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Quels sont les signes de ce manque de popularité?
Malgré tous les efforts du régime, les informations circulent et elles ne sont pas brillantes. L'apparition d'un capitalisme de marché noir a nourri la corruption et les inégalités. Le régime prêche la patience, mais le temps joue contre lui.
Les déclarations belliqueuses sont un message adressé à l'étranger, aussi.
Oui. Pyongyang espère arracher des concessions aux Sud-Coréens et aux Américains. Pour la première fois, d'ailleurs, le régime est parvenu à affecter l'économie sud-coréenne: la Bourse de Séoul a traversé un léger trou d'air et certains investisseurs étrangers ont évoqué l'hypothèse d'une délocalisation. Du point de vue de la Corée du Nord, c'est bien joué.
Kim Jong-un a-t-il les mains libres?
Sans doute pas. L'année dernière, entre la mi-juin et la mi-septembre, il a semblé amorcer quelques réformes dans l'agriculture et l'industrie. La nomination d'un Premier ministre partisan de l'ouverture est un autre signe. Nous ignorons pourquoi tout cela s'est arrêté, mais une partie de son entourage a dû s'y opposer.
Le régime peut-il être amené à abandonner l'arme nucléaire?
Jamais. En Libye, le colonel Kadhafi a accepté d'abandonner son programme nucléaire en échange de beaucoup d'argent. Aujourd'hui, il est mort, et les leaders nord-coréens en ont tiré les conclusions. Le reste du monde n'a plus le choix: nous devons accepter que la Corée du Nord est de facto une puissance nucléaire. Notre seule marge de manoeuvre, c'est le programme. Pour une somme absolument considérable, la Corée du Nord pourrait envisager de le geler. Mais cela coûtera très cher. La politique de Pyongyang repose sur deux choses: la sécurité et l'argent. Le premier objectif est de consolider le régime en place. Le second est d'attirer l'aide - du pétrole, de l'alimentation, des devises. Pour parvenir à ses fins, son meilleur atout est la carte nucléaire.
Pourquoi l'allié chinois ne pèse-t-il pas davantage sur la Corée du Nord?
C'est ce que les Soviétiques ont découvert dans les années 1960: vous pouvez contrôler la totalité de l'économie nord-coréenne, mais cela ne se traduit pas en influence politique. La raison est simple: si vous jouez de vos investissements pour menacer l'économie nord-coréenne, les dirigeants s'en fichent. Ils n'en souffrent guère. Le régime comprend que, s'il accepte des concessions, il perd bien plus.
La Corée du Nord n'a pratiquement jamais attaqué nommément la nouvelle présidente de la Corée du Sud, Park Geun-hye.
Oui. J'en déduis que la Corée du Nord s'attend à voir le Sud payer davantage. Moi aussi, d'ici à deux mois environ, je pense que Séoul accroîtra son aide humanitaire. Pyongyang aura gagné du temps.
A plus long terme, que pourrait-il arriver?
Je ne crois pas à un conflit armé, qui serait suicidaire. En revanche, je crains un effondrement rapide et désordonné du régime, avec un risque réel de guerre civile -la première du genre, dans un Etat nucléaire. Par la suite, l'unification avec la voisine du Sud, environ 50 fois plus riche, sera un processus brouillon: la plupart des Nord-Coréens n'ont pas d'éducation, pas d'expertise valable, pas d'expérience du monde. Dans une péninsule unifiée, ils deviendront des citoyens de seconde zone et le resteront leur vie entière. Les membres de la classe moyenne souffriront le plus. Un médecin nord-coréen peut être un excellent praticien, mais il emploie les techniques soviétiques des années 1960. Un ingénieur peut être épatant, mais il n'a jamais utilisé d'ordinateur... Et tout cela peut réserver des surprises. Voyez la Russie postsoviétique: aujourd'hui, Staline y est sans doute la figure historique la plus appréciée de la population. Dans un premier temps, les statues des Kim seront renversées. Plus tard, leurs portraits seront accrochés à nouveau dans les appartements. Nous avons de gros soucis devant nous. Je suis déçu de constater que peu de gens y réfléchissent et s'y préparent.