Tribune
|
Publié le 16 Octobre 2013

« On est chez nous ! » Le cri de victoire des frontistes brignolais pose problème…

Par Luc Rosenzweig

 

Ceux qui comme moi, ont suivi, dimanche soir, la proclamation des résultats de l’élection cantonale de Brignoles sur BFM-TV n’ont pu manquer d’assister à un étrange spectacle. Rassemblés dans la grande salle de la mairie de la ville, sous la houlette du maire communiste chargé d’annoncer les résultats, les militants frontistes exultaient. Jusque-là, rien à dire : la liesse républicaine des vainqueurs les soirs d’élection est un signe de bonne santé démocratique. Les rites en sont bien connus, et calqués sur les sorties de match de foot lorsque son équipe favorite a mis la pâtée à ses adversaires. On agite des drapeaux, on met les doigts en V devant les caméras de télé, on réclame les champions sur l’air des lampions.

Mais au lieu de scander le banal «  On a gagné ! On a gagné ! », les militants du FN de Brignoles, après avoir massacré une «  Marseillaise », dont même Marion Maréchal-Le Pen et Bruno Gollnisch semblaient avoir honte, se sont mis à crier en rythme «  On est chez nous ! On est chez nous ! ».

 

Aucun des savants commentateurs présents sur les plateaux parisiens n’ont relevé cette innovation, et encore moins risqué d’en fournir une interprétation. Voulaient-ils ainsi signifier au maire que l’édifice municipal qui les accueillait allait, dans quelques mois, devenir la demeure officielle du héros de la soirée, Laurent Lopez, qui brigue la mairie en mars prochain ? S’il en était ainsi, ce ne serait, après tout que de la rodomontade préélectorale méditerranéenne.

 

Mais il y a fort à craindre que ce cri du cœur soit l’expression de cette « insécurité culturelle » qui pousse de plus en plus de gens à glisser un bulletin FN dans l’urne.

 

C’est grave. Que l’élection d’un conseiller général Front National soit saluée par les gens comme la récupération d’un «  territoire perdu » de la République témoigne du désarroi d’une population qui sent, à tort ou à raison, son terroir lui échapper.  Avoir l’impression de n’être plus chez soi chez soi, c’est peut-être un fantasme, une manifestation de cette « panique morale », nous assènent les sociologues de la gauche bien pensante.

 

C’est, en réalité, la manifestation populaire de cette « identité malheureuse » magistralement décrite par Alain Finkielkraut dans son essai qui vient de paraître. Ce «  chez nous » n’est pas seulement l’espace de l’intimité que tout régime démocratique garantit à ses citoyens. Il englobe aussi un espace public où ceux qui viennent d’ailleurs sont admis pour autant qu’ils ne cherchent pas à le transformer radicalement jusqu’à le rendre méconnaissable. La visibilité des femmes, l’indispensable effort d’adaptation aux normes de sociabilité de la terre d’accueil ne sont pas des exigences exorbitantes, encore moins la manifestation d’un supposé racisme. Si je me sens bien chez moi, j’aurais d’autant plus de plaisir à découvrir l’autre.