Tribune
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Publié le 7 Décembre 2012

Un ministre tunisien : «Il y a plus de salafistes en France qu'en Tunisie»

 

La Tunisie fêtera le 17 décembre le deuxième anniversaire du début de sa révolution du Jasmin ayant vu la chute de du régime de Ben Ali. Mais la mutation bute sur les problèmes sociaux et économiques que le gouvernement de coalition, sous la houlette d'un islamiste issu du parti Ennahda, majoritaire aux premières élections, n'arrive pas à endiguer. 

 

La semaine dernière, de violents affrontements se sont produits à Siliana, ville de l'ouest du pays. Le président Moncef Marzouki a appelé à la formation d'un gouvernement restreint pour répondre à l'exaspération de la population et de «peur que (la violence) se reproduise dans plusieurs régions». Les islamistes refusent. Sur le terrain, le tourisme a vu repartir en hausse ses réservations de 30% par rapport à 2011, année noire pour ce secteur, mais peine à retrouver sa vigueur. Dans un entretien au Parisien.fr, le ministre tunisien du Tourisme, Elyes Fakhfakh, se dit confiant pour les années à venir et espère attirer 2 millions de plus l'an prochain.

 

Comment qualifiez-vous la situation actuelle en Tunisie, 2 ans après la révolution du Jasmin?

 

Elyes Fakhfakh : «La Tunisie s'est engagée dans un grand chantier de transition. On est le premier pays du monde arabe dans ce cas, il n'y a pas de précédents. Il nous faut du temps pour réussir. Aujourd'hui on est rassurés: des élections libres, un gouvernement prêt à changer la vie des Tunisiens, qui veut relancer l'économie même si des évènements, sporadiques, perturbent parfois cette marche.»

 

Comprenez-vous la déception de certains, qui redescendent dans la rue?

 

«Il y a des attentes, elles sont légitimes. La révolution a fait que le peuple peut s'exprimer librement. Il y a une demande forte de libertés. Mais il faut être patient. Pour créer des emplois, il faut reprendre confiance et qu'il y ait des investissements. Or, l'année 2011 a été très difficile. Il y a eu une baisse du tourisme, et de la production. On ne peut pas tout faire en 12 ou 18 mois. 2012 a été une meilleure année pour l'économie tunisienne et notamment pour le tourisme en croissance de 30% depuis le début de l'année.»

 

Vue de France, la Tunisie est un pays à risque, avec des troubles sociaux et l'effervescence des salafistes...

 

«Il y a un peu plus d'un million de Français qui ont visité notre pays depuis le début de l'année et on en attend beaucoup pour les fêtes de fin de l'année. Sans compter les touristes venus d'autres pays européens. Demandez-leur, si la Tunisie est sous la coupe des fondamentalistes comme le laissent penser certains médias en France. Il y a de l'amalgame, de l'incompréhension. On présente la Tunisie comme si c'était l'Afghanistan, les touristes ou les leaders économiques ont, quant à eux, une autre lecture des faits, de la réalité tunisienne. Et cela n'est pas mis en avant malheureusement.»

 

Mais il y a des actes précis, des attaques attribuées ou revendiquées par des salafistes, vous ne le niez pas?

 

«C'est un épiphénomène. On ne l'ignore pas. Mais j'insiste sur le décalage avec la réalité de tous les jours. Le cas de l'élu français agressé à Bizerte (en août dernier, par des salafistes) a été exagéré. L'affaire de la jeune femme agressée par des policiers  a pris une part disproportionnée dans les médias français. À cause de cela, on croit que les femmes ne peuvent plus circuler en jupe, en Tunisie, tout cela est faux. Ces amalgames nuisent à notre démarche pour une Tunisie nouvelle. La femme tunisienne joue un rôle pour le développement du pays depuis des années et son rôle n'a jamais été remis en cause contrairement aux idées reçues. Elle a des doutes parfois oui. Comme le reste de la population en attente des réformes...».

 

Vous ne craignez pas des dérapages de salafistes, comme ailleurs, après les révolutions arabes?

 

«Les salafistes existent, personne ne le nie. Je pense qu'il y a plus de salafistes en France qu'en Tunisie, j'en suis même sûr ! Ils posent problème à la société, partout. Mais le gouvernement tunisien n'accepte pas que l'on impose autre chose que la loi de la République. Et la loi s'impose et s'applique. Prenez l'exemple de cette femme agressée par des policiers, il y a eu un non-lieu. Ça prouve qu'aujourd'hui en Tunisie, personne n'est au-dessus de la loi. La justice est indépendante, les policiers sont aussi condamnés, en cas de faute.»

 

Votre gouvernement a-t-il les moyens d'empêcher ces violences?

 

«Il empêchera tout dérapage. La nouvelle constitution lui en donne les moyens. Il sera obligé de s'attaquer à toutes les formes de violences, celles des fondamentalistes ou autres. Il y a aussi des gens, de l'ancien système, qui ne voient pas d'un bon oeil l'évolution démocratique de notre pays.»

 

Quelles sont vos relations avec la France depuis l'arrivée de François Hollande à l'Élysée.

 

«Il y a de l'écoute et un soutien évident. La Tunisie est une opportunité pour l'économie européenne et en particulier pour la France. Des contrats viennent d'être signés et d'autres à venir, pas seulement dans le secteur touristique.»

 

L'écoute était-elle différente sous la présidence de Nicolas Sarkozy?

 

«Nicolas Sarkozy, qui était en fin de présidence au moment de notre révolution, a surtout eu à faire avec le régime de Ben Ali. Il était en décalage au moment de notre révolution. François Hollande est, lui, arrivé après. Il est donc plus à l'aise, peut-être, avec le nouveau régime tunisien.»