Tribune
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Publié le 9 Avril 2013

Zubin Mehta : nous ne nous sommes jamais quittés

 

Par Sandra Ores pour Mena press

                 

C’est le dernier jour du mois de mars, le printemps s’est installé sur Tel-Aviv, où, non loin de la mer, derrière quelques arbres en fleurs, la crème des musiciens classiques du pays se retrouve pour répéter. Dans les couloirs de la résidence de l’Orchestre Philarmonique d’Israël, les notes, les sons et les phrases mélodieuses se baladent dans l’air.

 

L’animation se ressent dans les pas de chacun de ceux qui déambulent dans le bâtiment, dans une dynamique contenue, efficace et maîtrisée, se laissant porter par un rythme fluide. Une vapeur se dégage de la salle de répétition et se répand aux trois étages, celle de la concentration des joueurs d’instruments à cordes et à vents, canalisés par le Maestro Zubin Mehta.

 

Zubin Mehta, dirigeant ses musiciens, sa baguette en mouvement ; un instant à l’observer suffit à ressentir l’envergure du personnage. L’un des plus renommés chefs d’orchestre de musique classique de son temps, le maestro a été nommé, en 1981, le chef d’orchestre à vie de l’IPO (Israel Philarmonique Orchestra), l’orchestre philharmonique d’Israël.

 

Le tempo s’accélère pendant les quelques semaines de la présence du maestro en Israël, qui réside aujourd’hui à Los Angeles. Ce matin, la musique résonne au son de la fidélité des générations.

 

Comme au temps de East meets West (l’Orient rencontre l’Occident), lorsque Yehudi Menuhin accordait son violon au sitar du musicien et compositeur indien Ravi Shankar, les instruments classiques de l’IPO accueillent la fille de l’artiste indien, décédé en décembre dernier, la délicate Anoushka Shankar et sa cithare, pour un mariage captivant des sonorités et des cultures.

 

Il se dégage de l’être Zubin Mehta un charisme, une clarté, une évidence, qui amènent immédiatement à se positionner à sa propre place. Le flou n’entrera pas dans l’échange qui va se dérouler ces prochaines minutes. Polie, souriante, rassemblant mes charmes autant que possible, je tente d’ouvrir la porte de l’univers du maestro.

 

Israël n’est encore qu’une adolescente lorsque son orchestre philharmonique rencontre le virtuose pour la première fois. 1961, le jeune Mehta dirige l’IPO en qualité de chef remplaçant. "Ce fut l’amour au premier regard", se rappelle-t-il. "Quelque chose a fonctionné". En 1969, il prend la direction de l’orchestre hébreu.

 

"Les musiciens m’ont accepté les bras grands ouverts, et j’ai fait de même avec eux". Une interaction qui s’est mutée en une "amitié profondément enracinée", selon les termes du maître ; qui poursuit : "Récemment, nous avons joué le morceau que nous avions représenté la première fois. Ce fut un instant particulièrement émouvant pour moi".

 

Au fil des jours, des répétitions, des réalisations, des obstacles, "depuis la rencontre jusqu’à hier, ce fut un processus d’évolution" ; le chef et son orchestre de cœur se sont construits et ont grandi ensemble.

 

Zubin Mehta a conduit de nombreux autres orchestres philharmoniques dans différents pays au cours de sa vie, à Montréal, Los Angeles, New York ou Vienne. Cependant, c’est à Tel-Aviv qu’il a tissé les liens les plus solides. "Je me sens proche des Israéliens et de l’IPO en particulier".

 

Une connivence saluée par Shimon Peres, qui lui a conféré, l’année dernière, la médaille présidentielle de distinction (équivalent israélien de la Légion d’honneur). Le président avait alors déclaré, à l’attention du maestro : "Vous êtes un architecte de la culture d’Israël et un vecteur de son espoir".

 

Lorsque je lui remémore ces paroles, je décèle la fierté et la satisfaction qu’elles lui procurent. Ici, Zubin Mehta est chez lui. Ce lien privilégié qu’il entretient avec Israël ne l’empêche toutefois pas d’exprimer son désaccord avec les politiques du gouvernement actuel. "C’est une démocratie", reconnaît-il.

 

En glissant sur le sujet de la paix, du conflit entre Israéliens et Palestiniens, Zubin Mehta s’anime. Ce chapitre lui tient particulièrement à cœur. Il a d’ailleurs créé une organisation destinée à enseigner la musique aux Arabes israéliens, et donne, quand cela lui est possible, des concerts rassemblant musiciens juifs et arabes, à Saint Jean d’Acre, par exemple. Cependant, la lucidité prédomine chez cet homme : "ces rapprochements n’influent pas sur la situation d’ensemble".

 

Une petite esclaffe lui échappe quand je lui demande - candidement - quelles sont, selon lui, les principales barrières à la réconciliation entre les deux peuples. "Le manque de confiance réciproque", établit-il. Continuant : "ainsi que la présence, des deux côtés, d’éléments radicaux, qui ne souhaitent pas vivre ensemble". Il détaille : "Certains, parmi les deux peuples, le veulent. D’autres non ; et sans une envie de vivre côte à côte, rien n’est possible. La paix pourrait être simple…"

 

Absorbé par la musique et son environnement, Zubin Mehta n’en a pas pour autant oublié ses origines. La musique fait d’ailleurs partie de celles-ci. Son père, violoniste, créa et dirigea l’Orchestre Symphonique de Bombay. À l’âge de cinq ans, le petit Zubin dirigeait déjà des orchestres imaginaires, et, dès l’adolescence, il savait que sa place était devant les musiciens.

 

Zubin Mehta est né dans une famille perse, ces zoroastriens ayant quitté l’Iran pour l’Inde il y a 1300 ans, fuyant les persécutions religieuses de l’islam qui venait de conquérir la Perse. Mehta n’a pas oublié la trinité des principes zoroastriens, qui l’ont accompagné tout au long de sa vie : bonne pensées, bonnes paroles, bonnes actions.