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Par Marc Knobel, historien, directeur des Etudes au Crif
Selon la presse nationale, l’opération antiterroriste a mobilisé, mardi 2 octobre à l'aube, environ 200 policiers nationaux. Onze personnes ont été interpellées selon une source proche du dossier citée par l'AFP, après les perquisitions des locaux de l'association religieuse Centre Zahra France ainsi que les domiciles de ses principaux dirigeants. Trois personnes ont ensuite été placées en garde à vue. Selon la préfecture du Nord, qui a publié un communiqué quelques minutes après le début de l'opération, les activités de l'association sont «particulièrement suivies en raison du soutien marqué par ses dirigeants à plusieurs organisations terroristes et en faveur de mouvements prônant des idées contraires aux valeurs de la République (1)» Selon une décision inscrite mardi au Journal officiel, les fonds de l'association Centre Zahra France ont par ailleurs été gelés pour une durée de six mois, ainsi que ceux possédés, détenus ou contrôlés par quatre personnes: Yahia Gouasmi, Jamel Tahiri, Bachir Gouasmi et Abdelkrim Khalid (2). La préfecture du Nord a inscrit l'opération «dans le cadre de la prévention du terrorisme ».
Les perquisitions ont été rendues possibles grâce aux nouvelles dispositions de la récente loi antiterrorisme, adoptée en octobre 2017 (3).
Qui est le président du Centre ? Que fait le Centre ?
Le Centre Zahra est une association musulmane chiite du nord de la France. Il diffuse une propagande "antisioniste" très virulente. Au centre, se tiennent des conférences dont certains invités ont été condamnés pour antisémitisme. Mais surtout, le Centre Zahra France est l'un des principaux centres chiites d'Europe. Il héberge plusieurs associations parmi lesquelles le Parti antisioniste, la Fédération chiite de France ou France Marianne Télé.
Le président du Centre Zahra se nomme Yahia Gouasmi.
Yahia Gouasmi est né en 1949 en Algérie à Sidi Bel Abbès. À l’âge de 16 ans, il quitte son pays natal pour la France et s’installe à Calais. Il est pendant une période boucher hallal. En 1978, il rencontre l’Ayatollah Khomeiny, à Neauphle-le-château. En 1996 il se rend à l’Institut Al Mountadhar au Liban, au sein duquel il y entreprend des études religieuses. Ayant achevé avec succès son cycle d’études, il rentre en France et transmet son savoir aux futurs membres du Centre Zahra, qu'il fonde, selon Wikipedia. Il s’engage ensuite en politique, notamment pour dénoncer quasi exclusivement le sionisme. Suivent de nombreuses actions contre Israël, des rassemblements et manifestations diverses.
En février 2009, il crée le Parti antisioniste pour dénoncer l'idéologie sioniste en France, proche de Dieudonné. Selon le site Internet du mouvement, le président de l'association accompagne le polémiste en Iran en 2009 et les deux hommes sont reçus par le président iranien Mahmoud Ahmadinejad (4).
En 2009, le journaliste Boris Thiolay rencontre Yahia Gouasmi au siège du centre Zahra, l’association musulmane chiite fondée en 2005 et installée dans des bâtiments de brique rouge ouvrant sur une cour intérieure. Selon le site Internet du Centre, l’objectif de l’association est de faire connaître le message de l’islam chiite. Ses membres, parmi lesquels de nombreux convertis, viennent ici célébrer la prière, profiter «d’une structure d’accueil à caractère social, familial et religieux». Ils assistent aussi à «des colloques, des journées d’étude» ou animent le site de l’organisation. Cependant, la consultation de ce site révèle rapidement une autre activité récurrente, la diffusion d’images et de déclarations antisionistes très virulentes, selon l'enquête de Boris Thiolay de L’Express (5).
Le 20 février 2009, On peut ainsi visionner, sous la rubrique «Galerie photos», des images terrifiantes, comparant le sort des Juifs durant la Guerre mondiale à celui des Palestiniens face à l’armée israélienne. Le reportage s’intitule «Le nazisme d’hier et le sionisme d’aujourd’hui». Un amalgame qui va bien au-delà de la seule critique du sionisme. En 2009 toujours, L'Express informe qu'une quarantaine de militants du Centre Zahra France et du Parti antisioniste ont rejoint des manifestations pro palestiniennes, à Paris, avec des drapeaux du Hezbollah et des drapeaux israéliens marqués de croix gammées (6).
Surtout, les vidéos de Yahia Gouasmi soulignent une obsession pour l'antisionisme. «Le mois de ramadan fera disparaître Israël», promet-il notamment, avant d'envisager le «programme de la disparition d'Israël». Sur son site toujours, en mai 2016, cette fois, l’association poste un article condamnant «le groupe terroriste dirigé par le Calife autoproclamé Abou Bakr al-Baghdadi depuis le 29 juin 2014» (le chef du groupe État islamique), mais le qualifiant de... «projet nazi socialo-sioniste» (7).
