Discours d'Arié Flack à l'occasion du colloque de l'OSE et du Crif le 12 novembre 2025

17 Novembre 2025 | 115 vue(s)
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France

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Antisémitisme

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Crédits photo : ©Alain Azria

 

Mercredi 12 novembre, l’OSE et le Crif ont organisé, dans la salle Colbert de l’Assemblée nationale, un colloque intitulé « Des enfants, des destins. De Buchenwald à l’OSE, se reconstruire après la Shoah », inscrit dans le cadre du 80ᵉ anniversaire de la libération des camps. À cette occasion, le président de l’OSE, Arié Flack, a prononcé un discours rendant hommage à la renaissance des enfants rescapés de Buchenwald.

 

Madame la présidente du Groupe de travail contre l’antisémitisme,

Madame la rapporteure de la commission d’enquête sur la protection de l’enfance,

Monsieur le président du Crif,

Monsieur le président du Consistoire central,

Mesdames et Messieurs les présidents et représentants du FSJU, du CASIP, de l’Ecuje, des Éclaireurs israélites de France,

Chers partenaires,

Chers survivants, chers amis,

Chers membres de la grande famille de l’OSE,

 

Nous sommes réunis aujourd’hui, dans la maison de la République.

Cette date du 12 novembre n’est pas anodine.

Hier, 11 novembre, dans toute la France, nous nous sommes rassemblés devant les monuments aux morts pour honorer la mémoire de ceux qui ont donné leur vie pour la défense de la République et de la Patrie. Mais ce matin du 12, nous sommes réunis pour célébrer la vie – les vies sauvées et les vies retrouvées.

Comme le dit le psalmiste au Psaume 30 :

« Au soir je pleurerai, mais au matin je chanterai. »

Alors tout au long de cette journée, nous allons chanter.
Chanter une victoire de la vie.
Une victoire de la vie sur la mort.
Une victoire de la foi dans l’homme sur une idéologie de haine.
Une victoire juive et républicaine sur l’antisémitisme.

La renaissance des adolescents rescapés de Buchenwald est cette histoire.
Cette renaissance fut « un temps pour rire et pour danser », mais elle n’effaça pas les larmes de sang qui l’avaient précédée.

Aujourd’hui, dans la maison où s’écrit la loi commune, dans un temps où les Français se cabrent et cherchent des antidotes à la potion antisémite que certains, à nouveau, veulent leur administrer, nous venons rappeler cette victoire – et aussi la trace de cet héritage qui nous oblige.

 

***

 

En juin 1945, 426 enfants et adolescents juifs, sortis de l’enfer de Buchenwald, arrivent en France.
Ils n’ont plus de famille, plus de maison, plus de repères – mais ils ont survécu. Les « enfants de Buchenwald », comme ils se nomment eux-mêmes, ne sont pas venus de nulle part.

Avant d’être déportés, ils étaient de petits Juifs polonais, hongrois, roumains ou tchèques. Ils étaient nés dans des shtetls ou dans les grandes villes de la Pologne juive, en Transylvanie ou en Bucovine.

Apatrides, exilés, restés pour la plupart sans famille après le désastre, ils étaient les derniers survivants d’un monde anéanti. Et c’est à l’Œuvre de Secours aux Enfants, l’OSE, que la France confie leur avenir.

À Écouis, dans l’Eure, ils découvrent des visages qui ne leur demandent rien – sinon de vivre.

Autour d’eux, des médecins, des éducateurs, des résistants juifs : Judith Hemmendinger, Gaby Cohen, Rachel Minc, Ernst Jablonski, les psychologues Alfred Brauner, Jacques Cohn, Eugène Minkowski, et encore Fanny et Georges Loinger, Marc Schiffmann.

Tous ont connu la clandestinité, la peur, les pertes. Mais ils n’ont pas renoncé à leur humanité. Ils savent que soigner un enfant, c’est lui rendre la possibilité d’aimer. Que recoudre un cœur, c’est préparer l’avenir.

Cet été 1945, ils n’ont pas seulement soigné des corps meurtris – ils ont relevé l’humanité entière.

 

***

 

Écouis, c’est un château en Normandie.
Un lieu entouré d’arbres et de silence.
C’est là que le miracle commence.

Élie Wiesel s’en souvenait :

« Des adolescents aux visages de vieillards »… et cette phrase — la première d’humanité : « Laissez-nous prendre soin de vous ».

Le plus jeune d’entre eux, Israël Meir Lau, huit ans à peine, raconte le jour où Rachel Minc les réunit sur la pelouse.
Un survivant d’Auschwitz s’avance pour parler.
Il ne peut pas.
Il pleure.
Et soudain, tous les enfants pleurent avec lui.
C’était la première fois depuis les camps.
Ces larmes-là, dit-il, nous ont rendus à la vie.

C’est cela, Écouis.
Le premier lieu où des survivants ont pu redevenir des enfants.
Le premier espace d’écoute, dans une France qui ne voulait alors entendre que des récits de Résistance.
L’OSE fut cette voix avant la parole, ce refuge avant la mémoire.

