Tribune
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Publié le 10 Avril 2013

Un centenaire résistant

 

Par Barry Davis

 

Pendant la guerre, il a sauvé des enfants. D’abord, comme résistant juif, mais aussi depuis toujours au service de l’OSE.

 

Rares sont ceux auprès de qui Shimon Peres semble jeune. Mais Georges Loinger est l’un de ceux-là : il était déjà bar-mitsva lorsque le président d’Israël est né. Ce Français de 102 ans était en visite le mois dernier en Israël, avec un groupe de représentants de l’OSE (oeuvre de secours aux enfants), association pour laquelle il travaille depuis la Seconde Guerre mondiale. La délégation, qui comprenait, entre autres, son président Jean-François Guthmann et son directeur général Roger Fajnzylberg, était venue remettre la médaille d’honneur de l’OSE à Shimon Peres pour ses efforts pour la paix et son action pour le bien du peuple juif. Elle s’était aussi déplacée pour participer à une cérémonie à Yad Vashem en l’honneur de ces Juifs qui ont sauvé d’autres Juifs durant la Shoah, et pour développer les coopérations avec des organisations similaires en Israël.

 

L’OSE est une organisation internationale basée en France qui fournit principalement des soins de santé et sociaux aux enfants. Néanmoins, et depuis un certain nombre d’années, ses services s’étendent aux personnes âgées juives et non juives. L’OSE, expulsée de Russie pour avoir reçu des médicaments envoyés par des Américains (ce qui à l’époque était totalement inacceptable pour le pouvoir communiste) a, en 1933, et après un certain nombre de relocalisations, finalement élu domicile en France.

 

Déjà bien établie avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, elle a ainsi pu, durant la guerre, s’occuper et sauver d’une mort certaine des milliers d’enfants juifs de France, d’Allemagne et d’Autriche.

 

Dès le début des hostilités, l’OSE a logé des enfants, parmi eux des enfants juifs allemands dont les parents avaient été tués ou déportés, dans des châteaux et autres établissements situés en France. Quand les Allemands envahissent la France, les enfants logés dans le nord ou le centre du pays – zone occupée – sont redirigés vers le sud, zone libre, considérée encore comme relativement sûre.

 

Au début de la guerre, l’OSE comptait environ 1 300 enfants placés sous sa protection. Un nombre qui n’a cessé de croître avec la progression des conflits. Entre mai 1941 et mai 1942, l’OSE a réussi à envoyer par bateau quelque 350 enfants aux États-Unis.

 

Et quand les Allemands sont rentrés en zone libre, l’organisation, elle, est entrée en clandestinité.

 

Le jour de son anniversaire

 

Jeune homme, Georges Loinger entreprend des études de professeur d’éducation physique. Au milieu des années 1930, il est professeur et principal de la première école secondaire juive de France. Mobilisé par l’armée française quand la guerre éclate, il est fait prisonnier en 1940, peu après la défaite militaire française, et se retrouve incarcéré dans un camp de prisonniers en Allemagne.

 

Paradoxalement, c’est grâce à l’armée allemande qu’il reste en vie : « Ils savaient que j’étais juif », se rappelle-t-il, « mais l’armée ne voulait pas laisser la Gestapo entrer dans le camp ».

 

Déjà marié, Loinger entretient une correspondance avec sa femme. C’est d’ailleurs une lettre de son épouse qui le pousse à chercher un moyen de s’échapper : « Ma femme avait la charge de 123 enfants juifs dans un château de la famille Rothschild et elle me confiait ses difficultés à prendre soin d’eux. J’ai donc décidé de m’enfuir et, avec mon cousin, emprisonné comme moi dans ce camp, nous sommes parvenus à nous sauver et à rentrer en France pour l’aider. Je suis même arrivé le jour de son anniversaire ! »

 

Très vite, Loinger rejoint une des dix unités juives associées avec la Résistance pour libérer les Juifs des camps d’internement allemands. En 1945, vers la fin de la guerre, il participe à une opération militaire réussie pour libérer des enfants juifs du sud de la France. La Résistance les lui confie et il cherche alors à les faire passer en Suisse.

