Tribune
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Publié le 22 Juillet 2013

Syrie : les rebelles pris dans le piège des djihadistes

Par Georges Malbrunot

 

Même si des combats ont éclaté entre eux, les insurgés pro-Occidentaux, qui avaient accueilli les extrémistes religieux, n'ont pas les moyens de les soumettre.

 

Après avoir chassé les djihadistes de la ville de Ras al-Aïn, près de la frontière turque au nord de la Syrie, les forces kurdes continuaient vendredi d'affronter les groupes islamistes radicaux qui cherchent à s'emparer de certains gisements pétroliers dans la province de Hassakeh.

Les combats, qui ont fait une trentaine de morts de part et d'autre, marquent-ils le déclenchement de la guerre entre djihadistes et rebelles plus modérés soutenus par des Occidentaux qui les poussent en ce sens? Pas forcément, estiment plusieurs experts interrogés. «Les Kurdes ont un énorme avantage. Ils sont organisés, disciplinés, et ce sont de bien meilleurs combattants que ceux de l'Armée syrienne libre (ASL)», analyse un diplomate français proche du dossier. Sous-équipée, sans chaîne de commandement efficace, «l'ASL n'a tout simplement pas les moyens de mener la bataille contre les djihadistes du front al-Nosra (constitué plutôt de Syriens) et ceux de l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL, la branche locale d'al-Qaida composée, elle, d'étrangers)», renchérit un opposant en exil.

 

Les principaux affrontements, qui ont mis aux prises l'EIIL et l'ASL ces dix derniers jours, ont été le fait des djihadistes, pas de l'ASL: qu'il s'agisse de la tentative de prise d'armes dans un dépôt de l'ASL à Ras al-Hosn dans le nord de la province d'Idlib, ou du meurtre par l'EIIL de Kamal Hamami, un important chef rebelle, au nord de Lattaquié. La supériorité des djihadistes s'est encore affirmée début juillet lorsqu'ils ont tué des dizaines d'insurgés toujours dans cette zone du nord-ouest de la Syrie par où transitent de nombreux djihadistes, arrivés de Turquie.

Châtiments corporels aux «hérétiques»

 

«Nous allons les balayer», claironnait pourtant à l'agence Reuter un commandant de l'ASL peu après la liquidation de Kamal Hamami, tandis qu'un porte-parole du Conseil militaire suprême, lié à l'ASL, appelait l'Émirat islamique à leur remettre l'assassin de Hamami, tout en annonçant une interdiction des «points de contrôle sur les principaux axes routiers» et «des hommes masqués armés» à ces barrages. «Vœu pieux», répond l'opposant en exil. «Les djihadistes ont des années de combat en Irak, alors que les rebelles ont été lancés dans le grand bain, après seulement une semaine ou deux de formation en Jordanie et en Turquie par les Occidentaux.» Dans leur lutte d'influence face aux djihadistes, les insurgés disposent pourtant d'un atout: la population manifeste désormais contre les fanatiques, qui administrent des quartiers d'Alep au nord, et de Raqqa à l'est, où ces obscurantistes ont emprisonné des dizaines d'opposants laïcs ou de femmes qui ne portaient pas le voile.

 

Quand la mouvance al-Qaida s'empare d'une région, elle instaure immédiatement une commission de la charia (loi islamique) qui applique des châtiments corporels aux «hérétiques». Elle nomme également un mufti, en général un Syrien, sauf plus à l'est à Deir ez-Zor, où les Irakiens d'al-Qaida sont omniprésents. «À Alep, observe un diplomate onusien au Moyen-Orient, un mufti extrémiste a banni la cigarette et fait appliquer des amputations de doigts aux contrevenants.» Nul n'est à l'abri des «châtiments divins». À Alep toujours, se souvient le diplomate de l'ONU, deux djihadistes s'étaient disputés pour de l'argent et l'un d'eux avait «mal parlé du prophète Mahomet». Un quart d'heure après, le mufti et ses hommes sont arrivés pour savoir qui avait insulté Mahomet? C'est rien du tout, leur répond-on. «Où sont-ils?», insista le mufti. «Au deuxième étage de la maison». «Le responsable djihadiste y monta avant de redescendre avec la tête du djihadiste dans ses mains», raconte encore horrifié l'expert onusien. Les exemples de telles exactions sont légion. L'ASL pourrait en profiter, si elle parvenait à s'unir et à se structurer. Problème: «l'ASL n'attire plus la population», reconnaissent plusieurs experts.

 

Lassitude de la population

 

L'Armée libre, qui ne contrôle que 15 % environ des 100.000 à 150.000 rebelles, a trop flirté avec ces djihadistes venus du monde entier qu'elle a accueillis à bras ouverts pour combattre le «régime criminel» de Damas. Elle souffre aujourd'hui d'un discrédit auprès de nombreux Syriens, qui en arrivent parfois à demander le retour de l'armée régulière pour en finir avec l'insécurité, les pénuries de denrées alimentaires et les prix qui flambent, comme dans certains quartiers d'Alep. Preuve de sa faiblesse face à la mouvance djihadiste, qui contrôle jusqu'à 35 à 40 % des rebelles dans le nord et l'est de la Syrie: le projet d'installer un gouvernement transitoire dans ces zones «libérées» a été abandonné par ses parrains internationaux. «L'Armée libre ne pourrait pas s'imposer face aux djihadistes», constate le diplomate onusien. Résultat: on en revient à l'idée d'une simple «administration» pour gérer le nord et l'est de la Syrie. «Les gens en ont marre de tous ces groupes armés», poursuit l'expert qui conclut par une sombre prédiction. «Si la situation continue d'évoluer ainsi, il y a un risque que dans six mois, on arrive à une confrontation entre le régime et al-Qaida.» Ce qu'a toujours souhaité Bachar el-Assad.