- English
- Français
Il existe un paradoxe fondamental, au cœur même de la résurgence actuelle de l’antisémitisme sur les campus. Les Universités devraient être des centres de libre exercice de la raison et de la tolérance, mais, pourtant, aux États-Unis, elles deviennent les sources principales de diffusion de l’antisémitisme et de l’antisionisme.
Il y a de multiples façons de lutter contre ce fléau, mais l’une des approches les plus convaincantes est fondée par la Loi sur les droits civiques. L’article VI de l’Acte sur les Droits Civiques, de 1964, est l’outil juridique primordial, tout à fait disposé à protéger les étudiants juifs et israéliens à l’université, contre toute forme de discrimination. Il est particulièrement important parce que les jeunes gens sont plus vulnérables et plus faciles à intimider que les autres. L’article VI interdit la discrimination au sein de tout programme financé par un organisme fédéral, qu'elle soit fondée sur la race, la couleur de peau ou l’origine nationale. Historiquement, son principal objectif était de rompre avec la ségrégation raciale à l’école, mais il est, à présent, l’une des lois les plus importantes pour ceux d’entre nous qui luttent activement contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur.
La clé d’un usage efficace de l’article VI repose sur cette conformité aux conditions d’un financement fédéral. Virtuellement, toute université américaine est foncièrement dépendante de l’argent fédéral. Si des universités violent l’article VI, elles s’exposent à perdre le bénéfice de ces fonds. La mise en application de l’article VI est supervisée par une agence fédérale importante, qui s’appelle le Bureau des Droits Civiques (OCR) du Département américain d’Éducation. Il gère, approximativement, 7000 dossiers par an, relatifs aux droits civiques, impliquant une très large gamme de problèmes liés à la discrimination.
Jusqu’en 2004, l’OCR [le Bureau des Droits Civiques] évitait d’être confronté aux problèmes d’antisémitisme. Il s’en tenait à la position disant que l’article VI ne recouvrait pas les problèmes rencontrés par les Juifs, en définissant le Judaïsme comme religion, plutôt qu’une « race », un groupe ethnique, une couleur de peau ou une nationalité. Pourtant, l’OCR défendait les droits de beaucoup d’autres groupes, dont les femmes, les personnes handicapées, les Hispaniques, les Arabes et les Afro-Américains. Lorsque j'ai pris la responsabilité de l’OCR en 2004, j’ai publié une série de déclarations de politique générale, en annonçant que, dorénavant, l’OCR offrirait sa protection aux Juifs, aux Sikhs et aux membres d’autres groupes identifiables par des caractéristiques religieuses, ethniques ou des coutumes ancestrales.
Mes successeurs immédiats n’ont pas appliqué la loi en suivant ces directives. J’ai alors mis sur pied une campagne, de façon à convaincre l’Administration Obama d’adhérer à cette orientation politique. En 2010, l’Administration a, finalement, annoncé qu’elle l’appliquerait pleinement.
La nouvelle approche juridique requiert des responsables fédéraux et des dirigeants de l’Université qu’ils comprennent bien deux points essentiels. Le premier est que l’antisémitisme survient souvent sous le masque de l'hostilité anti-israélienne. Le second est que le Premier Amendement exige la protection de la liberté d’expression des étudiants, au sein des universités publiques. Au Centre Brandeis (www.brandeiscenter.com), nous travaillons à former les responsables à ces principes. La Loi contre la discrimination et la liberté d’expression ne sont pas des sujets en concurrence, qui doivent trouver un équilibre précaire, en jouant l’une contre l’autre. Toutes deux doivent être intégralement garanties.
Le Département d’Éducation n’a, cependant, jamais fourni de définition claire de l’antisémitisme, dans l’objectif de faire appliquer l’article VI. Le Centre Louis D. Brandeis a exhorté l’OCR d’utiliser, soit la définition de travail de l’Observatoire Européen des Phénomènes Racistes et Xénophobes (EUMC), qu’a approuvée la Commission Américaine des Droits Civiques, ou sinon, la définition, très similaire, du Département d’État des États-Unis.
La réforme de l’article VI est, également, applicable aux écoles élémentaires et secondaires et aux bibliothèques publiques. On assiste souvent à des formes de harcèlement à l’égard d’enfants juifs en âge d’être scolarisés, bien que ce ne soit pas forcément en lien avec Israël. Il est nécessaire que les administrateurs scolaires comprennent que les étudiants juifs jouissent des mêmes droits de protection fédérale que les membres de tout autre groupe.
Si on veut vraiment réaliser cette mise en application, il faut qu’il se produise deux choses. D’abord, on doit déposer des plaintes en bonne et due forme, avec l’OCR. Il est souvent difficile pour des étudiants juifs des facultés de s’élever contre l’antisémitisme, parce qu’ils craignent des représailles, de la part de l’Université ou d’autres étudiants. Deuxièmement, l’OCR doit lancer des actions concrètes. Jusqu’à présent, l’OCR a fait preuve de lenteur dans la résolution des plaintes en instance pour antisémitisme.
Actuellement, trois cas relatifs à l’article VI sont en attente, contre trois universités sur les campus de Californie – Berkeley, Irvine et Santa Cruz – ainsi que contre l’Université Rutgers dans le New Jersey. Depuis que ces plaintes ont été déposées, les administrateurs se sont montrés remarquablement plus sensibles au problème de l’antisémitisme et de l’antisionisme. D'autre part, les étudiants qui sont hostiles à la communauté juive s'avèrent plus réticents à s’impliquer dans des faits de harcèlement.
Alors que les réformes de l’article VI, en 2004 et en 2010 ont constitué une étape cruciale dans la bonne direction, il reste encore beaucoup de travail à réaliser. Le Congrès devrait interdire le harcèlement des étudiants appartenant à des minorités religieuses, tout comme il le fait en faveur des femmes, des personnes handicapées et des minorités raciales ou ethniques.
Un autre sujet problématique subsiste, à savoir que, depuis plusieurs années, le gouvernement fédéral finance des centres d’études du Moyen-Orient, situés dans les universités, afin de former les étudiants à des compétences, telles que la connaissance de l’arabe, qui est importante dans la guerre contre le terrorisme. Mais, l’essentiel de ce financement est utilisé pour soutenir des programmes inculquant des partis-pris et des perceptions déformées, qui instillent des attitudes négatives envers Israël et les États-Unis. Dans certaines universités, des professeurs endoctrinent les étudiants en les matraquant de supposées « atrocités » israéliennes. Cela risque potentiellement de se propager et d’avoir un impact sur la façon dont les étudiants juifs et israéliens sont perçus et traités par leurs pairs. Le Congrès et le Département de l’Éducation devraient entreprendre une action pour s’assurer que les impôts des contribuables ne sont pas employés à fomenter et soutenir la propagande anti-américaine et anti-israélienne, au sein ou à l’extérieur des salles de classe ».
Note :
[1] Cambridge University Press, 2010
Le Dr Manfred Gerstenfeld est membre du Conseil d’Administration du Centre des Affaires Publiques de Jérusalem, qu’il a présidé pendant 12 ans. Il a publié 20 ouvrages. Plusieurs d’entre eux traitent d’anti-israélisme et d’antisémitisme.