Tribune
|
Publié le 24 Octobre 2013

Marine Le Pen, le Front national et la laïcité: une référence à géométrie variable

Par Stéphane François

 

La récente polémique lancée par l’UMP concernant la réforme du droit du sol illustre bien que, après un score de 17,9% aux dernières élections présidentielles, le Front national est au centre de nombreuses attentions. Dans la perspective des municipales et des européennes, les titres dans la presse, les reportages, études et prises de positions, se succèdent pour tenter de comprendre ce phénomène. 

Terra Nova propose, à travers la note du chercheur Stéphane François, une réflexion au cœur des transformations du discours officiel du FN. Ce travail permet de mieux comprendre les incohérences du Front national et sa tentative maladroite de concilier un électorat fragmenté aux aspirations contradictoires. Plus particulièrement, le FN prétend défendre la laïcité alors même qu’il contribue à son dévoiement. Il cherche à habiller sous une apparence plus noble la constance de son islamophobie, qui est portée  à la fois par un vocabulaire millénariste, sa stratégie électorale et une vision réductrice de la France. Cette réflexion est une première étape qui sera approfondie à travers un groupe de travail dédié à cette question de la laïcité, tant au niveau de sa définition que de ses récupérations.

 

Synthèse

 

Alors que le Front national est au centre de nombreuses attentions politiques en cette rentrée, la note Terra Nova de Stéphane François analyse l’évolution des thématiques du parti en les mettant en perspective avec l’évolution de son électorat et de ses militants.

 

La parole de Marine Le Pen, plus apaisée en apparence, marque un renouveau contribuant à son succès dans les urnes. Cette transformation d’un discours qui se veut désormais « républicain » et défenseur de la laïcité masque des divergences profondes d’opinions au sein même des militants : des catholiques rigoristes, opposés au mariage gay, cohabitent avec des homosexuels qui voient eux dans le FN un moyen de se protéger de l’homophobie de certains musulmans.

 

L’adhésion de personnes aux motivations divergentes aux idées du parti peut s’expliquer par les transformations opérées dans le cadre de la stratégie « gaucho-lepéniste ». Ce « chauvinisme de l’Etat-providence », analysé par Pacal Perrineau, rapproche les travailleurs fragilisés par la mondialisation – souffrant de la désindustrialisation, des délocalisations et d’une concurrence accrue – d’un Front national qui leur propose une solidarité réhabilitée sur le fondement d’une communauté nationale restreinte. Le refus de l’étranger n’apparaît alors que comme une conséquence des tensions sur le marché du travail et permet de réfuter les accusations de racisme.

 

La jonction entre les thématiques identitaires – « l’invasion par l’immigration » – et les craintes liées à la situation du marché du travail a été opérée dès le début des années 1970 sous l’égide de Jean-Yves Le Gallou à l’origine de la théorisation de la « préférence nationale ». Cette approche permet de légitimer le refus de l’immigration, non plus par des raisons culturalistes et ethniques, mais par une argumentation à caractère économique. Cette argumentation provoquant l’adhésion des classes populaires, elle donne à Marine Le Pen l’opportunité de présenter le Front national comme le premier parti ouvrier de France. De fait, 29% des ouvriers ont voté pour elle au premier tour de l’élection présidentielle de 2012. L’origine des maux qui touchent le pays trouve donc une origine extérieure, ce qui permet de doubler la condamnation de la mondialisation du refus d’une société ouverte.

 

L’immigration en provenance de pays musulmans est accusée de menacer l’identité européenne ce qui passe par une focalisation du débat sur les signes de la présence musulmane, comme la viande halal ou encore les « mosquées cathédrales » et les « prières de rue ». La réponse apportée par les identitaires avec les apéros « saucisson pinard » oppose le terroir à cette « invasion » par une population dont l’assimilation serait impossible, comme le note Marine Le Pen en s’inscrivant ici dans une tradition de la dénaturalisation et en utilisant un vocabulaire millénariste : l’immigration musulmane serait facteur de déclin. Comme l’écrivaient Nicolas Lebourg et Joseph Beauregard, « l’islamophobie promet de réunifier un espace national présenté comme disloqué en cités de non-droit et en communautés au bord de la sécession ».

 

Face à l’« invasion musulmane », le Front national a entrepris une promotion de la laïcité dans le cadre de sa stratégie de dédiabolisation, mais il s’agit d’une « laïcité falsifiée » (Jean Baubérot). Cette modernité de Marine Le Pen ne lui est pas spécifique : des responsables de partis européens renouvellent les positions de l’extrême-droite sur certains sujets de société, adoptant par exemple une attitude moins hostile envers les homosexuels. Cette position peut ainsi gêner des militants traditionnels et catholiques pratiquants. Néanmoins, la dénonciation de l’Islam permet au parti d’attirer de jeunes catholiques qui ont grandi avec un Front national en « voie de dédiabolisation » alors que leurs aînés rejetaient sa politique : si 15% des catholiques pratiquants ont voté pour le FN en 2012, les jeunes catholiques sont 27% à l’avoir fait.

 

Le Front national est donc contraint de faire le grand écart entre ses différents électorats. La républicanisation apparente de son discours s’accompagne réciproquement d’une dénonciation de l’islam, confondu avec l’islam intégriste et accusé de porter atteinte à la laïcité. Ce rejet de l’islam, qui s’est structuré dans les mouvements apparentés au national-populisme européen, serait en passe de s’étendre Lire la suite.