The CRIF in action
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Published on 21 December 2011

Contribution de Luc Rosenzweig, lors de la Convention du CRIF, dimanche 20 novembre 2011 : La négation républicaine du peuple Juif

Au lendemain de sa Convention Nationale «Demain les Juifs de France», le CRIF vous propose de découvrir les contributions écrites des intervenants qui ont bien voulu nous en proposer une version écrite. Se présentant sous la forme d’un verbatim, d’un texte synthétique, ou d’une tribune en fonction du choix de leurs auteurs, elles sont publiées sur la newsletter au rythme d’une par jour. Vous pouvez aussi retrouver en vidéo l’intégralité de ces interventions sur le site de notre partenaire AKADEM. Bonne lecture !



Journaliste, ancien rédacteur en chef au « Monde ». Chroniqueur à RCJ et collaborateur régulier du site Causeur.fr. Auteur de « La France et Israël, un affaire passionnelle » (avec Elie Barnavi), « Lettre à mes amis propalestiniens », « Ariel Sharon »
Pour les gens de ma génération, celle née à la fin de la deuxième guerre mondiale ou dans l’immédiat après-guerre, la question de l’antisémitisme en France n’a pas constitué un problème majeur. J’entends par là que les conséquences de la détestation des juifs par certains Français ne provoquaient pas de perturbations insupportables dans leur existence. Bien au contraire, dans la France des « trente glorieuses », l’élitisme républicain permettait à nombre d’entre eux d’accéder à des postes et des fonctions sociales élevées, dans l’appareil d’Etat, la vie économique et culturelle. La question de l’antisémitisme à la française était un sujet de débats historiques, et très rarement un débat concernant directement la société française contemporaine. Ses manifestations publiques étaient le fait d’individus isolés ou de groupuscules plus ou moins clandestins rassemblant les nostalgiques du nazisme et de la collaboration.
Comme l’avait écrit Georges Bernanos en août 1944 « Hitler a déshonoré l’antisémitisme ». Dans les années 50 et 60, les maurassiens étaient encore présents en nombre dans l’enseignement, l’administration ou l’armée. Mais ils se faisaient discrets, et je peux témoigner d’expérience que jamais moi-même ou mes camarades juifs de terminale ou de Khâgne n’eurent à subir de traitement discriminatoire de la part de professeurs proches de l’Action Française avant guerre et de la droite la plus réactionnaire après. S’ils entretenaient dans leur for intérieur des sentiments peu amènes à l’égard des Juifs, ils notaient leurs copies avec une incontestable équité : que demander de plus ? Certains d’entre eux affichaient même un philosionisme ostentatoire pour faire oublier leur attitude complaisante, sinon plus, lors de l’éviction de leurs collègues israélites consécutive aux lois raciales du régime de Vichy d’octobre 1940.



Dans la France de ces années là, l’antisémitisme, c’était aussi ailleurs : dans les pays musulmans s’étant libéré du joug colonial, où les nouveaux dirigeants prirent le prétexte de la proclamation de l’Etat d’Israël pour susciter des pogroms contre les populations juives locales, qui furent chassées de pays où ils étaient implantés depuis de nombreux siècles, des millénaires même, comme en Irak. La France accueillit sa part de cette émigration forcée lors de son retrait d’Afrique du Nord, et ne fit aucune distinction, en matière de solidarité, entre les citoyens français contraints à quitter l’Algérie, le Maroc ou la Tunisie.



Plus tard, ce fut dans les pays soumis à la domination soviétique que l’ont pu assister persécutions antisémites camouflées sous les prétextes de « lutte contre le cosmopolitisme » ou contre le déviationnisme nationaliste sioniste », principalement en URSS et en Pologne. Le combat contre l’antisémitisme dans la France de la fin du 20ème siècle était donc principalement tourné vers la solidarité envers ces Juifs d’ailleurs, qui ne connaissaient pas le bonheur de vivre dans un pays comme le nôtre.



L’antijudaïsme chrétien reculait en même temps que la société française se déchristianisait, et ne persistait que dans une partie du clergé et des fidèles rétive a l’aggiornamento théologique de l’Eglise catholique concernant la question juive, entamé sous le pontificat de Jean XXIII et qui trouva son aboutissement dans la visite de Jean Paul II à Jérusalem.



Peut-on pour autant proclamer que l’antisémitisme et la judéophobie (deux notions qui ont été distinguées et analysées avec talent et brio par le philosophe Pierre-André Taguieff) ait été totalement éradiqués de la vie politique, sociale et intellectuelle française du début du 21éme siècle, comme on pourrait dire ou la variole ou la tuberculose appartiennent définitivement au passé de l’épidémiologie nationale ?



