Editorial du président
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Publié le 19 Juin 2012

Vous avez dit déportation?

Le 23 mai 2012, il y a près d’un mois, un millier d’habitants du quartier Hatikvah, dans le sud-est de Tel-Aviv participaient à une manifestation pour demander l’expulsion des migrants africains qui, concentrés en grande partie  dans ce quartier délabré, étaient rendus responsables de conditions de voisinage particulièrement intolérables. Cette manifestation est devenue violente; des cris de haine ont été lancés, des Africains ont été insultés et/ou pourchassés. Certains députés populistes présents sur place ont accompagné les slogans, et la situation a failli devenir incontrôlable. On sait, et les Juifs doivent le savoir plus que les autres, où peuvent mener les débordements d’une foule en proie à la folie raciste. Heureusement, la police est intervenue efficacement et il n’y a pas eu de victimes à déplorer.

Richard Prasquier

Bien sûr, l’Etat doit se défendre, bien sûr, il doit construire une clôture dans le Sinaï pour empêcher les infiltrations, bien sûr, il nous est facile de donner des conseils depuis notre tranquillité extérieure. Mais il n’empêche…

Il y a eu une contre-manifestation pour rappeler les valeurs du judaïsme, plusieurs hommes politiques ont déploré ces dérives, et il faut dire avec force que ces manifestations racistes sont honteuses, aussi justifiées que puissent être les récriminations des habitants devant une situation sociale qui s’est détériorée depuis quelques années et a été apparemment négligée par les pouvoirs publics. Ceux qui protestent avec furie sont aussi des victimes, mais cela ne les exonère pas de leur responsabilité.

 

Il y a eu dans les semaines qui ont suivi de nombreux appels pour la « déportation » des migrants illégaux.

 

Ce vocable terrible, qui évoque évidemment la période nazie, est un faux ami (si l’on peut dire d’un mot pareil….). C’est le terme couramment utilisé en anglais, d’où il est ici venu dans la presse française, pour exprimer ce que nous appelons « expulsion », de façon plus bénigne. Mais un malaise s’est installé.

 

Il y aurait en Israël 60000 migrants illégaux, ayant traversé depuis l’Egypte la frontière poreuse du Sinaï. Ils viennent pour la plupart du Soudan ou de l’Erythrée. Certains sont installés en Israël depuis plusieurs années.

 

Le droit international est clair, on ne peut pas expulser dans son pays un ressortissant qui s’y trouverait en danger pour des raisons politiques.

 

C’est très probablement le cas du Soudan et de l’Erythrée, où se trouvent des dictatures parmi les plus féroces de la planète. Mais ce ne l’est plus pour ceux qui viennent du Sud Soudan, un pays qui n’existait pas jusqu’à il y a deux ans. Ils ne courent plus le même risque que pendant la terrible guerre civile qui a précédé son indépendance. C’est pourquoi la Cour Suprême israélienne a statué que ces migrants-là étaient expulsables, ou plus exactement rapatriables, une fois leur situation particulière examinée. Un premier groupe a pris avant hier l’avion pour Juba ; ils ont reçu  l’équivalent de 1000 euros par adulte et 500 par enfant. 1000 euros, c’est le salaire annuel moyen au Sud Soudan. Chacun des migrants y sera considéré comme un investisseur potentiel, dont le pays a le plus grand besoin. Les relations entre Israël et le Sud Soudan sont meilleures que jamais, le départ de Tel-Aviv s’est accompagné de déclarations d’amitié, même si, ne soyons pas dupes, y a certainement eu de la tristesse. Rien à voir en tout cas avec une « déportation »…

 

Quant aux migrants du Soudan (du Nord…) et de l’Erythrée, qui sont les plus nombreux, la Cour pourrait statuer qu’Israël ne peut les renvoyer dans leur pays tant que la situation n’aura pas changé, ce qui peut prendre de longues années. Si tel est le cas, que fera-t-on d’eux? Comment imaginer que la détention dans des structures aménagées fermées qu’on appellera forcément des camps de concentration, soit la solution à long terme ?

 

Israël est l’état du peuple juif, et l’histoire particulière de ce petit peuple, les valeurs qu’il promeut l’obligent à accueillir l’étranger dans la détresse. Bien sûr, l’Etat doit se défendre, bien sûr, il doit construire une clôture dans le Sinaï pour empêcher les infiltrations, bien sûr, il nous est facile de donner des conseils depuis notre tranquillité extérieure. Mais il n’empêche…

 

Ces valeurs d’accueil sont parfois lourdes à porter; en hébreu le poids se dit Kavod, l’honneur.

 

Ce sera à l’honneur d’Israël de résister aux sirènes de la haine et du populisme. Cela permettra de rappeler alors que si tant de « migrants illégaux » ont cherché à parvenir en Israël depuis leur pays lointain, c’est que les humiliations ou la mort les attendaient souvent dans les pays qu’ils traversaient sans que cela émeuve grand monde…

 

Richard Prasquier

Président du CRIF