 

Loinger se souvient encore de ce voyage périlleux : « Un responsable des chemins de fer – prendre le train à l’époque était évidemment très risqué – m’a demandé d’où je venais et si j’étais juif, je lui ai répondu que je l’étais. » Cela aurait pu lui être fatal, mais c’était sans compter sur son courage et sa débrouillardise : « Je lui ai alors dit que s’il me faisait quoi que ce soit, il n’aurait pas seulement la Résistance juive à ses trousses, mais la Résistance dans son entier, et il m’a laissé tranquille. »

 

Rendre ses lettres de noblesse à la Résistance juive

 

Cette opération est l’une des nombreuses actions organisées par Loinger dans le cadre de l’OSE pour mettre à l’abri les enfants juifs hors des frontières du pays. L’OSE devait trouver des solutions pour une partie des plus de 1 000 enfants juifs sous sa protection : que ce soit pour les cacher dans des villages, des églises, des orphelinats ou chez des familles du sud de la France.

 

« Certains de ces enfants étaient issus de foyers religieux et craignaient que leurs parents ne soient pas contents de les savoir manger de la nourriture non cachère. Nous avons alors dû les amener en Suisse avec d’autres, qui eux, ne s’entendaient pas avec leurs familles de placement. Nous avons sauvé ainsi près de 300 enfants. » Loinger est fier de ce qu’il a accompli durant la guerre, avec ses compagnons juifs membres de la Résistance. « Sur les 300 000 Juifs qui vivaient en France avant la guerre – nés en France ou immigrés d’autres pays – environ 76 000 ont péri, dont des membres de ma famille. Mais tous les autres, c’est-à-dire 220 000 Juifs, ont survécu à la guerre. » Deux de ces « enfants de l’OSE » sont devenus célèbres : Élie Wiesel, prix Nobel de la paix, et l’ancien grand rabbin ashkénaze d’Israël, Israël Meir Lau.

 

Aussi en Israël

 

Le travail de Loinger à l’OSE va aussi attirer l’attention des dirigeants du Yishouv (la structure juive présente en Palestine avant l’existence de l’État d’Israël) : « Leurs services secrets m’ont parlé de l’Exodus et de leur volonté d’amener des Juifs en Palestine. Mon travail consistait à forger des fausses pièces d’identité et de coordonner les choses. 11 personnes sauvées par l’OSE étaient à bord de l’Exodus. » Quelques années après la guerre, Loinger va écrire un livre sur la Résistance, alors que telle n’était pourtant pas son intention : « Le livre de Raul Hilberg, sorti en 1961 et intitulé La destruction des Juifs d’Europe, est un véritable monument sur l’annihilation du judaïsme européen, mais il ne mentionne pas les unités de Résistance juive. Quand je lui ai demandé pourquoi, il m’a répondu que rien n’avait été écrit là-dessus et qu’il ne travaillait que sur des documents écrits. J’ai alors dit à mes anciens compagnons de la Résistance qu’il fallait s’y mettre. » Finalement, Loinger a consacré trois livres au sujet.

 

Les actions de Loinger ne sont pas ignorées puisque, après la guerre, il reçoit une décoration du général de Gaulle, chef du gouvernement provisoire après la libération de Paris (d’août 1944 à janvier 1946) puis président de la République.

 

Il ne s’agit d’ailleurs pas là de sa seule décoration. Mais une de celles qui lui tiennent le plus à coeur n’a aucun lien avec le sauvetage d’enfants juifs pendant la guerre : « J’ai reçu une récompense du gouvernement français pour avoir aidé au développement de l’industrie nautique dans le sud de la France. J’ai effectivement favorisé la vente de quatre bateaux à Israël ce qui, d’autre part, a élevé la compagnie Zim au rang des compagnies de transport internationales.

