Tribune
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Publié le 22 Janvier 2013

Voyage annuel de la mémoire de l’amicale des anciens déportés d’Auschwitz-Birkenau

 

Extrait de « Mémoire vive », le magazine de l’amicale, n°16, janvier 2013.

 

Notre voyage annuel de la mémoire à Auschwitz-Birkenau, le mercredi 21 novembre 2012, fut une réussite. La présence de notre Président, Benjamin Orenstein, et l’organisation remarquable de notre ami Jo Hazot ont permis à plus de 200 personnes de se rendre sur le lieu le plus emblématique du martyr du peuple juif. 

 

Une centaine d'adolescents, étudiants et leurs professeurs de Notre Dame de Bellegarde de Neuville-sur-Saône, du Lycée Ampère de Lyon, l'École Supérieure de Commerce et de Gestion Vatel, l'école de l’ORT de Lyon et le Lycée de Caluire ont participé à cette démarche mémorielle pour comprendre et surtout ne pas oublier. Nous espérons perpétuer cette action encore de nombreuses années.

 

Allocution lors du voyage :

 

Mesdames; messieurs, chers amis, lorsque nous pénétrons dans ce lugubre lieu d'une infinie tristesse, par cette porte filmée par les Médias du Monde entier cette porte qui par son omniprésence dans notre souvenir collectif devient en quelque sorte, le patrimoine de l’humanité martyrisée. Lorsque nous pénétrons par cette porte, des flots de questions nous assaillent.

 

Que reste-t-il des millions d'êtres humains qui nous ont précédés, que reste-t-il des familles, de ces destinées anéanties dans la terrible logique de destruction de nazis?

 

Combien de savants, combien de prix Nobel n'ont pu faire avancer le savoir de l'Humanité, trop précocement arrachés à leurs études par l'idéologie du génocide?

 

Que reste-t-il de ces millions d'hommes, de femmes et d'enfants dont le seul crime était d'être nés?

 

Que reste-t-il de ces cultures dont les vieillards exterminés étaient la seule mémoire?

 

Par notre présence aujourd'hui, nous voulons prouver que leur souvenir survit dans chacun d'entre nous et que nous ne laisserons pas le temps recouvrir la Shoah du manteau opaque de l'oubli.

 

Oublier permet de laisser se perpétrer les mêmes crimes, souvenons-nous de la petite phrase de Hitler se référant au génocide des Arméniens par les Turcs « qui se souvient encore du massacre des Arméniens ? » quelques jours avant sa décision de régler radicalement le problème juif.

 

Soyons d'autant plus vigilants que, dans notre pays, ces mois derniers encore, 67 ans après la libération du camp où nous nous trouvons aujourd'hui, des enfants ont été froidement exécutés, sous le seul prétexte d'être nés juifs.

 

Bien sûr; notre Président a eu des mots très forts, à Toulouse, pour condamner l'odieux crime, bien sûr; il a affirmé « la République mettra tout en oeuvre pour protéger les Juifs de France », c'est bien le moins qu'elle puisse faire, mais ce qui me parait le plus terrible, c'est qu'il faille protéger les Juifs de France.

 

67 ans après, la communauté juive est sous le choc, car elle se souvient comment tout s'était terminé, ici à Birkenau, ici où l'un des États les plus évolués de l’Europe du 20e siècle a organisé méthodiquement, scientifiquement, la disparition de tout un peuple.

 

Mais comment ne pas être inquiet lorsque quotidiennement les différents médias, bien que très tièdes sur ces sujets; relatent des actes graves d'antisémitisme.

 

Comment ne pas être inquiet, lorsqu'au cours d'une conférence sur le terrorisme tenue à New York le mois dernier, le responsable de la police pense que la vie des Juifs new-yorkais est menacée.

 

Comment ne pas être inquiet, quand un réseau social reçoit plus de 10 000 tweets antisémites en quelques heures, dont quelques-uns sont directement inspirés par le lieu où nous nous trouvons ce soir.

 

Comment ne pas s'inquiéter lorsque des manifestants d'un autre âge scandent des mots d'ordre sur le trottoir parisien, mots d'ordre ponctués par « tuez les juifs ».

