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Le Crif : Dix ans après les tragiques attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, quelles leçons tirez-vous aujourd’hui ?
François-Xavier Bellamy : Si on regarde le chemin parcouru ces dix dernières années, il faut affronter lucidement un constat qui n’a rien pour rassurer. Au lendemain de ces attentats de janvier 2015, la France était unie comme rarement ; elle connaissait les manifestations les plus massives de notre histoire depuis la Libération. Dix ans après, les combats qui nous rassemblaient ne sont plus si partagés.
J‘ai gardé une colère profonde de ce moment où, après le 7-Octobre, la grande marche citoyenne contre l’antisémitisme a été considérée, jusqu’au plus haut sommet de l’État, comme un engagement trop clivant, quand il aurait dû être une évidence. Alors que beaucoup de nos compatriotes de confession juive sont frappés par l’explosion des actes antisémites en France, par la montée de la violence, verbale et physique, par le retournement accusatoire qui leur est opposé, Israël étant accusé de « génocide » après avoir subi l’attaque du 7-Octobre... Tout cela démontre, dix ans après ces attentats, que le combat est plus nécessaire que jamais. Commémorer, ce n’est pas seulement faire acte de mémoire, c’est poursuivre ce combat avec détermination.
Le Crif : Depuis plusieurs années, l’État a renforcé très nettement les moyens de lutte contre le terrorisme, de nombreux attentats ont été déjoués – neuf en 2024, a précisé l’actuel ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau. N’y a-t-il pas des progrès dans cette lutte, dans les actions des services de sécurité ?
François-Xavier Bellamy : L’État, les services de police, de gendarmerie, de renseignements font un travail remarquable, sous l’autorité du ministre de l’Intérieur. Mais je partage ce qu’a dit Dominique Reynié pendant la soirée de commémoration organisée par le Crif et Charlie Hebdo : nous ne pouvons pas tout attendre de l’État, et des forces de sécurité. L’enjeu majeur, c’est ce qu’il se passe dans la société. C’est dans la société qu’il faut lutter pied à pied contre la montée de l’antisémitisme. Je le dis aussi comme professeur : si nous laissons l’école plier face à l’islamisme, nous serons un jour débordés, quelle que soit la détermination des forces de l’ordre aujourd’hui. Le courage et le dévouement de ceux qui nous protègent ne peuvent nous exonérer de la bataille – intellectuelle, culturelle, politique – qu’il faut mener sans relâche face à ceux qui légitiment, même dans le débat public, les attentats tels que ceux que nous avons subis il y a dix ans.
Le Crif : Concernant le Proche-Orient et en particulier la Syrie après la chute du régime de Bachar al-Assad, comment analysez-vous les premiers pas du nouveau régime syrien, comment appréhendez-vous l’avenir ?
François-Xavier Bellamy : On ne peut que se réjouir de la chute du régime de Bachar al-Assad, avec le peuple syrien qui a tant souffert, et avec toutes les victimes de cette dictature féroce. Je pense aussi aux Libanais qui ont subi l’occupation syrienne, la crise des réfugiés, et la violence du Hezbollah, milice islamiste alliée d’Assad.
Il faut néanmoins rester lucide ; le nouveau régime en Syrie a été porté au pouvoir par des islamistes qui se revendiquent comme tels, même s’ils cherchent aujourd’hui à donner des gages à leurs voisins. Il faut rester vigilant sur la nature de ce régime et de ses intentions.
Le Crif : Les messages du nouveau président syrien ont été adressés en proximité avec les États du Golfe et l’Arabie Saoudite en particulier. Est-ce un signe à vos yeux positif, pouvant indiquer notamment que l’isolement de l’Iran s’accentue et, par ailleurs pour Israël, qu’un élargissement des Accords d’Abraham est possible ?
François-Xavier Bellamy : Pour les Accords d’Abraham, c’est sans doute un peu tôt pour le dire. Ce nouveau régime promet que la Syrie ne sera pas une base de départ d’actions terroristes ou d’une guerre contre l’État hébreu. Il faut néanmoins rester très vigilants ; cette vigilance doit aussi s’exercer en Europe, car la menace islamiste n’a bien sûr pas disparu. Le danger existentiel qu’affronte Israël est aussi celui qui pèse sur nos pays, sur le plan sécuritaire, mais aussi par l’ingérence dans nos démocraties. Je le vois tous les jours au Parlement européen où nous sommes confrontés à des actions d’entrisme de la part d’organisations islamistes ou d’organisations qui, sous couvert de promotion de la diversité ou de l’antiracisme, se font les promoteurs de cette idéologie mortifère. Nous avons le devoir de garder les yeux ouverts et de ne pas lâcher un centimètre de terrain, en particulier dans nos universités.
Le Crif : Comment voyez-vous l’année 2025, du point de vue de la politique intérieure française ? Le gouvernement Bayrou peut-il réussir une stabilité politique que n’a pas pu assurer le gouvernement Barnier, le Premier ministre précédant, issu de vos rangs LR ?
François-Xavier Bellamy : La France a besoin de stabilité. C’est pourquoi, malgré toutes les difficultés, nous avons fait le choix de nous engager dans l’exécutif pour avancer sur les problèmes les plus urgents auxquels le pays est confronté. Bruno Retailleau fait un travail remarquable pour la sécurité, la protection des Français, comme Annie Genevard sur la question cruciale de l’agriculture. Notre famille politique est en première ligne pour faire des mois qui viennent une période utile pour le pays.
Mais s’il faut de la stabilité, ce n’est pas à n’importe quel prix. Je suis inquiet d’entendre l’évolution des discussions en cours entre le ministre de l’Économie et plusieurs formations de gauche. Bien sûr, il faut parler avec toutes les formations politiques, mais nous ne pouvons pas abandonner le principe de réalité, dans la crise que nous traversons.
Le Crif : C’est-à-dire ?
François-Xavier Bellamy : La stabilité budgétaire et financière du pays n’est pas négociable. Ceux qui veulent un retour en arrière sur la réforme des retraites alors que la France connaît déjà une trajectoire budgétaire très dangereuse prennent un risque majeur pour la stabilité et la souveraineté du pays. Ce n’est pas une question de partis, c’est l’avenir du pays qui est en jeu. Aggraver aujourd’hui nos déficits serait totalement irresponsable. De même qu’augmenter la fiscalité, alors que la France a le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé de l’OCDE...
Ce n’est pas en augmentant les impôts que nous résoudrons les problèmes que nous connaissons, au contraire, il faut redonner de la compétitivité au pays pour qu’il puisse retrouver son élan ; cela ne peut passer que par un plan d’économie enfin sérieux pour baisser la dépense publique. Je suis très inquiet du risque d’un point de bascule préoccupant pour ceux qui travaillent, qui produisent, qui investissent, cela mettrait en cause la stabilité du pays.
Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet
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