Yonathan Arfi

Président du Crif, un militant juif et citoyen

37ème Dîner du Crif - Discours du Président du Crif

16 Février 2023 | 804 vue(s)
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France

Vendredi 9 août 2024, s'est tenue la cérémonie en hommage aux victimes de l'attentat terroriste de la rue des Rosiers, organisée par le Crif en collaboration avec la Mairie de Paris. La cérémonie s'est tenue devant l'ancien restaurant Jo Goldenberg, au 7 rue des Rosiers. À cette occasion, le Président du Crif a prononcé un discours fort et engagé dans la lutte contre l'antisémitisme sous toutes ses formes, en dénonçant notamment celle qui se cache derrière la détestation de l'Etat d'Israël.

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Lundi 13 février 2023 s'est tenu le 37ème Dîner du Crif, en présence de la Première ministre Élisabeth Borne. Yonathan Arfi, Président du Crif, a prononcé un discours fort et engagé. 

 

« Madame la Première ministre,

Madame la Présidente de l’Assemblée nationale,

Mesdames et messieurs les ministres et secrétaires d’État,

Messieurs les Premiers ministres,

Monsieur le Président du Conseil Économique, Social et Environnemental,

Monsieur le représentant du Président du Sénat,

Madame la Maire de Paris,

Monsieur le représentant de la présidente de la région Île-de-France,

Mesdames et messieurs les élus,

Mesdames et messieurs les ambassadeurs,

Monsieur le Grand-rabbin de France,

Messieurs les Présidents de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, du Consistoire et du FSJU,

Mesdames et messieurs les représentants des cultes, des médias et de la société civile,

Et mesdames et messieurs les présidents de fondations, d’institutions et d’associations,

Messieurs les anciens présidents du Crif, et en particulier cher Francis Kalifat, à qui j’ai succédé,

Mesdames et messieurs,

Chers amis, je suis très heureux de vous accueillir ce soir pour le 37ème Dîner annuel du Crif.

Un Dîner du Crif. « Encore !? À quoi ça sert ? Mais pour quoi faire ? » Que ne dit-on pas de ce dîner ! Influence, connivence, manigance et même complot… Combien de fois n’avons-nous pas entendu les uns et les autres ces interrogations ?

Le Dîner du Crif ? C’est une rencontre publique. Ici, le dialogue qui s’établit depuis la première édition en 1985 n’a rien de secret. N’en déplaise aux complotistes, ni forces occultes, ni secrets d’alcôves mais un dialogue franc et ouvert où des Français discutent avec passion de leur pays.

Le Dîner du Crif est fait pour se parler. Un moment d’échange entre citoyens de bonne volonté, forces vives engagées, chacun à notre manière, pour une France plus juste, consciente de son Histoire, unie et forte de sa pluralité.

Ce dîner, c’est celui des 70 organisations représentées par le Crif, actives dans l’action sociale, l’éducation, la culture, la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, la mémoire de la Shoah, la vie juive... C’est en leur nom que le Crif s’exprime. C’est en leur nom que je m’adresse à vous ce soir.

 

Le Dîner du Crif ? Ca me fait penser à une histoire : « Savez-vous comment on célèbre une fête juive en 3 étapes ? »

  1. Ils ont essayé de nous tuer.
  2. Ils n'ont pas réussi.
  3. Mangeons !

Permettez-moi pour commencer ce soir de saluer la force et la vitalité de la démocratie, de la France et du judaïsme français.

 

Nos démocraties sont fortes lorsqu’elles sont solidaires et acceptent de se défendre !

Il y a un an, dans cette même salle, nous redoutions que l'Ukraine ne tombe en quelques jours. Aujourd’hui, la guerre est loin d’être terminée mais l’écroulement annoncé n’a pas eu lieu.

On connaît les éléments de langage des dictateurs et populistes en tous genres : la démocratie est un aveu de faiblesse, l’état de droit – une contrainte inutile, le débat public - une perte de temps.

Écoutons Lévinas, qui nous disait « La liberté consiste à savoir que la liberté est en péril ». Nous avons sous nos yeux la démonstration éclatante que l’union et détermination des démocraties surpasseront toujours la force apparente des régimes autoritaires.

Je connais les débats légitimes autour du traitement de la Mémoire de la Shoah en Ukraine. Il s’agira bien-sûr d’en discuter, la paix revenue. Mais en attendant, le Crif, comme l’immense majorité des Français, est aux côtés des Ukrainiens.

Célébrons aussi la force de la République lorsqu’elle assume d’être elle-même : universaliste, laïque, fraternelle. La République incarne l’esprit de résistance et le refus du fatalisme.

