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Publié le 1 juin dans Le Figaro
Le projet de nouvelle loi antiterroriste et renseignement examiné à partir du mardi 1er juin par l'Assemblée fait le pari de mesures supplémentaires pour faire face à la menace des sortants de prison condamnés pour terrorisme ou radicalisés, sur fond de surenchère à droite. Près d'un an après la censure par le Conseil Constitutionnel d'une proposition de loi LREM instaurant des mesures de sûreté, le gouvernement prend le relais avec ce projet de loi. Il vient donner un second souffle à deux textes adoptés en 2015 et 2017. Il comporte également un nouveau volet destiné à répondre à cet enjeu sécuritaire majeur mais qui représente aussi un défi en termes de libertés publiques.
Même si la justice n'a pas pour l'heure retenu la qualification terroriste, l'agression vendredi d'une policière municipale près de Nantes par un ex-détenu radicalisé au profil psychologique très perturbé, pourrait peser au moment des débats, notamment à droite où l'on souhaite muscler la réponse de l'État, jusqu'à parfois sortir de l'État de droit. Numéro 2 des LR, Guillaume Peltier a ainsi suscité un tollé dans son propre camp en demandant en matière de terrorisme le rétablissement d'une «Cour de sûreté» qui «au cas par cas, pourrait placer en rétention de sûreté», sans possibilité d'appel. Guillaume Peltier, également député, n'a cependant pas déposé d'amendement reprenant cette proposition choc.
Avec en toile de fond l'inquiétude de tous les acteurs de la lutte antiterroriste sur les menaces autour de la libération de ces détenus, le gouvernement et la majorité proposent deux mesures pour éviter leurs «sorties sèches». D'abord, le passage d'un à deux ans des «mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance» (Micas), les ex-assignations à résidence créées par la loi sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme (Silt) de 2017. De l'autre, la création ad hoc d'une «mesure judiciaire de réinsertion sociale antiterroriste». Saisi en amont de l'examen, le Conseil d'État a déjà froncé les sourcils sur la nouvelle mouture des Micas. Gouvernement et majorité jouent donc une partie serrée. «Nous sommes sur une ligne de crête» entre ordre public et libertés individuelles, convient l'un des corapporteurs LREM, Raphaël Gauvain. «Sur un plan constitutionnel, nous prenons notre risque», a reconnu le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin.
En demandant le port obligatoire de bracelet électronique ou l'instauration de mesures de sûreté, les députés de droite voudront durcir le texte avec en ligne de mire une revendication: changer la Constitution. La gauche, LFI en tête, sonnera l'alarme sur les libertés. Un total de 443 amendements a été déposé sur le projet de loi mais son équilibre ne devrait pas être bousculé en séance.
Annoncé dans la foulée de l'attentat contre une fonctionnaire de police à Rambouillet (Yvelines), ce nouveau projet de loi était programmé de longue date pour réviser la loi Silt et celle sur le renseignement de 2015. Pour les dispositions de Silt, il s'agit de pérenniser quatre mesures de police administrative qui avaient fait entrer des outils de l'état d'urgence post-attentats de 2015 dans le droit commun: périmètres de sécurité, fermeture administrative de lieux de culte, Micas et «visites domiciliaires».
Autre volet du projet de loi: le renseignement. Le gouvernement tire les conséquences des évolutions technologiques et juridiques de ces cinq dernières années. Là encore, peu ou pas de bouleversements sont attendus. «Les lois sur le renseignement se font au-delà des frontières habituelles» entre partis, résume Loïc Kervran (Agir), corapporteur. Les services disposeront d'un régime particulier de conservation des renseignements pour améliorer les outils d'intelligence artificielle, pourront intercepter des communications satellitaires. La technique dite de l'algorithme qui permet d'analyser des données de navigation sur Internet fournies par les opérateurs télécoms, pérennisée, est étendue aux URL de connexion.
Le projet de loi traduit les conclusions d'un arrêt du Conseil d'État relatif à la conservation généralisée des données à des fins judiciaires et de renseignement. Une décision «très importante», juge Guillaume Larrivé (LR) car elle permet de «consolider le régime français du droit du renseignement» menacé par la justice européenne. Au menu jusqu'à jeudi, le projet gouvernemental propose en outre de libéraliser l'accès à certaines archives, sans dissiper les craintes d'historiens.