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Ainsi, à la tête de l'État iranien règne un guide suprême, représentant de Dieu sur terre, qui possède le dernier mot sur toutes les décisions du pays, surpassant la volonté du président, et donc celle du peuple qui l'a élu.
Qui peut voter ?
50,5 millions d'électeurs iraniens (sur 75 millions d'habitants) sont appelés à élire ce vendredi 14 juin le président de la République islamique, soit le chef du gouvernement depuis la suppression du poste de Premier ministre en 1989. Peut voter tout citoyen iranien résidant en Iran, ou même à l'étranger, à condition qu'il soit âgé d'au moins 18 ans.
Qui peut se présenter ?
Première limite du scrutin. Si tout Iranien peut officiellement se porter candidat, il doit passer par le filtre du puissant Conseil des gardiens de la Constitution. Cet organe, composé de six clercs et de six juristes (généralement aussi des clercs), doit vérifier la compatibilité des candidatures avec la Constitution iranienne. Sont alors pris en compte le sérieux du candidat (celui-ci doit être une personnalité politique ou religieuse reconnue), ses antécédents judiciaires et surtout sa loyauté au principe fondamental de la République islamique : le Velayat-e faqih (la primauté du religieux sur le politique). Exit donc tous les laïques, monarchistes et autres communistes. Surtout, derrière les choix du Conseil des gardiens de la Constitution se profile la main du guide suprême, l'ayatollah Khamenei, qui nomme la moitié de ses membres et peut influencer les six autres.
Qui sont les favoris ?
Sur les 686 candidats qui se sont officiellement présentés au scrutin, seuls huit ont été retenus par le Conseil des gardiens de la Constitution. Parmi les recalés figurent deux candidats de poids. Si la mise à l'écart d'Esfandiar Rahim Mashaei, le bras droit d'Ahmadinejad, n'est pas une surprise tant ses positions nationalistes étaient haïes du clergé chiite, l'élimination de l'ancien président conservateur modéré Akbar Hachemi Rafsandjani a fait l'effet d'une bombe. En disqualifiant l'un des pères fondateurs de la République islamique, en raison de sa proximité avec les réformateurs iraniens, le guide a profondément ébranlé la légitimité de son propre régime.
Après les désistements de deux candidats qualifiés, il ne reste plus que six prétendants, dont quatre conservateurs proches du guide :
En voici les favoris :
- Saïd Jalili, 47 ans et favori du guide. Actuel secrétaire du Conseil suprême de la sécurité nationale, il est le représentant direct de l'ayatollah Khamenei dans les négociations sur le programme nucléaire iranien. Vétéran de la guerre Iran-Irak, ce diplomate extrêmement pieux bénéficie de l'appui des ultraconservateurs qui louent son intransigeance face à l'Occident.
- Mohammad Bagher Ghalibaf, 51 ans, l'efficace maire de Téhéran. Ancien commandant des Gardiens de la révolution, l'armée idéologique du régime, puis à la tête de la police, où son professionnalisme a fait forte impression, ce technocrate peut également se prévaloir de son bilan positif durant ses huit années à la tête de la mairie de la capitale, qui l'ont rendu populaire. Il est néanmoins soupçonné d'avoir été impliqué dans la répression des manifestants de juin 2009 (le Mouvement vert). Cela ne l'empêche pas d'être actuellement en tête du peu de sondages organisés par les médias officiels.
- Ali-Akbar Velayati, 67 ans, la carte "ouverture" du guide. Ministre des Affaires étrangères durant 16 ans, et désormais conseiller diplomatique du guide, ce pédiatre de formation prône plus de souplesse vis-à-vis de l'Occident dans l'épineux dossier nucléaire afin d'atténuer les sanctions internationales frappant le pays. Il ne remet toutefois pas en cause le droit de l'Iran au nucléaire civil.
