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« À quoi sert le peuple juif ? » se demandait dans un récent colloque organisé par le CRIF, Alexandre Jardin. Sa réponse : « Le peuple juif roule pour l’humanité » satisferait sans nul doute Daniel Sibony qui, d’entrée de jeu, définit l’objectif de sa réflexion : « Pour un meilleur usage du peuple juif ».
« Toujours imité, jamais égalé », pour reprendre un slogan publicitaire classique, le judaïsme a inspiré largement le christianisme et l’islam, qui, peu reconnaissants, ont vite considéré qu’il devait dès lors disparaître et leur laisser la place. C’est ce que Sibony appelle « écumer l’autre de sa substance et s’étonner de le voir tout sec, et de voir qu’il est toujours là ». Avec un zeste de houtspa, de culot comme pour signifier au judaïsme : « Ce que vous dites est tellement intéressant que vous devriez disparaître pour que tout le monde en profite ».
« En effet, nous dit l’auteur, le christianisme rassemble tous les points prometteurs de la Bible, et les incarne dans Jésus-dont les paroles et les gestes sont point par point calculés, articulés sur les nœuds essentiels du Texte hébreu- pour que Jésus apparaisse comme leur pur accomplissement. L’islam ne retient de la Bible que les fureurs de YHVH contre son peuple ; celui-ci est donc rejeté, et ses membres n’ont d’autre issue que de se reconnaître musulmans comme l’étaient déjà, avant la lettre, leurs grands ancêtres (Abraham, Isaac, Jacob, Moïse, Joseph, etc.), puisque « musulman » signifie « soumis à Dieu ». S’ils refusent, ils sont traîtres à leur message-ce qui est souvent vrai, on l’a vu, le contraire est impossible. La faille existentielle devient ainsi une faillite fondamentale de ce peuple » (Le Coran dit même, « une perversion »). Reliant le passé au présent, Sibony n’hésite pas à considérer la terrible accusation de déicide que le peuple juif aura finalement supportée pendant presque vingt siècles comme « une sorte de rapport Goldstone qui attendrait des millénaires pour être démenti ». Les détracteurs du judaïsme en sont finalement pour leurs frais face à un peuple qui montre que son « existence est increvable ». Dépités, les adversaires du peuple juif s’en prennent à Israël. « On comprend que les dirigeants palestiniens refusent de reconnaître Israël comme État juif. Ils veulent bien le reconnaître comme État de fait, avec l’espoir qu’un jour, à moyen terme, la pression démographique en finisse avec l’idée de souveraineté juive ». Une position qui frise le délire quand on se met à dire « Ramallah, c’est Auschwitz » ou que « Nous aussi, nous vivons une Shoah à Gaza et dans les Territoires ». La politique rejoint la psychanalyse et Sibony considère l’attitude arabo-musulmane comme un refoulé originaire inavoué qui fait prendre aux dirigeants palestiniens en particulier et arabes en général, des décisions souvent ratées car ils veulent « effacer à long terme l’État juif en tant qu’objection vivante à la plénitude islamique telle que son Texte fondateur l’a inscrite ».
Le christianisme, puis l’islam, étaient tout à fait en droit de s’inspirer du judaïsme. « Cela dit, lorsqu’on écrit son Livre sur le texte d’un autre, au prix d’une adaptation, on ne lui doit pas des droits d’auteur. En revanche, on se doit de surmonter l’envie, trop humaine, de l’effacer. Si on tient à l’effacer, on perd l’altérité qu’il représente, et surtout, les chances d’ouvrir sa propre écriture au-delà de ce qu’on a pris. Les chances d’ouvrir l’identité sur un mouvement existentiel. En refusant de reconnaître cet autre, on se piège dans un narcissisme d’autant plus agressif qu’il peut se sentir harcelé par l’existence singulière, par les questions qu’elle ouvre, qui interpellent les autres sur les réponses qu’ils apportent ».
Plusieurs chapitres de l’ouvrage sont consacrés à la Shoah et Sibony s’élève avec force contre ceux qui prétendent qu’Israël est né de cette catastrophe alors que l’espérance du retour à Jérusalem est millénaire.
Daniel Sibony, adepte de la psychanalyse-éthique, à la recherche du « point d’amour originaire » à travers ce qu’il appelle le « parlécrit », n’hésite pas, à l’occasion à jouer sur les mots (« Ma mère araignée, oui ma mère a régné », « Dieu serait le commencemanque du monde »). Il nous offre, avec ce nouveau livre, un véritable régal pour l’esprit. (1)
Jean-Pierre Allali
(1) Éditions Odile Jacob. Janvier 2012. 352 pages. 25,90 euros
(2) Parmi les dernières productions de Daniel Sibony, on pourra lire avec intérêt « Le sens du rire et de l’humour », Éditions Odile Jacob, 2010. (Voir notre recension dans la Newsletter du 09-12-2010) et « Marrakech, le départ », Éditions Odile Jacob, 2009. (Voir notre recension dans la Newsletter du 07-01-2010.