Certains la trouvent désuète ou dépassée. Je pense au contraire que la République reste un projet éminemment moderne. Elle n’est pas désarmée : elle a son « dôme de fer » : l’État de droit. Au cours des derniers mois plusieurs groupes d’extrême-droite, islamiste ou d’extrême-gauche ont été dissous par le Ministère de l’Intérieur. A mes yeux, ces dissolutions comme les expulsions d’imams radicaux affiliés aux Frères musulmans relèvent, disons-le clairement, de la légitime défense républicaine !

Je veux enfin célébrer la force et la vitalité du judaïsme français.

Regardons d’abord ce simple fait : aujourd’hui, Paris est la capitale juive de l’Europe. Jamais la France n’a compté autant de synagogues, d’écoles juives, de restaurants cacher, d’expositions, de concerts… où figurent le judaïsme, les Juifs et leur Histoire. La vie juive est foisonnante de Paris à Marseille, de Lyon à Point-à-Pitre, de Strasbourg à Bayonne. Depuis 2000 ans, et aujourd’hui plus que jamais, cette vitalité fait notre fierté. Elle constitue la plus cinglante des réponses aux antisémites de tous bords.

Ensemble, sans angélisme mais avec détermination, continuons à faire du judaïsme français un projet d’avenir !

 

Mesdames et messieurs,

Nous sommes aujourd’hui le 13 février. Il y a précisément 17 ans, Ilan Halimi était assassiné.

Je fais partie de la génération d’Ilan. Celle qui a grandi dans la France des années 80 et 90 où l’on croyait l’antisémitisme en voie de disparition dans notre pays. Cette génération qui a pris comme un coup de poing au visage sa résurgence violente au début des années 2000.

Nous étions nombreux cet après-midi pour la remise du Prix à son nom. Ensemble, nous luttons pour offrir à nos enfants un peu de l’insouciance dont nous gardons le souvenir. Que son nom et celui de toutes les victimes de l’antisémitisme nous accompagnent.

En France, des actes, des délits et des crimes antisémites sont commis régulièrement. Certains sont comptabilisés, certains sont médiatisés, d’autres ne le sont pas. En 2022, le Ministère de l’Intérieur a recensé 436 actes antisémites, 436 de trop.

Madame la Première ministre, vous avez présenté il y a quelques jours le plan de lutte contre le racisme et l’antisémitisme. J’ai entendu ce jour-là puis lors de notre rencontre combien pour vous ces fléaux trahissent la promesse républicaine. Nous partageons je crois un attachement sincère à l’universalisme, cet idéal qui clame qu’il faut à la fois plus de République et la même République pour tous. Les Français juifs seront à toujours à vos côtés dans le combat contre le racisme, l’antisémitisme et toutes les discriminations.

Mais l’universalisme n’empêche pas de voir les particularités des haines qui visent les Français. Je me réjouis que la violence contre les Tsiganes et les gens du voyage soit spécifiquement évoquée dans ce plan. C’est l’histoire d’une stigmatisation et de persécutions séculaires en Europe.

Face au racisme et à l’antisémitisme, nous n’avons pas seulement une obligation de moyens mais bien une obligation de résultats !

La haine des Juifs, elle aussi, a ses particularités. Les actes antisémites par exemple ne se concentrent pas sur des dégradations de biens ou de bâtiments mais consistent majoritairement en des menaces ou des attaques envers les individus. Si les Juifs font moins l’objet de discriminations, ils courent davantage de risque d’agressions : pour moins de 1% de la population, ils concentrent en 2022 61% des agressions physiques antireligieuses dans notre pays.

L’antisémitisme prend aussi de nouveaux visages. Transporté dans les valises idéologiques de l’islamisme, il frappe des esprits vulnérables. Niché dans les discours complotistes, il cultive les préjugés séculaires. Maquillé en haine d’Israël, il soulage les consciences de ceux qui n’osent afficher directement leur animosité envers les Juifs. Dissimulé dans le négationnisme ou plus souvent le relativisme historique, il s’attaque à la Mémoire de la Shoah. Cultivé par les partisans de la France aux Français, il prospère malgré leurs faux-semblants.

Le grand Charles Péguy, dont nous venons de célébrer les 150 ans de la naissance, faisait ce constat : « Vous les accablez sans cesse de reproches contradictoires. Au fond ce que vous voudriez, c’est qu’ils n’existent pas.»