 

Zim ne possédait à l’époque que quelques paquebots, ni très grands, ni très sûrs. Sur les quatre bateaux vendus, le Shalom, construit en France, a ouvert la ligne navale entre New York et Israël. Deux autres, le Etzel et le Jérusalem, ont été payés par les réparations allemandes. » Comment Loinger s’est-il retrouvé à travailler pour la compagnie Zim ? C’est « tout simple » : « Peu après la création de l’État d’Israël, je m’y suis rendu. Une nuit, quelqu’un est venu me dire que Ben Gourion souhaitait me voir. Il voulait développer Zim et du jour au lendemain, je suis devenu directeur des opérations de la compagnie en France, en Belgique et au Luxembourg. » Si l’histoire de Georges est assez connue en France, ce n’est pas le cas en Israël, note Guthmann, actuel président de l’OSE. « Sa vie mérite d’être mentionnée dans l’histoire du peuple juif, nous voulions donc venir avec lui en Israël. Il a accompli des choses importantes durant la Shoah et en rapport avec la création de l’État d’Israël. »

 

L’OSE : donner et apprendre

 

Mais les deux responsables de l’organisation ne sont pas seulement venus pour rencontrer Shimon Peres et assister à une cérémonie à Yad Vashem. Leur but est aussi d’étendre l’action de l’OSE à Israël. Nous travaillons dans quatre domaines et 60 % de notre travail consiste à s’occuper d’enfants en détresse », pointe Guthmann, « Juifs et non-juifs, ils nous sont confiés par la justice parce que leur famille constitue pour eux un danger, pour cause de violence ou de problèmes de drogue. Le gouvernement français nous verse des subventions qui couvrent tous les frais. » Selon le président de l’OSE, l’organisation s’occupe aujourd’hui de quelque 1 000 enfants (de 0 à 20 ans), dont 300 sont juifs.

 

Initialement l’organisation se cantonnait exclusivement à la communauté juive, mais cela a changé au long des années.

 

« Nous avons commencé à nous occuper aussi des enfants non juifs dans les années 1980, partiellement parce qu’il y avait heureusement moins de besoins pour les enfants juifs et aussi puisque, dans la mesure où nous sommes devenus tributaires du gouvernement, nous ne pouvons nous considérer comme un organisme communautaire et refuser de prendre soin des enfants non juifs. » Mais l’OSE assiste tout de même la communauté juive française avec des services pour les enfants handicapés et aide les personnes âgées qui souffrent de la maladie d’Alzheimer. L’organisation désire offrir aux organisations et autres groupes le bénéfice de leur expérience dans les domaines qu’elle connaît bien. « Certaines organisations ici font des choses similaires à ce que nous faisons et nous voulons envisager un partenariat avec eux. Nous sommes déjà en contact avec « Les collines de Jérusalem », une organisation d’Abou Ghosh, dont le directeur est français.

 

Elle s’occupe de plus d’une centaine de jeunes répartis sur sept maisons d’enfants. Des enfants dans la même situation que ceux placés dans les institutions en France : pour les protéger, la justice les a retirés de la garde de leur famille.

 

L’OSE oeuvre aussi de concert avec Eshel, qui fournit des services aux malades d’Alzheimer.

 

« Nous savons que nous pouvons apporter notre expérience à des structures israéliennes. Cette collaboration n’est pas à sens unique, l’OSE souhaite également bénéficier du savoir-faire israélien.

 

« Par exemple, il y a une dizaine d’années, lors d’une grande conférence à Jérusalem, les assistants sociaux et employés de l’OSE spécialisés dans les soins aux personnes âgées s’étaient montrés très intéressés par les centres de jour israéliens pour le troisième âge. La structure était rare en France. À la suite de notre visite, nous en avons créé une pour les malades d’Alzheimer. Et ce centre a influencé les soins dispensés aux patients victimes de cette maladie dans toute la France. Nous ne sommes donc pas venus en Israël juste pour montrer ce que nous savons, mais aussi pour apprendre. »