Ancien Président du CRIF
Tzachi Hanegbi, chef du Conseil National de Sécurité, a précisé que l’échange des prisonniers ne commencerait pas aujourd’hui 10 heures, heure locale, moment exact de ma chronique à Radio J, mais demain. Ce report, dont le Premier ministre israélien n’avait pas parlé dans son allocution, serait dû au fait que Israël n’a pas encore reçu la liste des premiers otages libérés et que les modalités pratiques de leur libération ne sont pas encore finalisées.
Autrement dit, l’arrêt des opérations militaires (les porte-paroles de l’armée israélienne préfèrent parler de pause opérationnelle plutôt que de cessez-le-feu), n’aura lieu que vendredi 24 novembre. Elle devrait durer au moins quatre jours.
Dans cet intervalle, cinquante otages israéliens, des femmes et des enfants, c’est-à-dire des jeunes de moins de 19 ans, seront libérés par le Hamas par groupes de dix pendant qu’un nombre trois fois plus élevé de détenus palestiniens, 150 donc, des femmes et des jeunes qui n’ont pas commis d’assassinat, seront libérés par Israël au fur et à mesure et renvoyés chez eux, en général à Jérusalem ou en Cisjordanie. Plusieurs centaines de camions apporteront une aide alimentaire aux habitants de Gaza dont une énorme majorité est aujourd’hui concentrée dans le sud de l’enclave, dont la population a augmenté d’environ 1 500 000 habitants venus du nord où a eu lieu l’essentiel des bombardements. Un tel surpeuplement, associé à l’usage d’une eau polluée (et les prélèvements de matériel du Hamas ont joué un grand rôle dans la pollution de la nappe phréatique) fait peser un risque épidémique. Sans même parler de l’aspect humanitaire, l’armée israélienne n’est pas prête à courir un tel risque.
Nul ne sait comment les choses vont évoluer, si les otages seront libérés comme prévu et si l’accord sera étendu à d’autres catégories. Le gouvernement israélien a précisé que chaque libération d’un otage supplémentaire entraînerait une libération de trois Palestiniens et que chaque libération de dix otages entraînerait un jour d’arrêt supplémentaire des opérations militaires. Cinquante otages libérés, cela signifie un sur cinq : beaucoup de familles savent qu’ils ne reverront pas les leurs dans ce premier contingent et on imagine leur déception, mais l’espoir d’une nouvelle fenêtre d’opportunité vaut mieux que la certitude d’une porte close.
De plus, le Hamas s’est engagé à ce que la Croix Rouge Internationale (CRI) puisse visiter les otages. Ceux-ci vivent un enfer et leurs familles aussi, ne sachant souvent pas s’ils sont morts ou vivants, et en quel état. La Croix Rouge, si elle peut donner ces informations, retrouverait une feuille de vigne de respectabilité. Son silence pendant plusieurs semaines a rappelé aux Juifs de sinistres antécédents historiques, alors que circulent en Israël des histoires d’assassinats d’otages et que le Hamas prétend ignorer où se trouvent certains prisonniers.
Bien sûr cet accord pourra capoter d’un instant à l’autre, sur décision du Hamas ou du Djihad islamique. Mais le fait est là : si le Hamas a accepté un accord dans des conditions moins avantageuses qu’on ne le redoutait, ce n’est pas par un sursaut d’humanité, c’est qu’il en a besoin. Et le Hezbollah aussi, qui a signalé qu’il suivrait la pause.
On peut donc penser que l’action de l’armée israélienne a imposé au Hamas la nécessité d’une pause pour gagner du temps, rétablir ses réserves et ses communications et peut-être de mettre ses dirigeants à l’abri. Israël s’est trouvé, se trouve encore, dans un dilemme épouvantable : comment éliminer le Hamas qui est une menace existentielle et en même temps sauver les otages alors qu’une seule a été libérée par l’armée des griffes des terroristes. La population israélienne avait plus ou moins admis que cette guerre menée théoriquement pour sauver les otages devait se dérouler malgré les otages.
Ce n’est que depuis peu que cette question est passée au premier plan de la scène politique, grâce à l’énergie des familles qui a emporté la conviction de la grande majorité de la population. Celle-ci considère désormais que la libération des otages est un impératif, même si le prix à payer est lourd. C’est là une manifestation, une de plus, de l’admirable force morale qui soude une société israélienne finalement moins divisée qu’on ne le redoutait. Cette société se serait délitée si le pays avait adopté une attitude de faiblesse, cherchant à tout prix à négocier avec les ravisseurs, mais elle aurait contredit ses valeurs de base si elle n’avait demandé que l’efficacité militaire.
Chacun se souvient de l’échange de Guilad Shalit contre 1 027 prisonniers palestiniens dont certains étaient des terroristes endurcis, tels le sanguinaire Yahia Sinwar, chef actuel du Hamas, l’homme même qui est aujourd’hui contraint, depuis son repère de Gaza, d’accepter un accord bien différent de celui de 2011.
L’armée et les services de renseignement ont assuré qu’une pause prolongée ne nuirait pas aux capacités offensives de Tsahal, et que le renforcement du Hamas pendant la pause pouvait être contrôlé. Au Conseil des Ministres, seuls Ben Gvir et ses affidés, du haut de leur incompétence militaire et de leurs carences morales, se sont opposés à l’accord. C’est bon signe.
L’accord sur les otages a été élaboré sous la houlette des États-Unis, du Qatar et de l’Égypte. Si cet accord est un succès, même partiel, il faudra rendre hommage à Jo Biden. Il n’a pas cherché à privilégier les otages américains, il a négocié en pleine coopération avec les Israéliens et il ne retirera aux États-Unis aucun bénéfice électoral de la conclusion de cet accord. Ce président est un « Mentsh ».
Bien sûr, le Qatar renforcera son image de pacificateur politique, ce qui est dangereux à terme pour Israël, puisque c’est le fief des Frères Musulmans…
Bien sûr, le Hamas augmentera son prestige auprès de ses stupéfiants partisans, tels les étudiants aussi décérébrés que diplômés de certaines universités américaines…
Bien sûr, les journaux de la bonne pensance vont amalgamer, ils ont déjà commencé, les otages israéliens et les détenus palestiniens, maintenant qu’ils ont déjà amalgamé les victimes de bombardements et celles de barbaries indicibles et préméditées.
Bien sûr surtout, il sera difficile pour les Israéliens de reprendre les combats une fois que les échanges de prisonniers s’arrêteront. Netanyahou a été très clair à ce sujet et je pense que la grande majorité de la population israélienne partage ici son point de vue. La guerre continuera. Car il n’est pas possible de faire la paix avec des gens qui ne rêvent que de vous exterminer.
Bien sûr enfin, il y aura d’innombrables critiques, mais contrairement à la plupart des Occidentaux, les Israéliens connaissent la signification coranique du mot trêve, « hudna » et ils savent que ce mot n’est pas la paix, mais une promesse de guerre dans le futur.
Richard Prasquier, Président d’honneur du Crif
- Les opinions exprimées dans les billets de blog n'engagent que leurs auteurs -