internationales basé à Madrid. Il est notamment auteur du livre La Syrie en cinquante mots-clés (L'Harmattan/Comprendre le Moyen-Orient, 2009).

 

TF1 News : Après sa proposition de la semaine dernière, Ahmed Moaz al-Khatib, le chef de l'opposition syrienne, a réitéré lundi sa proposition de dialogue. Pourquoi prendre cette initiative maintenant ?

 

Barah Mikaïl : Tout d'abord, il veut montrer qu'il est conscient de l'urgence à sortir du bain de sang. Il voit que le régime de Bachar al-Assad n'a pas vacillé au bout de deux ans de révolte et qu'il faut désormais jouer la carte des négociations. Il montre ainsi un sens de la responsabilité, des bonnes compréhensions des logiques régissant la Syrie et des concessions pour arriver à une solution.  Mais le plus dur pour lui n'est pas d'annoncer qu'il souhaite dialoguer, c'est de faire accepter l'idée par sa base.

 

En parallèle, il ne faut cependant pas perdre de vue que la volonté première de Khatib reste d'arriver à la chute du régime, ou du moins à un changement radical. Or, s'il propose la négociation, il pose comme condition la fin du régime. Il s'expose donc à un refus, qui lui permettra ensuite d'affirmer que son adversaire n'est pas ouvert à la discussion. En fait, en mettant son objectif en avance des discussions, il place le régime dans une situation difficile pour que ce dernier accepte, mais aussi sa base, qui refuse des pourparlers.

 

Pourquoi a-t-il "désigné" le vice-président Farouk al-Chareh pour dialoguer ?

 

Farouk al-Chareh s'est déjà distingué en expliquant en décembre qu'il n'y avait pas de solution militaire au conflit. Cette déclaration a été interprétée comme une prise de distance, toute relative évidemment, avec Bachar al-Assad. Chareh ne se trouve pas non plus dans la dynamique décisionnelle sur le plan militaire. Même s'il fait partie du régime, il n'a pas de sang sur les mains, ou du moins pas autant que les autres dignitaires. Tout ceci lui confère une image plus modérée. Il est donc la seule personne avec qui les opposants ont l'impression de pouvoir négocier, dans une sorte de solution "du moins pire'".

 

Khatib ne prend-il pas le risque de faire éclater une coalition déjà fragile ?

 

Si cette coalition existe sur le papier, elle ne l'est pas dans les faits. Comme la précédente, aucun consensus général ne s'y dégage. Elle  est ainsi déjà autant divisée que la précédente, aussi bien sur une intervention militaire extérieure, sur des livraisons d'armes aux rebelles ou sur des négociations avec le régime.

 

Khatib ne représente donc qu'une unité de façade. En proposant de négocier, il est dans une démarche tactique et non stratégique. Il veut enclencher une machine qui, si elle se mettait en marche, le grandirait. Si le régime accepte, même en posant des conditions, cela signifierait qu'il reconnaîtrait l'opposition extérieure, toujours rejetée jusqu'ici. C'est un point central pour Khatib, uniquement adoubé pour l'instant par la communauté internationale.  Il profite en fait de sa position pour tenter de faire avancer les choses, tout en prenant en effet le risque de faire imploser l'opposition. Mais en l'état actuel de la situation, ce risque en vaut la peine.

 

Quel serait l'intérêt d'Assad d'accepter cette proposition ?

Il ne peut l'accepter facilement, puisqu'il reconnaîtrait l'opposition. S'il venait à le faire, il exigerait comme condition l'exclusion de certaines composantes de la coalition, dont les Frères musulmans. Mais il semble plutôt dans sa posture habituelle du "attendre et voir", en soulignant qu'il n'a d'ordre à recevoir de quiconque.

 

Plus globalement, sans accord politique, quelle peut être la suite des événements ?

 

Sauf surprise, la guerre devrait durer encore de longs mois. La structuration militaire d'Assad est intacte, malgré les 30.000 désertions. Sur le plan diplomatique, seulement trois ambassadeurs en poste à l'étranger ont fait défection.

 

Surtout, sur le terrain, la situation est beaucoup plus nuancée et favorable à Assad qu'on veut bien le dire. Pour l'instant, malgré les combats, les gros bastions symboliques que ce sont Alep et Damas sont toujours aux mains de l'armée régulière. Bref, il faut bien comprendre que le régime d'Assad n'est pas celui de Mouammar Kadhafi. Mais les Occidentaux ont mis longtemps à s'en rendre compte.