- Hassan Rohani, 64 ans, le réformateur par défaut. Ce religieux conservateur modéré a reçu l'appui de l'ex-président Rafsandjani, mais surtout celui de l'ex-président réformateur Mohammad Khatami, ce qui pourrait lui assurer le ralliement d'une partie des voix du Mouvement vert et des déçus d'Ahmadinejad. Connu pour avoir dirigé les négociations nucléaires sous la présidence de Khatami, il avait accepté une suspension provisoire de l'enrichissement d'uranium, ce qui lui a valu de nombreuses critiques au sein de l'establishment iranien. Il sera remercié de son poste dès l'arrivée au pouvoir d'Ahmadinejad en 2005.
Comment s'organise le vote ?
Si une majorité simple n'est pas acquise au premier tour le 14 juin, un second tour sera organisé le 21 juin. Une hypothèse rendue plausible par l'éclatement probable des voix au premier tour entre les quatre candidats conservateurs, et cela alors que les voix réformatrices et les mécontents qui souhaitent voter reporteront à coup sûr leur choix sur l'unique candidat modéré, Hassan Rohani.
Comment s'est déroulée la campagne ?
Lancée le 23 mai dernier, la campagne, qui s'est achevée le 13 juin au matin, s'est révélée bien morne. La plupart des candidats ont opté pour des déplacements limités, et les autorités ont interdit les rassemblements dans les rues. Le maître mot a été l'économie, dont l'état s'avère catastrophique en Iran. En raison de la gestion calamiteuse des gouvernements successifs d'Ahmadinejad, mais aussi des sanctions internationales, l'Iran a connu un effondrement de sa monnaie (70 %) et une explosion de l'inflation (supérieure à 30 %). Pourtant, lors des trois débats organisés par la télévision officielle, aucun candidat n'a trouvé de recette miracle à ce fléau. Seule la question du nucléaire, liée toutefois aux sanctions économiques, a donné lieu à une passe d'armes sans précédent entre conservateurs, Ali Velayati s'étant directement attaqué au négociateur iranien Saïd Jalili, en dénonçant ses méthodes "problématiques".
Des fraudes sont-elles possibles ?
Beaucoup estiment qu'une première étape a déjà été franchie, avec l'élimination de la course de l'ex-président Rafsandjani, le seul candidat modéré qui pouvait réellement l'emporter. Mais cela n'écarte nullement la possibilité de véritables fraudes organisées si l'élu du guide ne se retrouve pas en tête à l'issue du scrutin. Des cas de fraudes (bourrage ou déplacement d'urnes, passeports votant à plusieurs reprises) ont été dénoncés en 2005 et surtout en 2009, permettant à chaque fois l'élection de Mahmoud Ahmadinejad. Pourtant, en 1997 et en 2001, c'est un candidat réformateur, Mohammad Khatami, qui l'a à chaque fois emporté, avec respectivement 70 et 78 % des suffrages. Une époque où le régime avait besoin de s'ouvrir au monde. Dans tous les cas, l'appareil sécuritaire du régime, les 100 000 Gardiens de la révolution et les quelque quatre millions de bassidjis (miliciens mobilisés par le régime) se tiennent prêts à toute éventualité.
Quel sera le poids réel du président ?
On l'a vu avec Ahmadinejad. Lorsqu'un président bénéficie du soutien entier du guide suprême, ce qui fut le cas de l'ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad lors de son premier mandat, il a davantage les coudées franches pour mener sa politique gouvernementale. Et même lorsque le chef de l'exécutif n'est pas le favori de l'ayatollah Khamenei, comme ce fut le cas pour le réformateur Khatami, ce dernier peut décider de mesures limitées en faveur de la liberté d'expression ou tenter une ouverture sur l'Occident. Étant aujourd'hui isolée sur la scène internationale et frappée de plein fouet par les sanctions, la République islamique a cruellement besoin d'assouplir sa position sur le nucléaire pour sauver son économie et pérenniser le régime. Un tel rôle pourrait être joué par le nouvel élu. Mais bien sûr, le dernier mot appartient au guide.