English
Français
Przemysl, Galicie, sud-est de la Pologne, mai 1944.
De juillet jusqu’à février 1943, Bernard et deux de ses amis se cachaient dans un bunker souterrain, habitat de fortune, quoique commodément aménagé, relié à l’électricité par un poteau avoisinant.
Mais dans la Pologne officiellement Judenrein (nettoyée des Juifs), des miliciens ukrainiens, au service du régime nazi, sillonnaient le pays à la recherche de fugitifs. Dans l’enceinte du village de Przemysl, le regard des deux miliciens fut attiré par un périmètre assez bien délimité au sol, où la neige avait fondu. Un phénomène dû à la chaleur d’une activité humaine souterraine.
Découverts, les trois Juifs entamèrent des négociations éperdues et parvinrent, en dernier ressort, à soudoyer les Ukrainiens avec leurs maigres possessions, un peu d’argent et un poste de radio.
Repérés, ils durent ensuite changer sans cesse de cachette, avant de se faire prendre, trois mois plus tard, par la Gestapo ; ou plutôt, dénoncés à la Gestapo par des paysans locaux, qui touchaient un kilo de sucre par Juif livré.
Les Allemands fusillèrent les hommes sur place. Sauf Bernard, dont ils découvrirent le journal qui retint leur attention. Les écrits alignés sur les quelques pages du cahier relataient, en polonais, les pensées, les réflexions, autant que le quotidien du jeune homme de 22 ans. Les SS décidèrent de le faire traduire en Allemand, emportant son auteur avec eux.
Dans le ghetto de Przemysl, Bernard était une première fois parvenu à sauver sa peau des engrenages de la machine d’extermination nazie. Grâce à sa mère, tout d’abord, qui l’avait poussé de force hors du groupe de personnes que les SS avaient sélectionnées afin d’être dirigées vers Belzec, où elles furent immédiatement exterminées dès leur arrivée. À la liquidation du ghetto, ensuite, lorsque Bernard parvint à s’enfuir avec un ami – qu’il conservera d’ailleurs toute sa vie – par une galerie d’égout.
Suite à sa capture, en mai 1944, les agents de la Gestapo traînèrent Bernard, trois semaines durant, à travers la Pologne, faisant escale dans les nombreuses casernes de miliciens ukrainiens ; les porte-flingues nazis étaient à la recherche des deux traîtres qui avaient failli à leur tâche à Przemysl en laissant la vie sauve aux trois Juifs ; ils avaient pour ordre de les éliminer.
Au détour de l’une de ces casernes, Bernard reconnaîtra d’ailleurs les miliciens et réciproquement. Après l’échange d’un regard furtif, et pour cause, personne ne pipera mot.
Pendant ce temps, la situation militaire des Allemands s’altérait dans l’est de la Pologne, de laquelle l’Armée Rouge s’approchait à marche forcée.
Au milieu de ces voyages, sous la pression des Russes, des nombreuses mutations dans ses rangs, la Gestapo a oublié que son prisonnier, Bernard, avait été arrêté au motif de son identité juive. Les Allemands le jetèrent ainsi dans une prison de Cracovie, Monteloupi, afin qu’il soit jugé.
C’est un tribunal militaire qui s’en chargea et le condamna à mort sans surprise. Une peine qui se vit commuée, le lendemain - c’était le 6 juin 44, le jour du débarquement en Normandie -, en travaux forcés à perpétuité.
Bernard fut envoyé dans le camp de concentration de Mauthausen ; plus précisément dans un Straf Kommando (section punitive), une sorte de camp de la mort à l’intérieur du camp de la mort, pendant deux semaines.
Chaque matin, cent rangées de cinq hommes partaient pour la carrière du camp. Les gardes les obligeaient à gravir cent quatre-vingt-deux marches, hautes et irrégulières, menant de la carrière à la crête d’une montagne, portant une lourde pierre.
À la fin de la journée, cent rangées de seulement quatre hommes revenaient au camp. Les SS tuaient et jetaient sur les parois rocheuses des prisonniers au hasard. Celui qui allait trop vite, trop lentement, qui avait l’air plus fatigué que les autres. Ayant observé le manège des nazis, Bernard s’attachait à rester le plus neutre possible, afin de ne pas attirer l’attention.
Puis il connut Amstetten, Melk, et Ebensee, les annexes de Mauthausen. Un quotidien fait de proximité entre les hommes, d’une existence qui dépend parfois d’une simple cuillère, d’un rien.
Et survint le 5 mai 1945, lorsque l’Armée américaine libéra le camp, par une journée de printemps, ensoleillant les Alpes autrichiennes.