Lu dans la presse
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Publié le 20 Mars 2020

France - Confinement : premières gardes à vue pour "mise en danger de la vie d’autrui"

Selon nos informations, au moins cinq personnes ayant refusé de respecter le confinement, en Seine-Saint-Denis et dans le Pas-de-Calais, ont été placées jeudi en garde à vue sous ce motif juridique.

Publié le 19 mars dans Le Parisien

Comment convaincre les Français indisciplinés d'arrêter de jouer avec la santé des autres? Au troisième jour des mesures de confinement imposées en métropole et en outre-mer, Emmanuel Macron a reconnu ce jeudi 19 mars un demi-échec : trop de concitoyens prennent « à la légère » les consignes de restrictions de déplacements face à l'épidémie de coronavirus. « Quand je vois que des gens continuent à aller au parc, à la plage ou à se ruer sur les marchés ouverts », c'est qu'« ils n'ont pas compris les messages », a regretté le chef de l'Etat.


En Seine-Saint-Denis, les règles de circulation ont particulièrement du mal à être intégrées par la population. Si bien que, selon nos informations, les autorités ont décidé d'expérimenter une mesure forte : placer les récalcitrants en garde à vue pour… « mise en danger de la vie d'autrui »! Une infraction passible d'un an de prison et 15 000 euros d'amende. Pour le parquet de Bobigny et la préfecture de Seine-Saint-Denis, cette arme juridique est bien plus intimidante que l'amende de 135 euros en cas de sorties illégitimes durant le confinement (375 en cas de majoration).


«Essayer un outil plus dissuasif»


Quatre personnes ont été placées en garde à vue jeudi pour ce motif en Seine-Saint-Denis. Selon nos informations, au moins une autre personne a subi le même traitement à Béthune (Pas-de-Calais). Il s'agit des premières gardes à vue sur le territoire national dans le cadre du confinement. Tous les suspects ont été interpellés après avoir préalablement été verbalisés à plusieurs reprises pour être sortis sans motif valable sur une durée limitée. Parmi les cinq gardes à vue, une personne, originaire du Raincy, est ressortie dans la soirée du commissariat local avec un rappel à la loi.

« On tâtonne, alors on a voulu essayer un outil plus dissuasif, fait valoir une source judiciaire. Les Français doivent comprendre la situation sanitaire d'urgence dans laquelle nous nous trouvons. » En Seine-Saint-Denis, les chiffres de verbalisations explosent : plus de 1300 depuis le début du confinement. Ce sont essentiellement des contrôles routiers sur les grands axes, de jour. Les interventions de nuit sont réservées au maintien de l'ordre public, notamment dans les quartiers sensibles.

Rien que sur la journée de mercredi, le nombre d'amendes infligées dans le département représentait 10 % du total sur l'ensemble de la France. Une poignée de désobéissants ont par ailleurs été interpellés pour « outrage » et « rébellion » lors de contrôles de déplacements. L'un d'entre eux doit faire l'objet d'une comparution immédiate pour avoir mordu un policier. D'autres fonctionnaires se sont plaints de se faire insulter ou cracher à la figure. Aussi consigne a été donnée aux forces de l'ordre de placer systématiquement en garde à vue les citoyens inciviques ayant déjà été verbalisés au moins deux fois ou trois sur un court délai.


«On ne sait pas si on a la maladie, donc il y a un risque»


Ce durcissement judiciaire soulève toutefois des interrogations. L'infraction de mise en danger de la vie d'autrui peut-elle vraiment tenir devant un tribunal dans ce contexte d'épidémie ? Des Français seront-ils vraiment condamnés ?


« Il faudra prouver que le suspect a délibérément violé une obligation particulière de sécurité imposée par la loi, explique un magistrat de Bobigny. Or, les quatre personnes placées en garde à vue en Seine-Saint-Denis ont toutes été interpellées à proximité de personnes qu'elles pouvaient potentiellement contaminer. Et aujourd'hui, il est impossible de savoir si l'on a la maladie, donc il y a un risque. »

Dans cette logique, toute personne transgressant les règles de circulation est considérée comme potentiellement porteuse du Covid-19 − et donc représentant un danger − puisqu'on ne dépiste plus que les cas graves.


«Une fois de plus, la justice est désarmée»


Contactés, les responsables d'organisations de magistrats louent l'initiative. Mais les avis divergent sur la solidité des suites pénales. « Une fois de plus la justice est désarmée et doit faire face avec ses moyens à des situations inacceptables », constate Béatrice Brugère, secrétaire générale de FO Magistrats. Pour la représentante syndicale, il y a urgence à anticiper la multiplication des gardes à vue pour non-respect du confinement. « Il faut garantir un cadre juridique clair et sécurisé, car la mise en danger délibérée de la vie d'autrui est un délit particulier qui requiert la preuve d'une intentionnalité. ».


Pour Céline Parisot, présidente de l'Union syndicale des magistrats (USM), rien ne s'oppose à ce que de telles poursuites aboutissent. « Les messages de prévention depuis plusieurs jours sont très clairs, et ne peuvent être ignorés de personne. Quand on circule en violant délibérément une obligation, il y a intentionnalité », considère la magistrate.