Tribune
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Publié le 18 Juin 2013

Un nouveau FN face à de vieux logiciels

Par Guillaume Tabard

 

L'UMP est soulagée: elle n'aura pas  à s'entre-déchirer  sur la question du «ni ni», ni gauche ni Front national. Le PS  se veut irréprochable en appelant sans hésiter «faire barrage» au nom des «valeurs républicaines». Mais aucun des deux partis  qui se succèdent au pouvoir n'en a fini avec ce mistigri électoral qu'est le FN.

De scrutin en scrutin, le parti de Marine Le Pen monte. Dans la 3e circonscription du Lot-et-Garonne, il est passé de 4,20 % en 2007 à 15,71 % en 2012 et à 26,04 % ce dimanche. Une telle progression signifie une mutation du vote FN que le PS comme l'UMP ne parviennent pas à saisir ou à conjurer. Cette mutation est à la fois idéologique, tactique et sociologique.

 

À cet étiage électoral, le Front national ne peut définitivement plus être réduit à un cartel de nostalgiques de l'extrême droite d'antan ou de descendants directs des ennemis de la démocratie. En combattant encore le FN au nom d'une distinction irréfragable  avec les partis «républicains», les responsables de gauche et de droite se heurtent à l'incompréhension croissante d'électeurs qui ne reconnaissent pas leurs motivations de vote dans les discours qui sont tenus sur eux. En votant pour un candidat de 23 ans, Étienne Bousquet-Cassagne, 26,04 % des électeurs n'avaient sans doute pas en tête de renverser la République… Ils perçoivent l'appel à construire une digue anti-FN comme un déni de leur vote. D'où cette spirale électorale infernale qui fait monter le FN à mesure où le PS et l'UMP veulent le réduire.

 

Le vote Front national n'est plus non plus un simple vote défouloir ou protestataire. Depuis que Marine Le Pen a pris la tête du parti, le vote d'adhésion gagne du terrain sur le vote sanction. Ce qui conduit à une consolidation de cet électorat qui devient moins volatile que celui des autres partis. D'ailleurs, dans la partielle qui s'est déroulée dans l'ancienne circonscription de Jérôme Cahuzac, le FN est le seul parti à avoir gagné des électeurs  en valeur absolue (+ 986 voix  par rapport à juin 2012).

 

Ce qui permet désormais au Front national d'attirer de nouveaux électeurs au second tour alors que jusqu'à présent il n'était pas capable de ratisser au-delà du cercle  des convaincus. Le Front national qui n'avait qu'un pouvoir de nuisance en «punissant» tel ou tel candidat a maintenant la capacité de l'emporter. On le verra peut-être à Villeneuve dimanche prochain ;  on le verra certainement aux municipales de 2014. Autrement dit, après l'argument du «front républicain », l'argument  du «vote utile» perd de sa portée.

 

Enfin, l'électorat du Front national a également évolué sur le plan sociologique. Après avoir progressé au détriment de la droite, il progresse de plus en plus  au détriment de la gauche. En la privant de certains de ses électeurs au premier tour ; en séduisant d'autres de ses électeurs au second. Ce qui s'est passé dans l'Oise  en mars devrait donc se reproduire dimanche dans le Lot-et-Garonne,  à savoir le renfort d'électeurs venus de gauche qui préféreront le FN  à l'UMP. Marine Le Pen et  ses lieutenants ont d'ailleurs prévu de faire entre les deux tours une campagne «à gauche toute» en défendant les services publics  en milieu rural et en dénonçant  la politique économique libérale de «l'UMPS». Face à un phénomène électoral qui a changé, gauche et droite sont contraintes de revoir un logiciel de riposte vieux de plus de vingt ans.