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Je n'aurais certainement pas rédigé le «tweet» de Thierry Mariani dans les termes utilisés par l'ancien Ministre des Transports. D'ailleurs, je ne «twitte» pas. Je n'aurais pas non plus évoqué le thème fondamental de la déculpabilisation occidentale à la défaveur d'un drame en train de se dérouler en terre africaine.
Ayant posé cela fermement, personne ne m'empêchera de m'interroger sur le fond d'une question esclavagiste posée trop lapidairement par le lapidé et sur les causes profondes de sa lapidation.
Qui a dit: «Donnez-moi dix lignes et je vous ferai pendre?» Il en a suffi d'une seule pour que Dominique Sopo, expédie (Le Monde du 9 mai «le bréviaire de la haine») M. Mariani «esclave de sa haine» dans les limbes de l'enfer.
À ce vilain jeu de l'excommunication, pour lequel je ne pourrais évidemment jamais lutter avec un ancien Président de SOS-Racisme, il y aurait pourtant beaucoup à écrire.
À en croire en effet M. Sopo, refuser l'auto culpabilisation occidentale au motif que l'Occident n'aurait pas eu le monopole de l'esclavage serait une démonstration de mépris «à l'endroit des immigrés d'origine maghrébine, africaine et subsaharienne».
Tiens donc. À cette aune, et si par hypothèse absurde, il fallait peser systématiquement le mépris des hommes au trébuchet de leurs écrits d'un jour, le mépris de M. Sopo pour les populations visées serait, on va le voir, assez lourd.
Mais si on veut bien revenir à une réflexion plus pondérée, on pourrait poser comme postulat que l'incontestable et unilatérale culpabilisation de l'Occident dans la question esclavagiste provient de ce que seul le légitime devoir de mémoire à l'égard de la traite transatlantique est respecté, tandis que la mémoire de la traite arabique des chrétiens européens et des Noirs africains est systématiquement et délibérément occultée.
C'est bien dans ce trou de mémoire, qui n'est pas oubli, mais déni, qui fait de l'occidental l'unique esclavagiste, que se niche la culpabilisation avidement recherchée.
Et l'on peut effectivement parler d'auto culpabilisation lorsque l'on constate que la mémoire chrétienne et occidentale moderne a été littéralement effacée(1).
Mémoire gommée d'abord, et de stupéfiante manière, de l'esclavage des blancs, essentiellement chrétiens, réduits à la servitude par les Arabes à partir du XVIe siècle et jusqu'au XIXe.
La question centrale pour la présente réflexion étant de tenter de comprendre pourquoi les Occidentaux ont oublié ce dont les Noirs se souviennent si bien.
Le spécialiste incontesté de la période, Robert C. Davis («Christians slaves, Muslim masters» Palgrave Macmillan editor 2003) observe que si les historiens ont étudié minutieusement l'esclavage des Noirs africains par les blancs, ils ont ignoré superbement l'esclavage des blancs par les Arabes nord-africains.
Le professeur Davis, qui enseigne l'histoire sociale à l'université d'Etat de l'Ohio, rappelle que la côte barbaresque qui s'étend du Maroc à la Lybie fut le lieu d'une industrie prospère de rapt d'êtres humains de 1500 jusqu'à 1800.
Les capitales esclavagistes étaient Tunis, Alger, Tripoli et Sale.
Alors que la traite occidentale était cyniquement mercantile, pour les Arabes, la traite des chrétiens participait d'un esprit de revanche lié aux croisades et à la reconquista espagnole.
Quand ils débarquaient, les pirates musulmans détruisaient systématiquement les lieux de culte chrétiens.
Dès l'arrivée en Afrique du Nord, on faisait défiler chrétiens et chrétiennes dans les rues pour les humilier en les couvrant d'immondices. On rasait les nouveaux esclaves pour les soumettre davantage, y compris sexuellement. On a peine à imaginer aujourd'hui ce que fut la vie de ces hommes qui, en majorité, passèrent le reste de leur existence sur les galères où ils étaient fouettés au moyen de pénis de boeufs (le fameux «nerf de bœuf»). Le professeur Davis indique que ces Infidèles, au contraire du Code Noir, ne bénéficiaient d'aucune protection contre l'arbitraire ou la cruauté de leur maitre. On a également peine à imaginer aujourd'hui l'impuissance des nations européennes, en raison de la faiblesse de leurs marines, et à l'inverse de l'habileté manœuvrière des corsaires, à empêcher les razzias. Ce n'est qu'à partir du XVIIIe siècle que les Italiens purent prévenir les raids terrestres dévastateurs. Avant cela, le sud de l'Italie et la Sicile, si proches des rivages tunisiens, vécurent littéralement dans la terreur. Quand les pirates débarquaient, la population fuyait vers l'intérieur des terres, ce qui n'empêchait pas les Barbaresques d'aller les chercher.
Combien furent-ils? Le professeur Davis insiste sur le fait que des recherches gigantesques ont été menées pour évaluer aussi finement que possible le nombre de Noirs enlevés, mais qu'à l'inverse peu d'efforts ont été accomplis pour évaluer l'ampleur de l'esclavage des chrétiens entrepris par les Arabes. Ces derniers, au demeurant, ne conservaient pas d'archives.
Selon sa méthode d'estimation, entre 1530 et 1780, environ 1 250 000 chrétiens européens blancs auraient été déportés.
Quand les Français s'emparèrent d'Alger en 1830, précisément pour lutter contre cette piraterie, il y avait encore 120 esclaves blancs retenus en captivité dans le bagne de la ville.
À nouveau: pourquoi si peu d'intérêt, sans même évoquer de compassion, pour l'esclavage en Méditerranée alors que la traite négrière n'a plus de secret pour personne, fait l'objet, à juste raison, de commémorations assorties de lieux de pèlerinage, comme à Gorée?
Ainsi que l'explique le professeur Davis: «des esclaves blancs avec des maîtres non blancs ne cadrent pas avec le récit maître de l'impérialisme européen. Les schémas de victimisation si chère aux intellectuels requièrent de la méchanceté blanche, pas des souffrances blanches.»
D'autre part, qui peut nier sérieusement qu'alors que la traite négrière dite transatlantique, organisée par les Européens, est connue universellement, au point de passer pour unique, et a fait l'objet d'innombrables documentaires écrits ou audiovisuels basés sur la réalité ou la fiction, un silence de plomb continue de peser sur la traite orientale des esclaves noirs?... Lire la suite.