Tribune
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Publié le 30 Décembre 2013

Dieudonné : le casse-tête de l'interdiction

Par Paule Gonzales (photo)

 

Malgré des déclarations volontaristes, le Ministre de l'Intérieur reste confronté à un droit strict en matière de libertés publiques.

 

Ce n'est plus du fait divers ou de l'anecdote, mais presque une affaire d'État. Manuel Valls, le ministre de l'Intérieur, est sorti de la prudente réserve à laquelle s'astreint depuis toujours la Place Beauvau en matière de censure. Dans une interview au Parisien doublée d'un communiqué vendredi dernier, Manuel Valls a annoncé vouloir étudier «toutes les voies juridiques» pour interdire les «réunions publiques» de l'humoriste Dieudonné, qui «n'appartiennent plus à la dimension créative, mais contribuent (…) à accroître les risques de troubles à l'ordre public». «De déclaration en déclaration, il s'at­taque de façon évidente et insupportable à la mémoire des victimes de la Shoah.» Une circulaire devrait donc être adressée à tous les préfets afin qu'à partir du 9 janvier prochain, date de départ d'une tournée dans 22 villes en France pour l'année 2014, ces derniers se penchent sur la possibilité d'interdire le spectacle. Dimanche soir, François Hollande a soutenu l'action de Manuel Valls: «Il faut approuver et soutenir le gouvernement et le ministre de l'Intérieur par rapport à des propos ou à des actes dont le caractère antisémite ne peut pas être nié», a déclaré le chef de l'État, au cours d'une conférence de presse.

Cette annonce politique à haut risque a suivi deux événements qui se sont déroulés la semaine de Noël: la direction de Radio France a annoncé le 20 décembre qu'elle allait saisir la justice après les propos antisémites de Dieudonné visant Patrick Cohen, l'animateur vedette de la matinale de France Inter. Par ailleurs, le 25 décembre, six jeunes de 18 à 22 ans ont été mis en examen à Lyon pour leur implication dans deux «expéditions punitives» contre des personnes qu'ils accusent d'avoir fait sur Internet le salut de la «quenelle» un geste grossier, réputé antisémite ou qualifié d'«antisystème», inventé en tout cas par le même Dieudonné. Les six garçons s'étaient improvisés justiciers de la communauté juive, en participant à des violences à Lyon et Villeurbanne. Samedi soir, le footballeur Nicolas Anelka, auteur d'un doublé avec West Bromwich Albion en championnat d'Angleterre, a fêté son premier but du jour avec cette «quenelle» si controversée, précisant même dans un tweet qu'il s'agissait «juste d'une spéciale dédicace à (son) ami humoriste Dieudonné».

 

Aussi sulfureux que soit le contexte, il n'est pas certain que le coup de sang de Manuel Valls soit juridiquement effi­cace. C'est en tout cas une première pour la Place Beauvau. Jacques Verdier, l'avocat de Dieudonné, s'est empressé de faire remarquer que sur la quinzaine de recours portés par les collectivités en annulation de spectacles, tous avaient été perdus. Le Conseil d'État lui-même a déjà donné tort à la mairie d'Orvault (Loire-Atlantique). Le Mrap, qui va poursuivre en justice Dieudonné pour ses propos contre le journaliste Patrick Cohen, se dit même «dubitatif» sur la démarche de Manuel Valls. La définition de la «quenelle», elle-même, fera l'objet d'un débat judiciaire, à la suite d'une plainte déposée par le président de la Licra, Alain Jakubovicz… Lire la suite.