Tribune
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Publié le 21 Septembre 2012

Internet n'est qu'un outil, mais il est inflammable

Par David Abiker

 

Il y a moins de deux ans, le monde arabe se ­soulevait par la grâce d'Internet et des réseaux sociaux. Il s'embrase aujourd'hui à cause d'une vidéo diabolique, dont l'auteur semble lui-même abasourdi par ce que son nanar a déclenché. 

Internet n'est qu'un outil, mais il est inflammable et redoutable. A Tunis, en Egypte, en Libye, le réseau libérateur servit à témoigner, à donner des nouvelles, à faire passer des mots d'ordre émancipateurs, dont le fameux "dégage" adressé aux dictateurs des bords de la Méditerranée. Sur YouTube, de jeunes artistes révoltés postèrent des raps de résistance; sur son blog, une Egyptienne posa nue pour revendiquer le droit des femmes à disposer de leur corps; dans la rue triomphaient les foules en mal de libertés. Alors, Internet était à la jeunesse arabe ce que la TSF fut à la France libre.

 

En quelques mois, la situation s'est inversée. Il a suffi d'une vidéo diffusée sur Internet pour que l'outil vertueux du sursaut démocratique, des résistants, des étudiants révolutionnaires, des hommes et des femmes de bonne volonté se transforme en vecteur du plus contagieux des virus: le fondamentalisme religieux.

 

S'il est un trait de caractère partagé par ceux qui se sont saisis d'une vidéo aussi dérisoire qu'insultante pour manifester, brûler et assassiner, c'est bien l'hypocrisie. Qui peut contester que ceux qui réclament réparation au "gouvernement des Américains" font du propos stupide de L'Innocence des musulmans un prétexte pour régler son compte au principe même de la démocratie? Qui veut croire que les foules extrémistes et masculines amassées, ivres de rage et de ressentiment, devant les ambassades américaines, se sont éveillées spontanément, un beau matin de l'été finissant, blessées dans leur foi, paisible jusqu'au surgissement de cette cyberattaque? L'"oeuvre" à la traçabilité et aux intentions douteuses rejoindra sans doute, dans les archives complotistes, les pièces à conviction de l'antiaméricanisme et de l'antisémitisme primaires, au même rayonnage que Les Protocoles des sages de Sion.

 

Faut-il rappeler à cette minorité fanatisée de la rue arabe que ses idoles terroristes ont diffusé bien pire sur Internet et sur les écrans de télévision, sans pour autant déchaîner la haine des foules occidentales, anéanties et enferrées dans les remords du colonialisme? Les images de l'attentat géant du World Trade Center, la mise à mort ignoble du journaliste Daniel Pearl, les vidéos de lapidation et de décapitation pratiquées dans les théocraties du Golfe: les obscurantistes qui tentent de manipuler aujourd'hui l'opinion arabe, blessée dans sa foi et déprimée par les lendemains amers des révolutions, méritent la Palme d'or de l'horreur online. Leurs productions morbides sont d'ailleurs les premières à insulter, depuis des années, les valeurs de paix et de respect de l'islam.

 

L'ironie voudrait qu'on expliquât à ces âmes sensibles les vertus du contrôle parental sur les ordinateurs ou qu'on invite ces tartufes à voiler leurs écrans, ce qui soulagerait leurs femmes et leur éviterait d'inutiles colères...

 

On s'en gardera bien, de peur de passer pour un diable d'Occidental en mal de provocation, et l'on priera le Dieu que l'on veut, si l'on croit en lui, pour que ressuscitent l'esprit et l'espoir démocratiques des printemps arabes. Et pour que les foules révolutionnaires d'hier se donnent le mot sur Facebook, et "dégagent" les fauteurs de haine d'aujourd'hui.