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Certes, le Livre blanc consacre des révisions significatives de notre posture, un ralentissement de la modernisation de nos forces, des baisses temporaires de capacités, et une légère réduction de notre potentiel de combat.
Mais quatre idées fausses doivent être contestées.
La première est qu'il ne s'agirait que d'un simple "habillage", une adaptation à la contrainte financière. Pourtant, la rédaction du Livre blanc a été l'occasion d'un véritable passage en revue de posture stratégique. La durée de l'exercice (huit mois au lieu de quatre initialement prévus) témoigne de sa profondeur, ainsi que de la vigueur des débats qui ont eu lieu au sein de la Commission. L'existence d'une forte contrainte financière était une donnée d'entrée, mais il aurait été irresponsable de ne pas tenir compte du contexte économique...Aucun pays au monde ne construit sa défense de manière abstraite, sans égard pour les moyens disponibles! Les scénarios budgétaires et les trajectoires possibles n'ont été connus de la Commission qu'assez tard. Et rappelons que le retour à l'équilibre financier est essentiel pour notre souveraineté nationale, d'autant que la dette publique française est majoritairement détenue par des non-résidents.
La deuxième est que les décisions prises ne seraient pas cohérentes avec le tableau des risques -qui n'ont pas diminué- et les incertitudes du contexte stratégique -qui sont grandissantes. Mais c'est se tromper d'époque. Les menaces ne sont plus d'ordre principalement militaire, et il n'y a pas de lien homothétique entre la dangerosité de l'environnement international et le niveau exact du budget du ministère de la Défense. Face au terrorisme et aux trafics, le renseignement, la police, les douanes, la justice sont en première ligne. Face aux cyber-attaques, l'effort est interministériel et relativement peu coûteux. Face au risque de déstabilisation dans la région méditerranéenne, la diplomatie et l'assistance sont nos premières armes. Le Livre blanc développe à juste titre le besoin d'une "approche globale".
La troisième, habituelle dans ce genre d'exercice, relève du "il n'y avait qu'à... ". On aurait dû, paraît-il, ponctionner la dissuasion nucléaire pour préserver les forces classiques, voire limiter les transferts sociaux au bénéfice du budget de la défense. Les forces conventionnelles pâtiraient ainsi d'une prétendue sanctuarisation de la dissuasion nucléaire. C'est vrai, la dissuasion a été préservée d'emblée -tout comme les autres grandes fonctions stratégiques, telles que le renseignement ou la prévention... Mais elle n'a jamais été exemptée des coupes successives de nos moyens budgétaires depuis vingt ans. La meilleure preuve en est que sa part dans le budget de la défense est restée à peu près la même. Et l'on oublie trop souvent que l'existence même de la dissuasion préserve le format de certaines capacités classiques nécessaires à sa crédibilité: sous-marins nucléaires d'attaque, frégates anti-sous-marines, avions de patrouille maritime, ravitailleurs en vol..
Quant à l'idée de faire "moins de social" pour faire "plus de défense", elle est apparemment séduisante tant les ordres de grandeur financiers sont différents, mais elle n'en relève pas moins d'une certaine démagogie. À ce compte-là, pourquoi évoquer la défense et pas d'autres fonctions régaliennes telles que la justice ou la diplomatie, et dont les budgets se sont réduits en peau de chagrin? Et pense-t-on sérieusement qu'il aurait été acceptable pour nos concitoyens, en cette période de grandes difficultés, de voir la défense exemptée de l'effort commun au détriment des transferts sociaux?
La quatrième idée fausse est celle du "déclassement". Pourtant, la France maintiendra l'ensemble de ses grandes aptitudes, et notamment la capacité à honorer tous ses engagements (OTAN, Golfe). Ce n'est que pour une opération aéroterrestre de très grande ampleur que nos moyens se trouveront réduits. Mais dans quel scénario réaliste aurions-nous impérativement besoin de projeter plus de 15 à 20.000 hommes? Ceux qui se lamentent sur la diminution numérique de nos capacités de projection se trompent de diagnostic stratégique: même un conflit majeur en Europe ne ressemblerait en rien aux scénarios de la Guerre froide. Et mieux vaut une force plus réduite et bien équipée que de gros bataillons mal préparés. Car l'ambition du Livre blanc de 2008 -projeter 30.000 hommes et 70 avions de combat pour une durée d'un an- n'existait que sur le papier...
On reprochera sans doute alors une "absence de choix": les coupes sont à peu près également réparties entre grandes capacités. Mais il s'agit justement d'un choix: le refus de l'abandon de telle ou telle aptitude, à l'heure où nos grands alliés s'avèrent peu enclins à garantir la disponibilité de leurs propres capacités en cas d'opérations communes. Et le Mali a tout de même montré qu'on pouvait être plus efficaces lorsqu'on est seuls...
Il est légitime de s'inquiéter de la capacité de la France à maintenir un outil de défense performant sous une telle contrainte budgétaire. Serons-nous, par exemple, toujours en mesure de maîtriser pleinement nos espaces maritimes, à l'heure de la compétition pour les ressources, la piraterie et les trafics battent leur plein? Les budgets futurs devront garantir le maintien en condition opérationnelle des forces et l'entraînement des personnels. Mais il ne faut pas se tromper d'époque: la France sera toujours en mesure de face aux défis de sécurité actuels et prévisibles.