English
Français
Elle s'appelait Ayah Barad'iyya. Elle avait 21 ans. Elle était étudiante en anglais à l’université de Hébron. La photo qu'on a d'elle montre un joli visage maquillé, un peu trop peut-être, enserré dans un hijab ne laissant rien deviner de sa chevelure.
Un jour d'avril 2010 elle partit de chez elle pour se rendre à l’université. Mais disparut. Avait-elle été kidnappée ? S'était-elle enfuie ? Ses parents signalèrent sa disparition à la police. Un jeune homme qui avait demandé sa main à sa famille fut soupçonné et interrogé pendant plus d'un mois. En vain....
Plus d'un an plus tard on découvrit des restes dans un puits à trois kilomètres de la maison familiale. Un collier portant son nom, des papiers et des photos dans un sac permirent d'identifier ce qui restait d'Ayah.
L'enquête repris. Un oncle de la jeune fille avoua le crime. Avec trois complices il l'avait attrapée sur le chemin de l'université, enfermée dans le coffre d'une voiture, aspergée de gaz lacrymogènes pour la faire taire. Arrivé à ce puits isolé ils l'avaient attachée avec une corde et l'y avaient jetée en dépit se ses supplications, puis couvert le puits d'une pierre. Sa mort dut être atroce.
L'oncle « expliqua » son crime en arguant d'une relation « indécente » avec l'homme qui voulait l'épouser. Ce que celui-ci dément avec la plus grande fermeté. Mais quand bien même....Pourtant, dans cette culture, on ne badine ni avec l'amour, ni avec « l'honneur de la famille »...A telle enseigne que la loi palestinienne prévoit des circonstances atténuantes pour les meurtriers s'ils sont arrêtés, ce qui est l'exception plutôt que la règle. Une loi héritée du code civil jordanien de 1960 qui est toujours en vigueur dans les Territoires palestiniens dirigés par Mahmoud Abbas. Dans la Bande de Gaza, c'est une loi de 1936 datant du Mandat britannique qui préconise la clémence dès lors qu'il aurait été porté atteinte à « l'honneur » de la famille. Le tout venant conforter un dogme culturel bien ancré dans toute la région. Pourtant, étant donné que Mahmoud Abbas est considéré comme partageant des valeurs occidentales, le fait qu'il se soit toujours refusé à modifier dans les faits ces lois iniques est éclairant.
Mahmoud Abbas promet de réviser la loi autorisant de fait les violences faites aux femmes mais n'en fait rien.
D'ailleurs, le cas de Ayah Barad'iyya avait tellement choqué, qu'exceptionnellement, une émission de télévision lui a été consacré. Mahmoud Abbas avait alors fait appeler en direct l'un de ses aides pour promettre de modifier les articles de loi qui donnent leur bénédiction à ce type de meurtre...Effet d'annonce resté sans suite...Ce changement devant être entériné par le Conseil Législatif palestinien dont on ignore quand il se réunira et ce qui est une bonne excuse pour ne rien faire...Les organisations locales des Droits de l'Homme attendent désormais la « réconciliation » pour que la loi soit modifiée...du moins l'espèrent-elles.
Immobilisme que dénonçait Amira Hass, la très pro-palestinienne journaliste de Haaretz dans un article de 2011. Elle citait d'ailleurs cet article de loi scélérat permettant la clémence pour ce type de crime : « Celui qui surprend sa femme ou l'une de ses Mahrams [du genre féminin, mère, filles ou sœurs] en train de commettre l'adultère avec quelqu'un [ en flagrant délit ] et tue ou blesse l'un d'entre eux ou les deux ne sera pas jugé responsable ». Quant à celui qui surprendrait une femme de sa famille « illégalement dans un lit...sa peine sera réduite ». Les peines prononcées vont de la relaxe à quelques mois d'emprisonnement, souvent avec sursis.
Amira Hass dénonce également le fait que ce « motif » d'atteinte au code d'honneur soit parfois utilisé pour se débarrasser de femmes devenues encombrantes. Elle donne l'exemple de meurtres pour cause d'héritage, de viol ou d'inceste déguisés en prétendus « crimes d'honneur ».
Mais il suffit très souvent d'un soupçon provoqué par un regard ou ce qu'un homme de la famille va percevoir comme un regard « déplacé ». Dans l'un de ses documentaires Pierre Rehov donne la parole à une femme qui dirigeait une association des Droits des Femmes à Gaza. Elle y raconte comment un policier gazaoui et sa femme avaient séquestré leur fille soupçonnée d'avoir souillé « l'honneur » de la famille. Celle-ci s'était échappée et s'était réfugiée dans les locaux de l'Association. Sa famille vint la chercher, prétendant regretter et promettant de la laisser tranquille. Elle réussit à émouvoir la directrice qui laissa partir la jeune fille. Que sa famille tua...
Le silence des organisations pro-palestiniennes ou des femmes palestiniennes
Fin 2010 le journaliste Khaled Abou Toameh écrivait : « Ce n'est pas très facile pour une femme de vivre dans un régime fondamentaliste comme celui qui est en place dans la bande de Gaza....les femmes sont confrontées à des campagnes d'intimidation et de terreur qui en forcent bon nombre à rester chez elles et à ne rien faire ». Il s'insurge ensuite du silence qui est fait sur ces sujets, citant notamment l'universitaire et porte-parole palestinienne Hanan Ashrawi ou les groupes « pro-palestiniens » qui ne disent mot. Un silence qu'il oppose aux critiques obsessionnelles adressées à Israël pour un oui, pour un non. Il décrit une vie sans droits fondamentaux, comme pouvoir se promener seule. Et, pourquoi, écrit-il, « une femme peut-elle devenir une bombe humaine mais pas se promener sur une plage avec un homme » ?
On estime que plus de 80 % des femmes de Gaza ont été victimes de violences « domestiques ».
Quant au silence sur cette composante de la culture palestinienne, touchant la moitié de la population, il ne semble pas non plus que Leïla Shahid, pourtant si volubile, en ait jamais parlé...
Il y aurait une quinzaine de « crimes d'honneur » par an dans les Territoires sous contrôle de l'Autorité palestinienne. Des chiffres sans doute très inférieurs à la réalité. L'issue n'est pas toujours aussi tragique mais un grand nombre de femmes subissent des violences, physiques, sexuelles et psychologiques et n'ont guère de possibilité de les fuir, les structures d'accueil étant rares. On imagine donc dans quel climat les femmes palestiniennes vivent, craignant à tout moment de se comporter d'une manière pouvant être considérée comme portant atteinte à « l'honneur » familial. Quant à parler des violences subies, cela n'est pas considéré comme étant acceptable non plus. Et une partie de ces victimes sont d'ailleurs convaincues d'avoir « mérité » le traitement qui leur est infligé.