Jean-Pierre Allali
Photo du « premier rabbin d’Arabie Saoudite », Yaacov Israël Herzog, publié sur son compte X (ex-Twitter) @RabbiHerzog
Tous les commentateurs s’accordent à penser que c’est le rapprochement imminent entre Israël et l’Arabie Saoudite qui a été à l’origine du pogrom du 7-Octobre 2023, l’Iran et ses alliés ne supportant pas l’idée d’une telle évolution. Il semble toutefois que contre vents et marées, on s’achemine vers une normalisation des relations entre Jérusalem et Ryad et, parallèlement, à l’émergence d’une communauté juive en Arabie Saoudite.
En témoigne l’arrivée, sur place, il y a quelque temps, du rabbin Habbad, Yaacov Israël Herzog. S’il n’y a pas de communauté juive locale au sens strict du terme, il convient de répondre aux besoins spirituels des 15 000 « travailleurs » Juifs venant des États-Unis, d’Amérique du Sud, du Royaume Uni et de France, recrutés sur la base de divers contrats. Et si, pour l’heure, l’activité se limite à l’organisation de prières, l’avenir est prometteur car le rabbin Herzog envisage la création d’un Centre communautaire comprenant une synagogue, un mikvé et une école.
Ces bonnes nouvelles ont démarré il y a un an et demi. Coup sur coup, en septembre et en octobre 2023, deux ministres israéliens se sont rendus à Ryad. Cela a commencé par le ministre du Tourisme, Haïm Katz qui a assisté à la Conférence de l’Organisation Mondiale du Tourisme des Nations unies le 27 septembre. Quelques jours plus tard, le 2 octobre, c’était au tour du ministre des Communications, Shlomo Karhi, d’être accueilli, en compagnie du président de la Commission de l’Économie de la Knesset, David Bitan et d’une forte délégation de 14 membres au pays des Émirs. Et, cerise sur le gâteau, les Israéliens ont été invités à visiter la souccah dressée en leur honneur par Mohammed Saud, un partisan convaincu de l’amitié israélo-saoudienne.
Cela peut paraître étonnant, voire surréaliste car actuellement et conformément à la loi en vigueur, les Juifs non pas droit de cité dans le pays de La Mecque et de Médine. Pourtant, dans les années 1990, on a compté plusieurs milliers de Juifs en Arabie Saoudite.
En effet, dans le cadre de l'envoi de troupes américaines à la suite de la crise du Golfe, on a dénombré, en octobre 1990, quelque 8 000 soldats juifs américains stationnés dans la péninsule dont un certain nombre à bord de navires. Rien d'étonnant à cela puisque l'armée américaine compte 1 % de Juifs.
Une partie de ces Juifs étant religieux, 48 rabbins aumôniers ont accompagné ce contingent. Et bien qu'il ait été convenu avec les autorités saoudiennes que les plaques d'identification des soldats US ne comporteraient pas de mention de leur religion, la présence juive en Arabie, quoique discrète, n'est pas passée inaperçue. Annonçant l'arrivée au royaume du roi Fahd du rabbin Romer, rapidement surnommé « Le rabbin d'Arabie Saoudite », le magazine Actualité Juive [1] titrait : « Le rabbin est arrivé ». Une arrivée en fanfare puisque ce fut l'occasion de faire retentir dans le désert, le son du chofar, la corne de bélier des festivités juives. Dans France-Soir, le comédien américain Kirk Douglas écrivait : « Je dirais que nous vivons une comédie noire et curieuse. Parmi les soldats envoyés en Arabie Saoudite pour défendre le territoire, il y a des Juifs américains. [2] ».
Envoyé sur place, Paul Amar, présentateur du 19/20 arrive peu avant Yom Kippour. Il déclare : « C'est mon premier Kippour loin de ma famille et de surcroît en terre d'islam » [3].
Pour Pourim, les soldats juifs ont reçu des Méguilot [4], des « Hamantaschen » et gâteaux traditionnels. Pour Pessah, la Pâque juive, on leur a attribué des kits contenant une Haggada [5], des matzot [6], des biscuits, du gefilte fish [7], du thon et des bouteilles de jus de raisin.
D'autres occasions se sont présentées pour assurer, de manière fortuite et limitée dans le temps, une présence juive en Arabie Saoudite.
Ainsi, entre le 10 et le 11 janvier 1991, un pont aérien a relié Israël à l'Arabie Saoudite. Il s'agissait de transporter une douzaine de bacs destinés au franchissement de canaux et de fossés antichars. Un an plus tard, en janvier 1992, sept membres du Congrès Juif Américain se sont entretenus à Ryad avec le prince Saoud, ministre des Affaires étrangères.
En décembre 1999, lors de la rencontre entre la secrétaire d'État américaine Madeleine Albright avec le roi Fahd et le prince Abdullah, Aaron Miller, membre de la délégation a réuni dans sa chambre d'hôtel plusieurs journalistes pour allumer avec eux les bougies de Hanouka [8].
Plus tard, en avril 2014, le bruit a couru d'une rencontre entre le chef du Mossad et Bandar Bin Sultan, patron des renseignements saoudiens.
En juin 2016, a eu lieu une nouvelle rencontre à Washington, entre le prince Fayçal et le général Yaakov Amidror.
Enfin, en juillet 2016, un ancien général saoudien, Anwar Eshki, à la tête d'une délégation d'universitaires et d'hommes d'affaires, s'est rendu en Israël, où il a rencontré le directeur général du ministère des Affaires étrangères, Dore Gold, le coordinateur des activités gouvernementales en Cisjordanie, le général Yoav Mordehaï et des parlementaires de la Knesset.
En août 2016, la presse d'Arabie Saoudite a lancé une campagne favorable aux Juifs et au judaïsme par le biais d'une série d'articles signés par les plumes les plus réputées du royaume.
Petite ombre au tableau : le même mois et dans un tout autre domaine, aux Jeux Olympiques de Rio, la judoka saoudienne, Joud Fahmy, par crainte d'avoir à rencontrer l'Israélienne Gili Cohen, a déclaré forfait face à la Mauricienne Christianne Legentil. Ce n’est désormais qu’un mauvais souvenir.
En 2025 il n'y a pas encore de communauté juive organisée en Arabie Saoudite, mais, au train où vont les choses, qui sait ?
Jean-Pierre Allali
[1] 26-09-1990.
[2] 02-10-1990.
[3] Actualité Juive, 17-10-1990.
[4] Rituel de la fête.
[5] Rituel de la fête.
[6] Pain azyme
[7] Plat de poisson
[8] Fête juive des Lumières.
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