 

Mais qui... l’antisémitisme menace-t-il vraiment ? Qui peut croire sincèrement que cela ne menace que les Juifs ? Car si l’antisémitisme commence avec les Juifs, il ne s’arrête jamais aux Juifs. C’est un sismographe de notre démocratie, comme peuvent l’être aussi la condition des femmes ou l’homophobie.

 

Jean-Paul Sartre disait : « Pas un Français ne sera en sécurité tant qu’un Juif, en France et dans le monde entier, pourra craindre pour sa vie ». Madame la Première ministre, quand nous plaidons contre l’antisémitisme, nous plaidons pour la France.

 

Chacun a un rôle à jouer : l’éducation contre les faux savoirs et les vraies rumeurs, la justice contre les récidivistes de la haine, les forces de police contre les passages à l’acte...

Mais, au-delà des pouvoirs publics, nous savons que nous ne vaincrons l’antisémitisme et la haine qu’avec l’engagement des Français.

J'ai chez moi deux affiches, publiées en 1898 à Paris, alors que l'Affaire Dreyfus déchaînait les passions. La première clame « Dreyfus est innocent », avec à l’appui de ce combat les visages de Jaurès, Zola, Clémenceau, Bernard Lazare… La seconde répond « Dreyfus est un traître », avec les visages de ministres de la Guerre dont les noms sont aujourd’hui oubliés…

Ces affiches me rappellent qu’il y a des moments de l’Histoire où deux France se sont opposées. L’une, passéiste et repliée sur elle-même. L’autre, républicaine et généreuse. Heureusement la seconde l’emporte le plus souvent sur la première. Mais les deux ont existé, et existent encore. Les forces des Lumières contre celles de l’obscurité. Aujourd’hui comme hier, le Crif mènera le combat pour que, sur tous les fronts, la lumière soit victorieuse.

 

Mesdames et messieurs,

Les institutions républicaines constituent désormais l’arène privilégiée de l’affrontement entre courants populistes et partis républicains. Cette ligne de fracture traverse à la fois la gauche et la droite. Car la République n’est ni de gauche, ni de droite. Son histoire et ses valeurs sont transpartisanes.

Mais le populisme, lui aussi, échappe à toute assignation à résidence politique.

Galvanisé par ses succès électoraux, le Rassemblement National cherche à faire oublier son histoire et à adoucir l’image de son programme, toujours fondé sur l’exclusion. Ses élus à l’Assemblée nationale jouent aux petits députés modèles mais ne peuvent empêcher leur vraie nature de se révéler au gré de sorties incontrôlées. Chassez le naturel, il revient au galop…

De son côté, la France Insoumise promet le grand soir tous les matins à ses sympathisants et vise le leadership à gauche. L’agitation y est érigée en stratégie politique. La France Insoumise, c’est l’alliance de Pascal Boniface et de Jérémy Corbyn, la complaisance clientéliste avec l’islamisme (souvenez-vous de la manifestation de 2019 avec le CCIF), le soutien à l’indigénisme, l’obsession antisioniste… : ces excès sont loin des principes de la gauche républicaine.

Je ne confonds pas ces deux partis mais, consciemment ou non, ils se font la courte échelle. Face aux populismes, les partis républicains ne doivent tolérer aucune compromission.

 

Je le dis ici à nos amis du Parti socialiste ; il ne m’appartient pas de déterminer si l’alliance électorale avec LFI au sein de la NUPES est une bonne carte électorale pour le PS. Mais je suis convaincu que c’est mauvais pour la République. Là où nous avons besoin de clarté, la NUPES met du flou en faisant de marqueurs républicains traditionnels (le rejet du populisme, la lucidité face à tous les antisémitismes...) des objets de négociation comme les autres.

Mesdames, messieurs, je le rappelle à tous ceux qui se réclament de partis et de courants universalistes et républicains : il y a des choses essentielles sur lesquelles on ne transige pas.

Pour chacun de ces populismes, le rapport aux Juifs et aux minorités doit être analysé.

Pour le Rassemblement National, la stratégie consiste à feindre d’être le défenseur des Juifs face à l’antisémitisme islamiste pour mieux passer sous silence la présence dans ses rangs de militants et candidats identitaires, ses positions sur l’abattage rituel ou le port de la kippa. Pour toutes ses raisons, nous nous sommes opposés avec force à la perspective que le RN puisse présider le groupe d’études sur l’antisémitisme à l’Assemblée nationale.

De l’autre côté de l’échiquier politique, l’engagement de façade de LFI sur les questions d’antisémitisme ou de Mémoire de la Shoah, n’a qu’un objectif : contrebalancer l’antisionisme et l’hostilité affichée au seul État juif.

