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Le résultat de l'élection présidentielle iranienne va-t-il permettre de sortir de l'impasse dans laquelle sont enfermées les relations entre l'Iran des mollahs et la communauté internationale? L'accession à la présidence de la République islamique de Hassan Rohani, qui avait accepté en 2004 de suspendre les activités iraniennes d'enrichissement d'uranium, ouvre-t-elle de nouvelles perspectives et contraindra-t-elle le Guide, Ali Khamenei, à davantage de souplesse dans les négociations? Il faut le souhaiter, car l'épreuve de force dure depuis plus de onze ans. Pendant tout ce temps, on a assisté à la répétition incessante du même scénario: des demandes catégoriques des grandes puissances et du Conseil de sécurité de l'ONU, suivies d'apparentes concessions iraniennes, bientôt reprises. Puis de nouvelles demandes et de nouveaux faux-fuyants.
Au-delà de cette comédie diplomatique, une réalité semble s'imposer derrière la scène: malgré les contrôles sur les exportations, malgré les actions de contre-prolifération, malgré des sanctions financières et commerciales qui ruinent son économie, l'Iran progresse vers son but, qui est de maîtriser le cycle du combustible nucléaire et de produire assez de matière fissile pour pouvoir développer une arme nucléaire lorsqu'il le décidera.
Faut-il conclure à l'échec de la diplomatie et, comme Nicolas Sarkozy il y a six ans, évoquer, en des termes trop simples, une «alternative catastrophique: la bombe iranienne ou le bombardement de l'Iran» ? Car dans les faits, il n'y a, pour l'ensemble des parties, aucune autre perspective que la négociation. L'enjeu est bien, comme François Hollande l'a souligné le 8 mars dernier à l'occasion de sa rencontre avec Shimon Pérès, de «convaincre les autorités iraniennes de prendre les négociations avec le plus grand sérieux et de trouver une issue qui permette de donner toutes les garanties que l'Iran, grand pays, n'a pas à accéder à l'arme nucléaire».
Pour l'Iran, la poursuite de l'actuelle confrontation est périlleuse: la répression ne suffira pas éternellement à contenir le mécontentement provoqué par la dégradation continue de son économie et la menace d'une action militaire s'alourdit à mesure que le temps passe. Pour les États-Unis, l'Europe et Israël, le recours à la force serait une demi-mesure et un échec sérieux. Une demi-mesure parce que l'action de force retarderait le programme iranien sans l'arrêter (on ne bombarde pas un savoir-faire technologique), un échec sérieux parce qu'elle aggraverait les fractures diplomatiques du monde, multiplierait les dangers et transformerait l'Iran de réprouvé international en victime d'une agression illégale, car non autorisée par l'ONU.
Un compromis reste possible. Il reposerait sur les éléments suivants: l'acceptation, une fois la confiance établie sur la nature exclusivement pacifique du programme iranien, d'une capacité d'enrichissement contrôlée, encadrée et plafonnée à un niveau civil, dans la ligne de l'accord proposé par le Brésil et la Turquie en 2010 ; l'application du régime renforcé de contrôle de l'AIEA sur tout le territoire de l'Iran ; la surveillance stricte des flux d'uranium quelle qu'en soit la forme. En contrepartie, les sanctions seraient levées progressivement et la coopération dans les applications nucléaires manifestement dépourvues de tout caractère militaire pourrait reprendre progressivement, conformément au TNP (traité de non-prolifération), qui reconnaît le «droit inaliénable» des États non dotés de l'arme nucléaire à conduire des activités nucléaires pacifiques, «sans discrimination».
Pour parvenir à une solution de ce type, il faut encore que les stratégies occidentales et iraniennes se rejoignent. L'Iran doit renoncer à se donner une garantie illusoire de sécurité en accédant au «seuil» de l'arme nucléaire. Les États-Unis et l'Europe doivent miser sur le combat politique et diplomatique pour faire évoluer le régime iranien.
Pour parvenir à cette convergence des stratégies, il nous paraît indispensable d'élargir le champ de la négociation et de poser clairement le problème de l'élimination de toutes les armes de destruction massive du Moyen-Orient. L'obstination iranienne et les réticences russes et chinoises à l'égard d'une accentuation des pressions et des sanctions s'expliquent aussi par le sentiment que l'Occident pratique à l'égard de l'Iran une politique des «deux poids, deux mesures». Le refus de reconnaître le problème posé par les capacités nucléaires attribuées à Israël en fait «le secret le plus mal gardé du monde». Ce n'est que récemment que la question des armes chimiques syriennes a été dramatiquement posée. Mais personne ne parle du refus de l'Égypte d'adhérer à la convention d'interdiction de l'arme chimique, Israël l'ayant signée, mais suspendant toujours sa ratification. Or, pour l'Égypte comme pour la Syrie, l'arme chimique semble être considérée comme l'instrument de la «dissuasion du pauvre».
Le principe d'une conférence internationale sur la négociation d'une zone exempte d'armes de destruction massive au Moyen-Orient a été acté lors du dernier examen de la mise en œuvre du traité de non-prolifération. Son lieu a été fixé (Helsinki), mais sa date a été repoussée à une échéance indéterminée. L'obstacle invoqué pour justifier sa non-tenue est la persistance des tensions régionales et le blocage du processus de paix israélo-palestinien. Cet argument peut sembler étrange, dans la mesure où la finalité de cette rencontre consiste justement à tenter de lever les tensions!
Il faut reconnaître que la question des activités nucléaires iraniennes n'est qu'un élément de la problématique globale de construction d'une architecture de sécurité et de coopération au Moyen-Orient, qui a été posée dès le début des années 1990. C'est ainsi que la conférence de Madrid de 1991, sur la paix entre Israël et les Palestiniens, avait permis la constitution d'un groupe de travail israélo-arabe sur le contrôle des armements et la sécurité au Moyen-Orient. Les discussions au sein de ce groupe de travail ont certes achoppé sur la question de la création d'une zone exempte d'armes nucléaires au Moyen-Orient, Israël considérant que la question du nucléaire ne pouvait être négociée que dans le cadre d'une paix globale. Mais tous les participants reconnaissaient le lien unissant l'ensemble des questions de sécurité dans la région.
La solution du problème iranien ne peut pas être trouvée dans la répétition indéfinie d'une démarche manifestement sans issue. Elle ne passe pas non plus par une nouvelle confrontation armée aux conséquences incalculables. La nouvelle configuration du pouvoir à Téhéran offre à la communauté internationale une chance à saisir sans délai. Il faut donc un changement radical d'approche, qui suppose que quatre conditions soient remplies: ne plus dissocier les activités nucléaires iraniennes de leur contexte géopolitique, s'engager véritablement en faveur d'une conférence sur une zone exempte d'armes de destruction massive au Moyen-Orient, ramener Israéliens et Palestiniens à la table des négociations, ce qui implique qu'Israël cesse de préempter un éventuel accord final par la construction de nouvelles implantations et, face au chaos qui menace, parvenir, avec toutes les parties intéressées, à un règlement politique de la crise syrienne.
* Tous deux signataires de l'appel de GlobalZero pour un désarmement nucléaire multilatéral.