 

Comment ne pas être inquiets quand, samedi dernier encore, des tags antisémites d'une rare violence ont été écrits sur les murs de Caluire.

 

Caluire, ville symbole de la Résistance à l'occupant nazi et dont je tiens à remercier le Maire, Philippe Cochet, pour son soutien sans faille à notre action mémorielle.

 

Rappelez-vous, cela avait commencé comme cela, dans cette nuit de cristal où les synagogues avaient été incendiées et s'était terminé par un massacre organisé par une administration zélée et tatillonne. Le mal absolu s'était installé ici dans le fracassant silence des Nations.

 

Nous avons, Mesdames et Messieurs, chers amis, le devoir impérieux de témoigner devant le tribunal de l'Histoire, afin que de génération en génération, on se souvienne de ceux qui ont péri ici.

 

Témoigner est une exigence pour tous ceux qui ont survécu à l'impensable et pour tous ceux comme vous les jeunes, qui ont la chance de pouvoir rencontrer l'un de ces survivants.

 

C'est cette exigence qui nous a lait refaire une nouvelle fois ce voyage, avec toi Benjamin.

 

Nous mesurons le prix du courage qui te permet de revenir dans ce camp, pour combattre le temps qui efface les souvenirs.

 

Prendre la parole dans ce lieu, centre de l'horreur absolue, m'est particulièrement difficile, les mots sont insuffisants pour décrire l'indicible.

 

Malgré cela, il faut se rappeler combien le régime nazi, depuis sa prise du pouvoir en 1933, n'a eu de cesse de peaufiner un système d'extermination implacable.

 

Ici, à Auschwitz-Birkenau, comme à Belzec, Sobibor Maidanek ou Treblinka, des millions d'êtres humains disparurent dans la fumée des crématoires semblables à celui dont nous venons de voir l'immonde carcasse.

 

Ceux-là sont morts, dans d'atroces souffrances, nous ne les oublierons jamais, mais qu'en est-il des survivants ?

 

Aucun n'est sorti indemne de ce traumatisme, de cette atteinte à leur dignité humaine.

 

C'est aussi pour ces survivants que nous nous devons de ne pas baisser la garde et d'être à notre tour les transmetteurs de leur histoire.

 

Au nom de l'Amicale d'Auschwitz, je vous remercie d'être les nouveaux artisans de ce travail de mémoire, qui vous fait honneur.

 

Le voyage d'aujourd'hui vous permet d'être confrontés à l'Histoire de l’Europe, dans ce lieu unique qui sert de référence au concept de crime contre 1Humanité.

 

Il nous oblige à faire le terrible constat que la Shoah ne concerne pas seulement le Peuple juif Le monde civilisé dans son entier a été balayé par cette barbarie émanant de cette nation allemande qui était le berceau d'une grande culture.

 

Le Maréchal Foch aimait rappeler « qu'un peuple sans histoire est un peuple sans avenir ».

 

Vous êtes venus, chers Amis, pour ne pas oublier l'Histoire, afin que ce peuple européen que nous formons avec nos ennemis d'hier ne sombre plus jamais dans les sinistres abîmes amenés par le fanatisme.

 

Ce fanatisme menace encore notre civilisation, il n'attend qu'un moment propice pour à nouveau comme la bête immonde qu'évoquait Berthold Brecht, renaître de ses cendres.

 

La Shoah a été précédée de multiples signes avant-coureurs, nul ne s'en est inquiété, il ne faut pas que nous y soyons indifférents,  rien n'est anodin. Primo Levi, disait à propos de ses bourreaux' sauf exception, ils n'étaient pas des monstres, ils avaient notre visage ».

 

Notre vigilance ne doit jamais être prise en défaut. Enfin j'aimerai vous rappeler les quelques mots qu'a prononcé à Cracovie, le mois dernier le Vice-président du Conseil d’État : « les droits de l'homme qu'il convient de protéger sont la Liberté, l’Égalité en droit, la Dignité et par delà les frontières, l'Humanité de 1Homme.

 

Chers amis n'oublions jamais notre Humanité.

 

J.C. Nerson