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Le conflit syrien a atteint "des niveaux d'horreur sans précédent", a alerté mardi le médiateur international en Syrie, Lakhdar Brahimi. Il risque de "contaminer" les pays voisins, où sont réfugiés des centaines de milliers de Syriens, a-t-il ajouté. Au moment où une conférence de donateurs parrainée par l'ONU s'est réunie ce mercredi au Koweït, L'Express a interrogé Marie-Pierre Allié, présidente de Médecins sans frontières.
Vous dénoncez la dissymétrie de l'aide accordée aux populations syriennes?
L'aide administrée par les grandes organisations internationales comme le Programme alimentaire mondial (PAM) ou le Comité international de la Croix Rouge (CICR) passe par le gouvernement syrien. Celui-ci ne laisse pas passer l'aide aux régions qui ne sont pas sous son contrôle. Il refuse par ailleurs l'accès à des organisations comme la nôtre en Syrie. On estime qu'un tiers de la population syrienne vit dans des zones qui ne sont plus contrôlées par les autorités de Damas. Dans ces régions, l'aide est apportée par des associations de médecins ou d'autres réseaux de solidarité syriens ainsi que des ONG comme MSF qui travaillent clandestinement. Mais cette aide est largement insuffisante par rapport aux besoins humanitaires des populations concernées. MSF et d'autres réseaux de solidarité approvisionnent en médicaments et matériel médical ces groupes de soignants, en particulier dans les secteurs proches de la frontière turque. MSF y a par ailleurs mis en place trois hôpitaux. Mais toutes ces actions sont largement entravées, en raison de l'insécurité et de la complexité de l'environnement, de la multiplicité des interlocuteurs et des acteurs notamment.
L'ONU, par la voix de Valerie Amos, responsable des affaires humanitaires, dément privilégier les zones tenues par le régime...
L'aide est limitée au regard des besoins. Mme Amos le souligne comme nous. Et, pour ce que nous en voyons sur le terrain, puisque MSF est présent pour apporter des secours médicaux dans ces zones non contrôlées par le gouvernement, nous sommes témoins de la faiblesse de l'aide internationale. Valérie Amos reconnaît elle-même que l'aide est insuffisante et n'arrive pas à atteindre certaines parties du territoire sous contrôle de l'opposition. Cela nous conforte dans notre position. Pour y arriver, il faut passer par les pays limitrophes et non par Damas. C'est un enjeu opérationnel et politique.
Y a-t-il des précédents dans cette entrave à l'accès aux populations?
Un tel acharnement contre les populations civiles de son propre pays est exceptionnel. Lors de la guerre du Soudan (1983-2005), on était parvenu à un accord avec le gouvernement de Khartoum pour qu'il autorise l'envoi de missions d'aides vers le sud rebelle (Opération Lifeline). Au Sri Lanka également, le pouvoir central avait garanti que les hôpitaux puissent continuer à fonctionner dans les régions tenues par les rebelles tamouls et que les ONG puissent circuler.
Quelles sont vos attentes?
Nous demandons que les grandes puissances et les organisations internationales mettent des actes derrière les mots. Il faut que l'aide humanitaire et médicale puisse atteindre tous ceux qui en ont besoin: abris, couvertures, énergie pour les centaines de milliers de personnes déplacées et celles qui les hébergent. Sachant que les démarches de l'ONU pour atteindre les populations sont bloquées par le gouvernement syrien, nous demandons que les opérations humanitaires transfrontalières soient reconnues, supportées, développées, y compris par les bailleurs de fonds et les agences onusiennes. Avec ou sans l'accord du gouvernement syrien. Il faut aussi que cessent les attaques contre les structures hospitalières, d'hébergement de civils ou les lieux d'approvisionnement en nourriture. Il serait également logique, puisque plusieurs pays ont reconnu la Coalition nationale syrienne comme représentante du peuple syrien en décembre dernier, qu'une partie de l'aide internationale envoyée puisse être délivrée directement dans les régions aux mains des rebelles, sans transiter par Damas.