Autre exemple : le site Internet fait état d’une conférence organisée au centre Zahra, en juillet 2008. Lors de ces journées consacrées à un improbable « appel à l’initiation d’une alliance stratégique amicale entre judaïsme et islam contre le sionisme», on voit défiler des personnages coutumiers de déclarations incendiaires, parmi lesquels Dieudonné, toujours (8). À l’époque, Dieudonné ne s’est pas encore affiché avec le négationniste Robert Faurisson, mais il a déjà été condamné pour diffamation publique à caractère racial, notamment pour avoir qualifié la Shoah de «pornographie mémorielle (9)». Parmi les participants à la conférence de juillet 2008, on trouve aussi Mohamed Latrèche, président du Parti des musulmans de France, qui fustige la «nébuleuse sioniste en France». En 2004, Latrèche se déclare «fier et content de connaître Serge Thion», un chercheur révoqué du CNRS pour... négationnisme (10). Le centre Zahra accueille également, en août 2008, Kémi Seba, un extrémiste noir dont le premier mouvement, la Tribu Ka, a été dissous en 2006 pour incitation à la haine raciale et antisémitisme (11). Seba, qui s’est converti depuis à l’islam, dirige alors le Mouvement des damnés de l’impérialisme (MDI). Il multiplie les provocations et les déclarations de sympathie pour le Hezbollah libanais.
Conspiracy Watch rapporte qu’en 2009 Yahia Gouasmi décide de s’associer à la démarche du tandem Dieudonné-Soral, qui entend présenter une ou plusieurs listes «antisionistes» aux élections européennes (12). Lors d’une conférence de presse commune avec les deux hommes, il déclare :
«Le sionisme a gangrené notre société. Il occupe une place majeure qui ne lui est pas destinée. Il gère les médias. Il gère l’éducation de nos enfants. Il gère notre gouvernement… et tout cela pour l’intérêt de l’étranger. L’intérêt de l’entité sioniste israélienne. Nous sommes là pour leur dire que la chevalerie est arrivée pour stopper ce sionisme qui gangrène notre pays. […] Une fois [qu’ils] se sont stabilisés, une partie d’entre eux se sont développés dans le sionisme […]. Ils ont pris le pouvoir en France, le pouvoir des médias, les trusts, la politique. Croyez-moi : gauche comme droite n’est que du sionisme. Il n’y a rien d’autre. Tout ça c’est une magouille, à grande échelle. Et nous sommes là pour la dénoncer. Et dénoncer tous les hommes politiques qui font l’apologie et le soutien du sionisme, quels qu’ils soient, et dire qui sont les vrais Français et qui défend les intérêts de la nation.»
Mobilisation du gouvernement
Depuis de nombreuses années, Yahia est surveillé par les services de contre-espionnage français. Dans une déclaration, Gérard Collomb, le ministre de l’Intérieur, rappelle que «la lutte contre les lieux diffusant des messages de haine est une priorité du gouvernement, sa mobilisation contre tous ceux et toutes celles qui prônent la violence est totale.» Et, dans un tweet, Gérard Collomb écrit :
«Grande-Synthe : j’exprime ma reconnaissance à l’ensemble des forces engagées ce matin. 3 personnes ont été placées en garde à vue pour détention illégale d’armes et le préfet du Nord engage une procédure de fermeture de la salle de prière du centre "Zahra France» (13). Affaire à suivre, donc.
Notes :
1) AFP, 2 octobre 2018.
2) Le Figaro, 2 octobre 2018.
3) Europe 1, 2 octobre 2018. La loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT) est entrée en vigueur le 30 octobre 2017 pour prendre le relais de la lutte antiterroriste lorsque l'état d'urgence a pris fin. Elle permet notamment, par des arrêtés, de mettre en place des périmètres de protection pour sécuriser des lieux ou des événements (comme la braderie de Lille), de fermer des lieux de culte (jusqu'à six mois maximum), d'assigner à résidence une personne faisant l'objet de mesures de contrôle et de surveillance, ou bien de mener des perquisitions comme c'était le cas ce matin du 2 octobre à Grande-Synthe.
4) Sur le voyage de Dieudonné en Iran, voir Marc Knobel, Haine et violences antisémites. Une rétrospective 2000-2013, Paris, Berg International Editeurs, 2013, pp. 55-67. Voir aussihttps://dailynord.fr/2009/11/
5) Boris Thiolay, « Les amis très particuliers du centre Zahra », L’Express, 27 février 2009
7) https://www.centre-zahra.com/
8) Boris Thiolay, « Les amis très particuliers du centre Zahra ibid.
9) Marc Knobel, Haine et violences antisémites, op.cit.
11) Sur Kemi Seba, voir Marc Knobel, Haine et violences antisémites. Une rétrospective 2000-2013, Paris, Berg International Editeurs, 2013, pp. 62, 237, 332.
12) Conspiracy Watch est le site Internet du conspirationnisme et de la théorie du complot. Voir aussi : http://archives-lepost.