Tribune
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Publié le 13 Mai 2014

Esclavage, le bréviaire de la haine est toujours ouvert

Tribune de Dominique Sopo, ancien Président de SOS Racisme, publiée dans le Monde le 9 mai 2014

Créé en vertu d'une décision du Congrès en 2003, le National Museum of African-American History and Culture ouvrira ses portes en 2015. En voyant cette réalisation sortir de terre à quelques mètres de la Maison Blanche, je me disais qu'il était remarquable qu'un pays à ce point traversé dans son histoire par la question raciale – facteur de haines et de crimes – puisse s'engager avec une telle résolution dans la voie de la connaissance, de la lutte contre les préjugés racistes et de la réconciliation. Je me disais dans le même temps que nous en étions encore très loin en France et que les blocages psychologiques et politiques à un tel travail étaient bien loin d'être levés.

La loi Taubira de 2001 reconnaissant l'esclavage comme crime contre l'Humanité et instaurant une journée de commémoration des abolitions de la traite négrière et de l'esclavage avait d'ailleurs connu un destin singulier. En effet, quelques années plus tard, et prétextant d'un refus de la ''repentance'' au demeurant réclamée par personne, la loi du 23 février 2005 venait reconnaître le ''rôle positif'' de la colonisation. En outre, la journée de commémoration, finalement fixée au 10 mai de chaque année, aura quasi-constamment été un non-évènement. Il faut dire que les chefs d'Etat qui y ont participé l'ont manifestement vécue soit comme une corvée obligée, soit comme un moment dont ils ne savaient que faire. Au final, cette journée de commémoration n'a toujours pas acquis le statut d'une journée concernant la nation et devant servir à impulser un travail patient et constant de déconstruction des préjugés issus de la dévalorisation de l'image du Noir, dévalorisation dont il nous semble utile de rappeler qu'elle était consubstantielle à une mise en esclavage qui, à l'époque de l'Humanisme puis des Lumières, ne pouvait trouver sa légitimation que dans l'association du Noir à un sauvage ou à un éternel enfant.

Un tweet

Le lendemain de ces réflexions, Thierry Mariani sortait un tweet ainsi rédigé : ''L'enlèvement par secte Boko Haram rappelle que l'Afrique n'a pas attendu l'Occident pour pratiquer l'esclavage #déculpabilisation''. Nous ayant habitués à une obsession anti-africaine solidement ancrée, Thierry Mariani semble ne pas être sur le chemin de la désintoxication de la haine, du dégoût ou du mépris qui l'habite à l'endroit des immigrés d'origine maghrébine et subsaharienne, tout autant que des Antillais. Ce récent tweet en est le meilleur et très indélicat témoignage tant il ne s'adresse en aucun cas à l'Afrique, mais bien à ce que Monsieur Mariani perçoit des dangers que feraient courir pour notre pays les revendications issues de ces populations.

Pour appuyer notre propos, notons d'ailleurs d'emblée l'utilisation sordide d'un drame qui touche de jeunes Nigérianes dont Monsieur Mariani ne semble avoir cure, puisqu'il n'en parle qu'aux seules fins de légitimer ses positionnements sur la scène politique française. Quel est ainsi le grand projet de Thierry Mariani ? Rappeler que l'Afrique a pratiqué l'esclavage afin de faire cesser la « culpabilisation ». Etudions les deux vices fondamentaux de ce projet avant d'en montrer le but véritable et enfin le danger qu'il fait peser sur notre société.

Les vices donc. Le premier, c'est celui qui consisterait à vouloir mesurer ses propres crimes en prenant comme étalon ceux des autres. Que les Africains aient pratiqué un esclavage intracontinental bien avant l'arrivée des Européens, outre le fait que nul ne le nie, ne change en rien l'abomination de la traite transatlantique et de l'esclavage initié par les Européens sur le continent américain. Le second, c'est de faire croire que le travail sur l'Histoire serait une vaste entreprise de culpabilisation. Il n'aura échappé à personne que les négriers et les maîtres esclavagistes sont morts et enterrés depuis fort longtemps. Il n'aura pas plus échappé à la vigilance des militants de la reconnaissance de ces pages de l'Histoire de France que de nombreux Français vivant en métropole sous l'Ancien Régime étaient dans des situations de servage qui n'étaient pas sans rapport avec la situation d'esclave dans les Antilles, bien que n'en égalant pas en général la cruauté. Il n'aura non plus échappé à personne qu'il n'y a pas de responsabilité collective et génétique des Européens. A moins que Monsieur Mariani ait un jour été confronté à une personne lui attribuant la responsabilité de l'esclavage ? Mais parions que si cela avait été le cas, Monsieur Mariani en aurait informé l'Humanité par quelques tweets inspirés… Lire la suite.