Tribune
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Publié le 29 Juin 2012

Ahmadinejad, ses partenaires sud-américains et la stabilité de la région

Par Román D. Ortiz, directeur de la compagnie de conseil Decisive Point, et Professeur au sein du département d’économie de l’université des Andes (Bogota).

 

Pour la seconde fois en six mois, le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad visite l’Amérique latine. Cette fois-ci, l’itinéraire du président de la République islamique inclue la Bolivie, le Venezuela, et le Brésil, où il participe au sommet Rio+20 – la conférence sur le développement durable organisée par les Nations-Unies.  Comme à d’autres occasions, la visite a un double objectif : un objectif officiel et un objectif réel. Officiellement, la visite d’Ahmadinejad est destinée à présenter au monde l’attachement de l’Iran à la cause de l’environnement, et à développer les relations avec ses partenaires sud-américains. En réalité, Ahmadinejad cherche de nouveau à réduire l’isolation internationale de l’Iran, à accroitre son influence en Bolivie, et à consolider ses relations avec le Venezuela avant la probable démission du président Chavez, pour des raisons de santé.

La participation de l’Iran au sommet Rio+20 fournirait matière à satire si l’on pouvait ignorer la triste réalité qu’elle cache. Alors que le régime des Ayatollahs critique le consumérisme occidental et se présente comme un gouvernement qui respecte l’environnement, la réalité en Iran ne pourrait pas être plus différente. L’Iran souffre d’une désertification extensive, les taux de pollution de l’air dans les grandes villes sont parmi les plus élevés au monde, et la majorité de la population vit sans infrastructures de traitement de l’eau.

 

Dans le même temps, le régime islamique a fait des efforts extensifs pour s’équiper d’un arsenal d’armes de destruction massive puissant et diversifié. Durant les trois dernières décennies, Téhéran s’est construit un éventail varié d’agents chimiques, dont certains ont été utilisés pendant la guerre contre l’Iraq dans les années 1980. Selon un rapport publié par l’Agence Internationale onusienne de l’Energie Atomique (AIEA), en novembre 2011, l’Iran poursuit un programme nucléaire illégal, avec pour seul objectif de produire une arme nucléaire. Le rapport révèle la preuve de projets entrepris pour concevoir et tester l’engin. Dans ces circonstances, les déclarations faites par les représentants iraniens à Rio sur l’attachement de l’Iran à la cause de l’environnement sonnent faux.

 

Coopération entre Téhéran et Caracas

 

L’escale la plus stratégique dans la visite d’Ahmadinejad est Caracas. Récemment, l’étendue de la coopération militaire entre le Venezuela et l’Iran a été rendue publique. Le 14 juin, le président Chavez a présenté à la presse un drone (UAV), nommé Arpía -001 (Harpy-001) qu’il a vanté comme étant le fruit de la coopération entre l’Iran et le Venezuela. En réalité, il s’agissait d’un Mohajer 2, un aéronef de fabrication iranienne conçu pour l’usage des renseignements. Selon des sources dans la presse, le projet était le résultat d’un accord de 28 millions de dollars entre l’entreprise nationale Compañía  Anónima Venezolana de Industrias Militares (CAVIM) et l’Organisation des Industries de l’Aviation de la République islamique (AI0). En mars 2007, dans le cadre des sanctions prévues pour contraindre Téhéran à abandonner son programme nucléaire illégal, les Nations Unies ont interdit aux Etats membres d’acquérir du matériel militaire iranien. En conséquence, la présentation d’Arpía 001 était la preuve tangible d’une violation du droit international par le Venezuela.

 

Cependant, les drones ne sont que la partie émergée de l’iceberg. En novembre 2010, le quotidien allemand Die Welt révélait l’existence de pourparlers entre Caracas et Téhéran au sujet de la construction, sur le territoire vénézuélien, d’une base binationale de lancement de fusées qui pourrait accommoder les systèmes Scud C (500 km de portée) and Shahab 3 (1500 km de portée).

