Tribune
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Publié le 1 Mars 2012

Que veut l’Iran? Brève analyse du dernier rapport de l’AIEA (février 2012)

Par Bruno Tertrais, maître de recherche à la Fondation pour la Recherche stratégique

 

Depuis que l’Agence internationale de l’énergie atomique a publié son rapport du 8 novembre 2011, détaillant la dimension militaire du programme nucléaire iranien, les paramètres de la crise ont considérablement changé. Les Etats-Unis et l’Europe ont adopté et entamé la mise en œuvre progressive des sanctions financières et pétrolières contre l’Iran. Téhéran reconnait que ces sanctions affectent son économie mais nie tout impact négatif sur son programme nucléaire. Pour sa part, Téhéran a lancé une nouvelle campagne de terrorisme contre les intérêts israéliens en Asie, intensifiant le débat autour d’une possible attaque israélienne contre l’Iran.

 

Le dernier rapport de l’AIEA, daté du 24 février, contient à la fois de bonnes et de mauvaises nouvelles. 

La bonne nouvelle est qu’après plus d’une décennie d’efforts, l’Iran met toujours en œuvre une technologie dépassée, celle des centrifuges IR-1, et n’a pas été capable de passer à une nouvelle génération de machines.[1] Bien que le nombre de centrifuges IR- 1 opérationnelles continue d’augmenter, le fait qu’il n’y ait pas eu de progrès notable en matière de technologie de centrifugation implique que les sanctions, qui visent (entre autres) le matériel et les pièces de rechange nécessaires à la transition vers la nouvelle génération de machines, fonctionnent bel et bien. Sans les sanctions, l’Iran aurait certainement une capacité rapide de « break out » nucléaire.

 

La mauvaise nouvelle est double.

 

Durant les quatre derniers mois, l’Iran a pratiquement triplé sa production d’uranium enrichi à 20%. La justification officielle fournie par l’Iran est que cette augmentation est nécessaire pour répondre au besoin de ravitaillement du réacteur de recherche de Téhéran. Cependant, comme l’Iran a déjà produit assez de combustible pour les vingt prochaines années de fonctionnement de ce réacteur, cette explication est, au mieux, douteuse. Cette incohérence est aggravée par le fait que les informations fournies par l’Iran concernant la configuration et le but de la nouvelle installation souterraine de Fordoo ont changé deux fois durant les trois dernières années.

 

De plus, l’Iran refuse de fournir des informations concernant ses activités de militarisation. Après le rapport de novembre 2011, deux missions de l’AIEA ont été envoyées à Téhéran, en janvier et en février 2012, pour obtenir des informations concernant ce que l’agence appelle « les possibles dimensions militaires » du programme nucléaire iranien. Malheureusement, ces missions se sont terminées en échec. En particulier, les délégués de l’AIEA se sont vu refuser l’accès à Parchin, une installation militaire clé, où l’on suspecte que des activités de militarisation sont menées. (Selon David Sanger et William Broad du New York Times, les services de renseignement anglais et israéliens estiment que Téhéran pourrait déjà avoir pris la décision de construire une bombe.) [2]

 

Parallèlement, juste quelques jours avant que le rapport de février soit publié, Téhéran a répondu positivement à une lettre envoyée par les P5+1 (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité plus l’Allemagne). La lettre était particulièrement notable en ce qu’elle ne contenait pas les préconditions habituelles de Téhéran, mais de vagues demandes pour la reprise des négociations. Ceci pourrait être une indication que, du fait des sanctions, l’Iran est cette fois réellement intéressé à négocier.

 

Que veut l’Iran ?

 

Il y a au moins deux possibilités.

 

Il est possible que l’Iran essaye délibérément de diviser et de troubler la communauté internationale en faisant une apparente concession diplomatique, alors que dans le même temps Téhéran procède à une escalade délibérée de violence à l’étranger et accélère sa production d’uranium enrichi. Certains pourraient être tentés de voir dans l’approche de Téhéran une image inversée de celle des P5+1, mais ce serait incorrect. Les P5+1 ne se sont pas engagés dans l’assassinat délibéré d’Iraniens et, malgré le fait que les assassinats de scientifiques iraniens sont largement attribués à Israël, il y a d’autres hypothèses crédibles.

 

Mais il est aussi possible que les dirigeants iraniens soient profondément divisés quant à la conduite à adopter, et ces divisions sont peut-être amplifiées par les sanctions et la perspective des élections du 2 mars. La faction Ahmadinejad pourrait faire pression pour une reprise des négociations, s’inquiétant du fait que des sanctions plus poussées – ou une possible action militaire contre le pays -  pourrait déstabiliser le régime. La force Qods, de son côté, pourrait avoir décidé, de son propre chef ou avec l’approbation du Guide Suprême, de viser des intérêts israéliens.

 

Alors que la réponse à ces interrogations est importante en matière de diplomatie, elle ne change pas le fait que l’Iran s’approche graduellement de la capacité nucléaire. Aucun Etat non nucléaire du Traité de non-prolifération n’a investi autant dans une nucléaire militaire.

 

En somme, il est probablement encore temps d’arriver à une résolution non violente des ambitions nucléaires de l’Iran, mais ce temps devient de plus en plus court.

 

Notes:

[1] David Albright et al., ISIS Analysis of IAEA Iran Safeguards Report, Institute for Science and International Security, 24 February 2012.

[2] David E. Sanger & William J. Broad, « Iran’s output of nuclear fuel tripled », New York Times, 25-26 February 2012.