Aux uns comme aux autres, nous le disons avec fermeté : dénoncer l’antisémitisme de l’autre camp politique est confortable. Mais il ne peut y avoir d’indignation sélective. Une démarche sincère commence par dénoncer l’antisémitisme venu de ses propres rangs. J’invite ces partis à balayer d’abord devant leur porte.

 

Chers amis,

Le 19 mars 2012, à Toulouse, le 9 janvier 2015 à l’Hyper Cacher, les tueurs de Juifs justifièrent leurs crimes en prétendant, je les cite, « venger les enfants palestiniens ». Quand certains, dans le débat sur la nature antisémite de l’antisionisme, se perdent en arguties, il m’arrive de leur rappeler simplement ces faits. Car c’est un fait : une part significative des menaces et des attaques contre les citoyens juifs en France est motivée par la haine d’Israël.

Entendons-nous bien : ces expressions n’ont rien à voir avec la défense de la cause palestinienne, lorsqu’elle accepte l’existence d’un État juif. Mais ceux qui la dévoient pour justifier leur antisémitisme ne sont pas motivés par le soutien aux Palestiniens mais mus d’abord par la haine des Juifs.

Ces passages à l’acte contre les Juifs n’ont pas attendu la composition de tel ou tel gouvernement israélien. Observateur attentif des débats qui traversent Israël, le Crif salue la vitalité démocratique de la société israélienne. Nous sommes convaincus qu’Israël saura, comme toujours, trouver son point d’équilibre, dans le respect des valeurs juives et démocratiques du pays, en fidélité aux principes qui ont toujours prévalu depuis 1948. J’ai confiance dans la démocratie israélienne. Et le Crif est depuis toujours attaché à ce qu’Israël et les Palestiniens trouvent le chemin de la paix, dans des modalités qu’il leur appartient de définir.

Comme dans tous les dîners, on ne peut pas inviter tout le monde. Je le regrette. Parmi ceux que nous ne pouvons pas inviter, il y a ces députés, à la gauche de la gauche, qui ont jugé bon, comme premier acte parlementaire, de faire une proposition de résolution assimilant Israël à un État d'apartheid. Il y a aussi ceux qui, à Lyon et ailleurs, veulent ériger Salah Hamouri, en icône française de la cause palestinienne. Salah Hamouri, un ancien membre du FPLP, organisation reconnue comme terroriste par l’Union Européenne. Qu’à l’Assemblée nationale comme à Lyon, le bon sens et une large mobilisation aient eu raison de ces initiatives, est rassurant. Mais que ces dérives aient pu germer dans l’esprit d’élus de la Nation est révoltant.

La vérité impose de dire qu’Israël est le seul État au monde dont certains se permettent de remettre en cause le droit à l’existence. Le seul qu’un autre pays – en l’occurrence l’Iran –, désormais au seuil de l’arme nucléaire, menace ouvertement de détruire. Le seul à ce point ostracisé dans le concert des Nations. L’un des seuls aussi, à être si souvent la cible du terrorisme. Le terrorisme est le premier obstacle à la paix et je veux ce soir avoir une pensée pour les victimes des derniers attentats, dont Acher 8 ans et Yaakov 6 ans, assassinés vendredi dernier.

Mesdames, messieurs,

Le tremblement de terre qui a tué plus de 30 000 personnes la semaine dernière nous rappelle la futilité des frontières entre les Hommes. Je veux ce soir exprimer notre solidarité aux victimes et notre soutien aux sauveteurs, en particulier aux équipes françaises et israéliennes engagées sur le terrain.

Le monde change vite. Au Proche-Orient, les Accords d’Abraham, en Iran la contestation populaire, démontrent que, même en diplomatie internationale, l’espoir n’est pas interdit.

Dans cette région du monde en plein bouleversement, je souhaite que la France puisse jouer les premiers rôles. A l’heure où certains de nos alliés traditionnels comme le Maroc ou les Émirats Arabes Unis, et demain pourquoi pas, l’Arabie Saoudite, développent des liens avec Israël, c’est l’intérêt de la France d’accompagner ce mouvement géopolitique. Disons-le clairement : il est temps que le Quai d’Orsay révise son logiciel diplomatique.

Chers amis,

L’an dernier, dans son discours au dîner du Crif, le Président de la République Emmanuel Macron, désignait Jérusalem, comme « capitale éternelle du peuple juif ». Il traduisait ainsi l’attachement indéfectible des Juifs à Jérusalem, où qu’ils vivent. Nous saluons cette déclaration, comme nous saluons le rôle joué par la France pour permettre l’accord entre Israël et le Liban sur leur frontière maritime.