 

Plus tard, il a été révélé que les responsables à Caracas avaient été invités l’université de Sharif à Téhéran, l’un des centres de recherches clés du programme de missiles iraniens. En même temps, l’entreprise iranienne Parchin Chemical Industries, en coopération avec Petroquinica de Venezuela (Pequiven)  ont établi ce que l’on soupçonne être une usine d’explosifs dans l’Etat de Morón. AIO et Parchin ont deux choses en commun. Tous les deux font partie intégrante du programme de missiles iraniens, et tous les deux sont sous le contrôle des Gardes Révolutionnaires iraniens (IRGC).  Ceci pourrait expliquer pourquoi le General Ali Hajizadeh, commandant de la force aérospatiale des Gardes révolutionnaires s’est rendu au Venezuela deux fois durant les deux dernières années. Dans ce contexte, comme il a été exposé par le quotidien espagnol ABC, la construction de larges installations sous contrôle iranien à Maracay et l’arrivée d’un nombre important de conteneurs en provenance d’Iran vers cette localité, augmentent les suspicions quand a la coopération entre Caracas et Téhéran.

 

Avec des enjeux aussi élevés, il est inévitable qu’une partie de l’agenda stratégique d’Ahmadinejad au Venezuela concerne le futur des relations Iran-Venezuela une fois que Chavez se retirera du pouvoir à cause de sa mauvaise santé. Jusqu’à présent, les relations entre le Venezuela et l’Iran ont été le projet personnel du président vénézuélien. En l’absence de Chavez, il n’y a pas de garantie que la coopération bilatérale soit maintenue. Dans ces circonstances, la République islamique a toutes les raisons de renforcer des liens avec les éléments les plus radicaux du régime vénézuélien qui souhaitent rester au pouvoir et sont préparés à réprimer l’opposition démocratique.

 

A cet effet, les Ayatollas peuvent utiliser leur expérience poussée dans le domaine obscur de la répression. La République islamique est un Etat totalitaire qui persécute ses citoyens lorsque leurs vies privées n’obéissent pas aux codes rigides du fondamentalisme. Ceci explique pourquoi les homosexuels, les femmes jugées coupables d’adultère, et les membres de minorités religieuses telle que la communauté Bahai, risquent des sentences extrêmes, y compris la peine mort. Les choses ne vont pas mieux pour l’opposition politique. Il est suffisant de rappeler comme le régime a étouffé les manifestations du « Mouvement Vert » après avoir truqué frauduleusement les résultats des élections de Juin 2009 pour assurer la réélection d’Ahmadinejad. A cette occasion, la direction de la Révolution islamique a recouru à une censure de la presse, des manifestations pro-gouvernementales orchestrées, des violences urbaines, des arrestations massives et l’usage systématique de la torture pour réduire les dissidents au silence.

 

Par conséquent, l’Iran sera une force poussant pour la radicalisation du Venezuela post Chavez. Même en prenant en compte la distance culturelle et géographique entre la république islamique et le Venezuela, qui limite l’influence de l’Iran, il faut s’attendre à ce que les Ayatollahs essaient et soutiennent les éléments radicaux de la révolution bolivienne. Ce ne serait pas la première fois que l’Iran exporte sa répression. Les Gardes Révolutionnaires iraniens aident le régime Bashar El Assad dans sa campagne contre l’opposition interne.

 

Les enjeux iraniens en Bolivie

 

En ce qui concerne sa visite en Bolivie, le leader iranien cherche à exploiter une opportunité politique. Certainement, le président Evo Morales est l’un des dirigeants sud-américains les plus inquiets de l’état de santé de Chavez. En fait, le Venezuela a été une source clé de soutien pour le gouvernement de la Paz. Si le leader vénézuélien doit quitter son poste à cause de ses problèmes de sante, il est très probable que son assistance parvienne à sa fin. C’est là que l’Iran pourrait gagner en influence – l’Iran pourrait remplir le vide laissé par le Venezuela.

 

Les intérêts iraniens en Bolivie se concentrent sur deux terrains. Premièrement, Téhéran est intéressé à exploiter de possible dépôts d’uranium et à participer à l’exploitation des ressources immenses du pays en lithium. Deuxièmement, il y a une coopération miliaire ; la République islamique a obtenu un accord préliminaire pour fournir à l’aviation de la Paz des avions iraniens et pour aider à leur maintenance. La République islamique a suffisamment de ressources financières et techniques pour atteindre ses objectifs et pour gagner une influence décisive dans une Bolivie qui a besoin d’aide. 

 

Ceci étant le cas, les diplomates et journalistes sud-américains devraient garder en tête quel est l’agenda stratégique réel du président iranien avant de l’accueillir au sommet Rio+20 : missiles au Venezuela, lithium en Bolivie et un programme nucléaire qui fera inévitablement voler en éclat le peu de stabilité restante au Moyen Orient.