Ma réponse à cette question sera double : oui et non.



Oui, car il n’est aujourd’hui plus concevable qu’une quelconque forme de discrimination envers les Juifs soit constitutive des fondements d’un Etat français démocratique. L’accès éventuel d’un Juif ou d’une Juive aux plus hautes fonctions de la République se heurte à moins de réticences qu’à l’époque où Pierre Mendès-France accéda à la présidence du conseil. La popularité d’une Simone Veil, et hélas, celle de Dominique Strauss-Kahn avant les événements que l’on sait en sont des exemples parlant. Cela ne veut pas dire, naturellement, que ces personnalités n’ont, ou n’auraient pas à subir, de la part de leurs adversaires politiques des attaques à connotation antisémites : la politique est un jeu cruel qui fait flèche de tous bois, particularités physiques comme allusions aux origines. Eva Joly et Jean Vincent Placé sont, si j’ose, dire bien placés pour témoigner de la persistance de ce type de comportement…Mais justement, ces exemples montrent que ces affaires ne concernent pas que les Juifs, ce qui est, dans un sens, rassurant.



Mais je réponds également non à la question de l’éradication définitive de l’antisémitisme. Je n’insisterai pas sur le problème de l’antisémitisme dit des banlieues, liée à l’exportation en France des passions liées au conflit israélo-arabe, et qui a culminé dans l’horreur avec l’enlèvement et le meurtre d’Ilan Halimi. Cette problématique a suffisamment été évoquée, dans les médias ou le débat public, pour que je n’y fasse qu’une rapide allusion. On se reportera, sur ce sujet, avec profit au livre « Les territoires perdus de la République » de Barbara Lefebvre et Emmanuel Brenner, ou au dernier roman de Morgan Sportes « Tout, tout de suite ».



Je voudrais plutôt pointer un malentendu qui ne date pas d’hier, et dont la persistance produit des effets regrettables. Ce malentendu se fonde sur la fameuse phrase de Stanislas de Clermont-Tonnerre, prononcée devant l’assemblée constituante de 1790, où il était question de l’émancipation des Juifs de France. Cette phrase, tout le monde la connaît, pour peu qu’il ait fréquenté l’école au temps où l’on y apprenait encore un peu d’Histoire : « Il faut tout accorder aux Juifs comme individus, et rien comme nation ! ». Dans son contexte historique, cette formule était une formidable avancée, face à des réactionnaires, comme l’abbé Maury qui s’opposait radicalement à l’émancipation des juifs « déicides » et même à l’abbé Grégoire, qui concevait cette émancipation comme une « régénération » des Juifs que leur vie de ghetto auraient rendu moralement abjects…



L’admission dans la communauté nationale de chaque Juif pris individuellement, et le refus de considérer le judaïsme comme autre chose qu’une religion est resté, jusqu’à aujourd’hui le paradigme dominant de la perception de la « question juive » dans la société française.



Au 19ème siècle, on parlait de « Français de confession mosaïque », plus tard « d’israélites », pour assigner les Juifs de France à une identité religieuse. Tout cela pour éviter l’usage du mot juif, qui, on le sentait bien, conduisait à une définition de cette collectivité dépassant la seule identité religieuse, donc remettait en question le programme énoncé par Stanislas de Clermont-Tonnerre.



Ce malentendu s’est perpétué jusqu’à nos jours, et nourrit régulièrement le soupçon de « communautarisme » qui couperait les Juifs de France de la communauté nationale. Et pourtant, à la différence d’autres composantes de cette communauté, les Juifs de France se sont montrés d’une loyauté irréprochable vis-à-vis de leur nation. Ils ne sifflent pas la Marseillaise lors des matchs de football entre la France et Israël, et quelque soit le résultat du match, ils sont contents. Leur conscience d’appartenir à deux peuples, le peuple français et le peuple juif, est pour eux une richesse, et non une déchirure.



C’est pourquoi toutes les tentatives réitérées de les mettre devant un choix binaire : soit tu reste assigné à résidence religieuse au sens de la loi de 1905, soit tu commets le péché de « communautarisme », voire de double allégeance quand tu soutiens Israël, sont la version moderne d’un antisémitisme qui protège le juif individuel, mais vise à faire sortir le peuple juif de l’histoire nationale.



Photo : © 2011 Erez Lichtfeld
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