 

Chers amis,

La promesse républicaine repose sur l’ambition d’une école qui émancipe et développe l’esprit critique. Oui, je crois en l’éducation. Je crois en l’éducation parce que le racisme et l’antisémitisme sont aussi le trophée de l’ignorance. Je crois en l’éducation, parce qu’en tant qu’héritier de la tradition juive, je suis convaincu que la liberté s’acquiert par le savoir.

Permettez ici d’évoquer la Mémoire de René Samuel Sirat, grand Rabbin de France entre 1981 et 1988, disparu il y a quelques jours et qui avait toujours mis l’éducation et la transmission au cœur de son judaïsme.

Madame la Première ministre,

Vous nous trouverez toujours à vos côtés pour défendre l’école face à la culture des réseaux sociaux, aux revendications identitaires, aux atteintes à la laïcité, aux entraves aux programmes… Il faut sur ces sujets manier la fermeté et la pédagogie. L’école doit redevenir le sanctuaire contre la haine, qu’elle a longtemps été. C’est à cette condition que les enfants juifs qui ont dû quitter les écoles publiques de certains quartiers, pourront un jour nous l’espérons y retourner.

Je veux saluer aussi la décision de rendre obligatoire dans tout parcours scolaire la visite d’un lieu de Mémoire. 80 ans après l’abîme, la Mémoire de la Shoah nous impose une responsabilité. Merci à Esther Sénot, qui fait chaque jour œuvre de témoignage, d’être avec nous ce soir.

Permettez-moi enfin de partager avec vous une réflexion : les programmes scolaires n’évoquent aujourd’hui les Juifs qu’à travers les Hébreux et une présentation sommaire du judaïsme, puis l’Affaire Dreyfus et la Shoah. C’est-à-dire exclusivement sous l’angle religieux ou victimaire.

Le fait juif, bien heureusement, ne se réduit pas à cela. Pourquoi ne pas évoquer la présence juive médiévale ? L’importance de la contribution des Juifs à la vie républicaine dès le 19ème siècle ? Mais aussi la vie juive d’aujourd’hui ? La connaissance du fait juif comme fait culturel positif désamorcerait, j’en suis certain, bien des préjugés et des représentations.

 

Madame la Première ministre, chers amis,

Quand je nous vois ici tous ensemble, venus d’horizons sociaux, culturels, philosophiques ou politiques si différents, je suis heureux de vivre en France. J’aime la vocation universelle de la France, où nos voix se mêlent en une harmonieuse symphonie.

La France, la première, a accordé aux Juifs l’Émancipation. Depuis ce 27 septembre 1791, et malgré l’Affaire Dreyfus et Vichy, les Juifs tissent au quotidien les liens de la fraternité dans la société française.

 

Cette fraternité, c’est l’amitié solaire qui lie Albert Cohen et Marcel Pagnol, depuis leur entrée au lycée à Marseille en 1905.

Ce sont les poèmes d’Alfred de Musset pour Rachel, la comédienne qu’il admirait tant,

C’est le village gaulois résistant à l’envahisseur d’Astérix et Obélix, né de la complicité entre René Goscinny et Albert Uderzo,

La fraternité, c’est le dialogue durable et exigeant entre deux immenses philosophes, Emmanuel Levinas et Maurice Blanchot,

C’est la longue et belle amitié spirituelle et artistique entre Marc Chagall et André Malraux,

La fraternité, c’est Hélène Lazareff, qui réfugiée à New York relit le manuscrit du Petit Prince de son ami Antoine de Saint-Exupéry,

C’est au même moment, Albert Camus et André Chouraqui, qui loin de leur Algérie natale, se retrouvent cachés en août 1942 sur le plateau du Chambon-sur-Lignon,

C’est la rencontre décisive entre François Mauriac et Elie Wiesel, qui permettra de publier « La Nuit », précoce et indispensable témoignage de la Shoah,

La fraternité, c’est l’amitié sans faille qui unit Charles Péguy et Bernard Lazare quand ils s’engagent pour Dreyfus et pour la République,

C’est le dialogue des Mémoires et la solidarité des éprouvés d’André et Simone Schwarz-Bart, de Paris à la Guadeloupe,

Ce sont toutes les rencontres, grandes ou petites, célèbres ou anonymes, nos rencontres, qui nous donnent de l’espoir pour demain et font aussi aujourd’hui comme hier, la force de la France !

Vive la République ! Vive la France !

Je vous remercie. »