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Un discours poignant
Debout sur l’estrade parlementaire, Tamnou-Shata a affirmé vouloir combattre, sans attendre, le racisme et les discriminations auxquels elle a dû faire face en grandissant, de pensionnats en mauvais quartiers, pour finalement arriver à grimper l’échelle sociale et devenir avocate, puis journaliste (elle a été journaliste juridique pour la chaîne israélienne Aroutz 1).
Mais la députée a aussi insisté pour que les griefs et les différends soient mis de côté. Elle souhaite se consacrer à l’amélioration du sort de toute la société israélienne, sans exception. Tamnou-Shata est fière d’avoir pu offrir son soutien aux communautés juives et groupes pro-israéliens de par le monde, fière d’avoir été l’ambassadrice de son pays au sein d’organisations comme l’« Appel unifié pour Israël » et la « Fédération juive », en leur faisant valoir ce qu’elle appelle « le beau côté d’Israël ». Au terme de son discours, la première femme députée israélienne d’origine éthiopienne à faire son entrée à la Knesset s’est levée pour réciter le Chehe’heyanou, la bénédiction avec laquelle on remercie Dieu de nous avoir « donné la vie et assuré notre subsistance jusqu’à ce jour, et nous permet de vivre ce moment-là ».
Maintenant que le nouveau gouvernement est formé, maintenant qu’elle est membre à part entière de la coalition, Tamnou-Shata peut s’atteler à sa tâche et commencer sérieusement son travail parlementaire. Elle s’est confiée au Jérusalem Post, pour évoquer son passé, sa nouvelle vie en tant que député et ses espoirs pour l’avenir.
Pourquoi avez-vous décidé d’entrer en politique ?
Dès mon plus jeune âge, j’ai toujours voulu agir pour que les choses changent. Sans doute parce que j’ai été confrontée très jeune à des injustices. Celles faites aux femmes et aux émigrés qui font leur aliya en général, et celles qui frappent les membres de la communauté éthiopienne en particulier.
Je me suis retrouvée confrontée à un establishment implacable.
Après avoir vu des enfants éthiopiens refusés dans des écoles en raison de leurs origines, constaté que, lors de collectes de sang, celui des Éthiopiens était refusé, j’ai commencé à me mobiliser. De plus, il faut savoir que les Éthiopiens n’ont pas leur propre rabbinat, alors que leur rituel est tout à fait singulier, et c’est la porte ouverte à des discriminations en tout genre dans de nombreux domaines.
J’ai grandi dans une famille très sioniste. Chez nous, on positive. On veut toujours voir la coupe à moitié pleine.
Mais ce n’est pas une raison pour que notre communauté reste à la traîne. Et il y a beaucoup à faire pour faire valoir l’égalité des chances. Je ne suis pas moins israélienne que les autres. J’avais trois ans en arrivant en Israël, j’ai eu des amis de toutes origines dans les pensionnats dans lesquels j’ai été scolarisée. La marginalisation des minorités doit cesser.
J’ai réalisé que toutes les batailles contre le racisme se gagnent par la lutte. J’ai ressenti le besoin d’utiliser le pouvoir que me donne ma position, pour être l’ambassadrice de ma communauté et oeuvrer là où les décisions se prennent. La Knesset est le lieu où se joue le sort des individus. Même si je ne peux pas tout changer, je peux faire en sorte que mes doléances soient entendues et prises en compte.
Pensez-vous que les députés éthiopiens précédents ont représenté leur communauté avec succès ?
Shlomo Molla (du parti Hatnoua), mon prédécesseur, a fait passer beaucoup de lois. Mais la plupart d’entre elles ne concernent pas notre communauté. Cela dit, je n’ai pas l’intention de me concentrer exclusivement sur la communauté éthiopienne, non plus. Il ne faut pas oublier que le travail d’un député n’est pas seulement de faire adopter des lois. Il est de sa responsabilité de faire entendre la voix des plus faibles et de défendre les droits des minorités de l’ombre. Je veux que les gens de notre communauté aient une influence dans les sphères du pouvoir.
Les législateurs d’origine éthiopienne, ont-ils le pouvoir de faire passer des lois susceptibles d’aider leur communauté ?
Au début, je pensais que la composition de la Knesset n’avait pas d’incidence sur les prises de décisions. Mais j’ai fini par réaliser qu’au contraire, la diversité ethnique parmi ses membres joue un rôle décisif, parce que leurs objectifs sont différents. Ils ne sont pas seulement des professionnels, mais leur travail a aussi une portée politique.
Je serai comme le député Ahmed Tibi (Ta’al), qui représente fidèlement son peuple. Je rappellerai aux députés que derrière la notion de communauté un peu abstraite et floue, il y a des enfants pauvres et des personnes en souffrance par manque d’opportunités et de perspectives sociales. On oublie que des êtres de chair et de sang la composent, avec des enfants qui se battent pour survivre. Ils ne devraient pas avoir à vivre dans ce dénuement ! Le fait que je sois en poste ici contribue à faire évoluer le discours. Le poids de ma représentation n’est pas négligeable.
