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Le Crif : Nous avons assisté fin août à un niveau de polémique rarement atteint, opposant le chef du gouvernement israélien Benyamin Netanyahou et le Président de la République française Emmanuel Macron, sans parler des accusations portées ensuite par l’ambassadeur des États-Unis en France à l’encontre du chef de l’État et du gouvernement français. Qu’en pensez-vous ?
Patrick Klugman : Oui, ce niveau de polémique a été incroyable et regrettable mais mettons en perspective cette situation. D’un côté, il y a une situation à Gaza que je qualifierai de calamiteuse, du point de vue à la fois humanitaire pour les Gazaouis et du point de vue stratégique pour l’État d’Israël, dans la mesure où les opérations militaires, menées durement depuis la fin de la trêve qui avait eu lieu début 2025, n’ont pas abouti à la libération des otages israéliens, ni à la capitulation du Hamas, qui reste aux commandes partielles de Gaza même si cette organisation terroriste est fortement affaiblie.
Il y a de l’autre côté la position du Président français, qui a annoncé une volonté de reconnaissance de l’État palestinien alors que les otages sont toujours dramatiquement prisonniers du Hamas et que cette organisation – qui a commis, rappelons-le, la plus grosse attaque terroriste contre Israël depuis sa création en 1948 – garde le pouvoir dans la bande de Gaza. Ce qui est, de fait, une catastrophe aussi pour les Palestiniens, eux-mêmes prisonniers du mouvement islamiste. Cette annonce de reconnaissance, qui se ferait sans conditions, serait une grave erreur.
Le Crif : Pour autant, accuser d’antisémitisme ou d’amplifier l’antisémitisme le Président français – et tous ceux et celles qui critiquent la politique de Benyamin Netanyahou – cela va très loin dans la polémique. Estimez-vous que l’accusation, selon le mot d’Emmanuel Macron, est « abjecte » ?
Patrick Klugman : Il est heureux, oui, de considérer l’accusation d’antisémitisme comme abjecte. Benyamin Netanyahou a un raisonnement plus que simpliste, qui s’inscrit dans une polarisation radicale des positions, il considère que toute critique de sa politique est antisioniste et que tout antisionisme est antisémite. C’est absurde.
Le Crif : Dans cette logique, à en croire les sondages réalisés en Israël, plus de la moitié de la population israélienne, actuellement critique à l’encontre de ses choix politiques, serait antisioniste et antisémite ?...
Patrick Klugman : Cela n’a aucun sens, cela montre que cette polémique reflète autre chose. Une grande partie des Israéliens, et de la diaspora juive dans le monde, en France en particulier, divergent avec les positions de l’actuel chef du gouvernement israélien et de ses alliés extrémistes. Leurs critiques, qu’on les partage ou non, n’ont évidemment rien à voir avec l’antisémitisme. Des mouvements ou des personnalités, on le sait, sous couvert d’« antisionisme », propagent l’antisémitisme un peu partout, ils profitent naturellement de la situation, de la guerre à Gaza, pour diffuser leur haine à l’égard d’Israël et des Juifs, amalgamés et ciblés. C’est cela le danger, c’est l’infernal engrenage qu’il faut absolument enrayer.
Le Crif : Mais comment, à ce stade, sortir de cette situation désastreuse que vous évoquez à Gaza, et de l’amplification des haines antisémites ?
Patrick Klugman : La situation est grave et très compliquée mais ne sombrons pas dans un pessimisme absolu, une perspective peut être tracée. Israël a subi beaucoup d’épreuves, le 7-Octobre a été et reste un traumatisme, mais des évolutions peuvent avoir lieu. Il faut, à l’évidence, aboutir à une cessation de la guerre à Gaza car, comme je l’ai souligné, aucun résultat probant n’a été et ne peut être atteint par la voie militaire engagée depuis maintenant près de deux ans. L’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre 2023 appelait naturellement une réplique militaire forte mais une réplique efficace, qui aboutissent aux résultats annoncés : la libération des otages et la destruction du Hamas et de sa capacité de gouvernance de ce territoire. Or, deux ans après, comme l’ont relevé publiquement de très hauts responsables de sécurité et de défense israéliens, les opérations menées ont abouti à une situation humanitaire catastrophique à Gaza sans les résultats voulus.
Il faut donc que cette guerre cesse car seules les négociations peuvent aboutir à la libération des otages encore vivants, seule la voie politique et diplomatique peut permettre de dégager le Hamas de ce territoire et d’aboutir à une nouvelle gouvernance à Gaza avec la réalisation effective de ces deux conditions-clés, préalables à une future reconnaissance d’un État palestinien respectueux de l’État d’Israël, de sa sécurité. Ces conditions et garanties de sécurité pour Israël peuvent être obtenues par la voie diplomatique, non par une guerre sans fin qui aggraverait encore la situation. Par la voie diplomatique, des convergences peuvent avoir lieu utilement par exemple avec les États du Golfe, comme le Qatar et d’autres, l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis notamment, pour aboutir à la libération des otages du Hamas et à la fin des prétentions de gouvernance du Hamas à Gaza, quitte à ce que les derniers dirigeants combattants du mouvement islamiste encore vivants le reste, mais en exil.
Le Crif : Les signaux émis par le Premier ministre israélien ne vont pas vraiment dans le sens de la fin de cette guerre. Est-ce que les manifestations massives qui ont eu lieu à Tel Aviv sont de nature à le faire à terme changer d’avis ou cette perspective n’est-elle pas, à court terme en tout cas, très utopique ?
Patrick Klugman : Les choses peuvent évoluer dans un avenir, plus ou moins proche. Elles le devront. Non pas en vertu d’une utopie ou d’un idéalisme mais parce que c’est l’intérêt de l’État d’Israël qui prime et qui doit tracer cette direction de négociations et d’accords, diplomatiques et sécuritaires. Ces manifestations de Tel Aviv sont une bouffée d’oxygène pour tout le monde. Aucun autre pays au monde ne connaît une telle ampleur de protestation pacifique en proportion de sa population. Ces manifestations sont une bouffée d’oxygène aussi car elles tendent à désarmer tous ceux et toutes celles, dangereusement trop nombreux encore, qui cherchent par ce conflit à caricaturer Israël, à amalgamer les Juifs, à les cibler dans leur globalité, qu’ils soient citoyens israéliens ou citoyens français.
Nous vivons dramatiquement, ici en France, la vague d’antisémitisme, une haine devenue dangereusement d’atmosphère comme l’a qualifié Gilles Kepel, avec des menaces et des gestes d’agression qui ne cessent. Dans la solidarité et l’unité, il nous faut faire face avec force et détermination sans faille à ces haines et les manifestations massives de Tel Aviv conduisent aussi à espérer un avenir meilleur pour tous les Juifs, un avenir conforme aux grands idéaux humanistes du sionisme et de la démocratie israélienne, un avenir conforme, ici, aux principes et fondements de la République française, qui sont à défendre d’une manière implacable contre ceux qui travaillent à les saper.
Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet
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