Tribune
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Publié le 8 Avril 2014

Hongrie :"Lorsqu'on lui pave la voie, le carrosse de l'extrême droite roule plus vite"

Interview de Paul Gradvolh par Céline Lussato publiée dans le Nouvel Observateur le 7 avril 2014

Historien et maître de conférences à l'Université de Lorraine, Paul Gradvolh est spécialiste de l’histoire de l’Europe centrale. Il a notamment été responsable, durant 10 ans, des sciences sociales au Centre Interuniversitaire d’Études Hongroises (Université de la Sorbonne Nouvelle Paris III). Il revient sur les leçons du dernier scrutin législatif hongrois de dimanche 6 avril 2014.

Le parti de droite populiste hongrois Fidesz est en passe de rafler une "super-majorité" de 2/3 des sièges au Parlement avec un nombre de suffrages (2,1 millions) inférieur à ses performances de 2002 et de 2006, années où il avait perdu les élections. Comment expliquez-vous cette victoire malgré ce recul ?

Effectivement, quand on lit les résultats du Fidesz à l'aune de la vie politique hongroise, ce n'est pas une si grande victoire. Le parti sort en fait largement affaibli de ce scrutin et ne vaut sa victoire qu'à la modification de la Constitution qu'il a lui-même menée. Ainsi qu'au contrôle étroit des médias.

Le système a été extrêmement bien préparé pour assurer ces deux tiers malgré le recul significatif de l'influence du Fidesz. Préparé d'ailleurs par des lois constitutionnelles modifiées plusieurs fois grâce, déjà, à la majorité des deux tiers alors même qu'Orban, élu en 2010, n'a jamais promis de modification de la Constitution. C'est en prenant conscience des moyens que lui donnait la majorité des deux tiers qu'il a totalement refondé le système politique hongrois. Quant aux médias, Orban a fait part à la fois en Hongrie et à l'étranger de son souhait de mener une politique poutino-berlusconienne en la matière : quand on est dans l'opposition, il faut s'assurer de soutiens extrêmement forts pour dominer si possible les chaînes de télévision privée et lorsqu'on arrive au pouvoir, on met la main sur les télévisions publiques et on verrouille le secteur privé. Aujourd'hui, le secteur audiovisuel hongrois est bloqué. Certes avec une crédibilité limitée, mais qui suffit pour convaincre ou instaurer un climat de peur. Peur y compris des milieux d'affaires qui ont pris conscience des avantages, désormais, à être proche du gouvernement pour bénéficier de lois avantageuses pour leur secteur par exemple.

Il y a eu une ambiance étrange dans le pays durant la campagne avec, ou bien, ce discours de victoire totale d'Orban qui promet aux Hongrois de les emmener directement au paradis ou bien, de l'autre côté, un discours totalement catastrophique à gauche et un discours ultranationaliste très virulent à l'extrême droite qui explique que le pays est menacé de toutes parts. Dans ce climat de peur ou de désespoir, il est frappant de constater que les gens se sont moins déplacés pour voter.

Ce qui a favorisé le parti d'extrême droite, le Jobbik ?

Le Jobbik est passé de 16,7% à 20,5%, un score des plus importants pour un parti d'extrême droite en Europe lors de législatives. Et pour un parti ouvertement raciste dont les militants défilent en uniforme dans les rues de Budapest. Un score qui correspond en partie il est vrai à une baisse de la participation car les gens qui votent sont ceux qui sont mobilisés par la peur tandis que ceux qui sont pris dans le désespoir votent moins.

Le discours d'Orban en direction de l'UE "grâce à moi, l'extrême droite est réduite à la portion congrue en Hongrie" ne tient plus. La preuve est faite qu'il y a eu une croissance de l'extrême droite très forte dans le pays, ce qui est d'ailleurs logique. Nous avons d'ailleurs été témoins du même phénomène en France lors des derniers scrutins avec un discours de la droite française qui souhaite apparaître comme dure mais favorise le Front national. Lorsqu'on lui pave la voie, le carrosse de l'extrême droite roule plus vite… Lire la suite.