Quels sont les premiers projets de loi que vous comptez soutenir ?
Ma priorité sera de faire fermer les écoles qui persistent à pratiquer une discrimination raciale. Pour les contraindre à renoncer à ces pratiques discriminatoires, il faudra commencer par supprimer les subventions dont ces établissements bénéficient. Il faut toucher leur porte-monnaie, c’est là où ça fait mal. Jusqu’à ce qu’ils comprennent qu’il n’y a pas de place pour les discriminations raciales dans ce pays.
Et s’ils persistent dans leurs pratiques, il faudra fermer ces établissements.
Deuxièmement, j’aurai à coeur de défendre la précarité de l’emploi et l’exploitation des travailleurs les plus fragiles. Je vais encore plancher sur la question, mais je pense qu’on ponctionne leurs salaires abusivement, qu’ils n’ont aucune sécurité de l’emploi et pâtissent de mauvaises conditions de travail. Quand quelqu’un paye 100 shekels pour un travail, mais que celui qui l’exécute n’en touche que 20, il y a un problème.
Ce sont les populations les plus faibles qui ont ces emplois précaires, comme les nouveaux immigrants et les mères célibataires. De plus, il est à déplorer que les municipalités ignorent les quartiers pauvres. Chaque ville comporte de ces zones de résidence des populations les plus défavorisées, dont la classe politique se souvient subitement la veille d’élections. Il est temps d’investir pour développer ces périphéries et les quartiers pauvres.
Tamnou-Shata est mariée et mère de deux enfants. Elle a donné naissance à son deuxième fils en juin dernier, quatre mois avant le déclenchement de la dernière campagne électorale. Elle explique que sa vie de famille et les épreuves qu’elle a dû surmonter ont influencé son parcours politique, le choix du parti auquel elle s’est ralliée, et la façon dont elle a fait campagne.
Pourquoi Yesh Atid ?
Il y a des gens étonnants dans le parti Yesh Atid. Quand je suis arrivée, je m’attendais à être confrontée à un parti très hiérarchisé comme partout ailleurs en Israël. Eh bien non. Je ne l’ai pas trouvé ! C’était très stimulant.
Quelle a été l’expérience la plus intéressante au cours de cette campagne ?
Tout d’abord, j’ai senti que les temps sont mûrs pour le changement. L’élection tournait enfin autour des questions sociales. Il est indéniable que la majorité des électeurs souhaite un changement. Cela m’a rendue très heureuse, car il y a encore quelques années, mon souci de justice sociale n’était pas en tête des préoccupations de la classe politique.
Les Israéliens sont entravés par des problèmes sociaux graves. Cette campagne a été jalonnée de moments forts. J’ai adoré rencontrer les personnes âgées de ma communauté et leur parler de mon enfant du point de vue amharique.
J’ai pu m’adresser à l’ensemble de l’électorat israélien, pas seulement des Éthiopiens. Et de voir tant de chaleur et de désir de changement, m’a surpris.
Pensez-vous que les difficultés que vous avez rencontrées dans votre vie vous ont amenée là où vous êtes aujourd’hui ?
Je suis heureuse de chaque étape de ma vie et des difficultés que j’ai rencontrées. Elles m’ont forgé et chacune a contribué à ce que je suis aujourd’hui. Je suis diplômée en droit. Je n’ai donc pas peur de m’atteler à la loi. J’ai travaillé dans les médias, donc je sais comment m’adresser à la presse. Mon expérience dans la diplomatie a renforcé mon nationalisme et m’a aguerrie aux relations publiques. J’ai parlé à des ambassadeurs et des personnes de haut rang, et j’ai appris à parler en public.
Cette nouvelle Knesset compte un nombre record de femmes et d’élus religieux. Pensez-vous que cela va jouer sur son mode de fonctionnement et induire des changements ?
Je suis traditionaliste ; je crois en Dieu et je suis shomeret Shabbat (je respecte les lois du Shabbat).
Je suis la petite-fille d’un Kes (chef spirituel de la communauté éthiopienne) et j’aime Eretz Israël.
Mais mon mode de vie est libéral. J’ai commencé à observer le Shabbat il y a un an seulement. Je pense que les femmes seront amenées à jouer un rôle majeur dans les années qui viennent.
Nous allons agir avec féminité et élégance, en tout cas je l’espère. Je pense aussi que nous aurons la capacité de prendre les décisions de société qui s’imposent et qu’elles porteront leurs fruits. Les statistiques tendent à prouver que plus les femmes sont impliquées dans les décisions gouvernementales, dans les domaines de l’économie et de la vie sociale, meilleurs sont les résultats.