 

***

 

De ce moment fondateur est née une éthique qui guide encore chaque geste à l’OSE. Comme le rappelle le livret « A la Vie » publié en 2023 par notre directeur général Éric Ghozlan et notre historienne Cathy Hazan:

« Reconnaître la souffrance.
Accueillir les silences.
Écouter la parole.
Supporter la colère parfois – pour aider à se construire. »

C’est la pédagogie du soin.
La pédagogie du respect.
Et c’est ce qui fait de chaque éducateur, chaque infirmière, chaque psychologue de l’OSE, l’héritier direct d’Écouis.

Cet héritage, Élie Wiesel nous a aidé à le forger lui qui revenait chaque fois qu’il le pouvait à l’OSE dans la maison de Taverny où il avait grandit. Il nous disait alors :

« Ce qui blesse le plus la victime, ce n’est pas la cruauté de l’oppresseur, mais le
silence du témoin. »

Depuis plus d’un siècle, l’OSE a choisi de ne jamais être ce témoin silencieux.
Pas pendant la guerre.
Pas après.
Pas aujourd’hui.

***

 

Protéger les enfants – voilà notre mission.
C’est, en 2025, la même qu’en 1945.

Dans une France plus riche, mais qui peine à dessiner un horizon commun.
Dans une France qui cherche l’équilibre dans la répartition de sa prospérité.
Dans une France plus sensible à la différence, mais qui oublie parfois la fragilité de l’enfance.

À cette France de 2025, je veux rappeler le préambule de l’ordonnance du 2 février 1945, voulue par le général de Gaulle et instaurant le juge des enfants :

« La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de les négliger. »

Aujourd’hui, notre modèle de protection est en crise : 
pénurie de professionnels, épuisement des équipes, fragilisation des maisons d’enfants.
Certains parlent doctement de « désinstitutionnalisation », comme si vivre ensemble, partager, se reconstruire dans un collectif était une contrainte — et non une chance.

Je me souviens d’Élie Buzyn, regardant le soir tombé sur le dôme du Val de Grâce, accoudé à sa fenêtre, me confiant :

« Grandir avec d’autres, c’était se réparer ensemble. Le collectif n’était pas une privation de liberté, mais une renaissance partagée. »

Nous appelons à un sursaut. À une refondation.

Et l’OSE joint sa voix à celle de tous les acteurs associatifs qui appellent à ce que le budget 2026, actuellement en discussion dans les deux chambres, contienne un « Plan Marshall pour l’enfance », avec des moyens à la hauteur de ce que la République doit à ses enfants.

 

***

 

Mais comment parler de protection sans parler de ce qui, à nouveau, menace ?

Depuis vingt-cinq ans – et plus encore depuis le 7 octobre 2023, l’antisémitisme est de retour. Toujours aussi férocement idéologique, mais plus sinueux, masqué sous les habits de la cause juste.

L’antisémitisme auquel sont confrontés nos anciens survivants de la Shoah et nos enfants juifs n’est plus le vieil antisémitisme racialiste qui s’honorait de l’être.
Non.
L’antisémite contemporain se récrie quand on l’accuse.
Ce Tartuffe n’est trahi que par son obsession du « sioniste » et par son plaisir à égrener les patronymes juifs dès qu’il le peut.
Il accuse, il inverse, il salit.
Il déshumanise à nouveau les Juifs, cette fois au nom des droits de l’homme et de la justice.

Et jusque dans cet hémicycle, nous entendons trop souvent des voix qui justifient la haine.

Ce poison antisémite a des effets très concrets.

Sur nos anciens, survivants de la Shoah, privés, dans leurs vieux jours, de sérénité, et qui confient à nos psychologues le retour de leurs terreurs nocturnes.
Sur nos enfants, exposés à la haine sur les réseaux sociaux, tandis que, dans nos maisons de l’OSE, la coexistence et la fraternité entre enfants de toutes origines deviennent chaque jour un acte de bravoure.
Et même – et c’est un comble – sur nos personnels, qui nous confient être de plus en plus souvent interpellés, dans leur environnement social ou militant, pour travailler à l’OSE, « chez les sionistes ».

Mais nous tenons bon.
Alors oui, nous avons besoin d’une vigilance républicaine.
Mais plus que d’une vigilance, l’heure est au combat.

À l’OSE, avec Albert Camus, nous disons :

« Notre combat n’est pas de refaire le monde, mais d’empêcher qu’il se défasse. »

 

***

 

Mesdames et Messieurs,
au nom de ceux d’Écouis,
au nom de ces enfants qui ont survécu et grandi,
au nom des résistants qui les ont accueillis et aimés,
je veux dire simplement : nous ne renoncerons pas.

Les enfants de Buchenwald – Élie, Izio, David, Armand, Léon, Israël, Willy, Jacques, Georges, Henri, Albert, Charles et les autres – n’ont pas seulement survécu.
Ils ont étudié, créé, aimé, enseigné, transmis. Ils ont vécu des vies pleines, et leurs enfants et petits-enfants sont aujourd’hui parmi nous.
Nous leur devons fidélité.

C’est pourquoi, aujourd’hui comme hier, nous refusons le désespoir, nous refusons l’indifférence, nous refusons l’oubli.

Parce que protéger les enfants, c’est bâtir la République.
C’est notre mission.
C’est notre mémoire.
Et c’est aussi notre avenir.

 

Arié Flack, président de l'OSE