Yonathan Arfi

Président du Crif, un militant juif et citoyen

Discours de Yonathan Arfi à l'occasion du Dîner annuel du Crif Alsace

10 Septembre 2025 | 135 vue(s)
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France

Depuis quelques semaines, le texte épistolaire de Sholem Aleichem a investi la petite – mais non moins prestigieuse – scène du Théâtre de la Huchette, à Paris.

Hier, je me suis exprimé sur la récente vague d'antisémitisme qui secoue la France. J'ai demandé à l'ensemble de la communauté nationale de faire front contre la haine antisémite. J'ai également rappelé l'importance pour la justice française d'appliquer des peines suffisamment lourdes pour être dissuasives.

De ce 9 janvier 2015, nous voulons retenir une autre image, cette belle image. Celle de Lassana Bathily.

Lundi 20 novembre, j'ai rencontré le Président français Emmanuel Macron à Paris, accompagné d'une délégation du Congrès Juif Européen (EJC).

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Crédits photo : ©Alain Azria

 

Dimanche 7 septembre 2025 s'est tenu le Dîner annuel du Crif Alsace, en présence d'Aurore Bergé, chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations. Ce Dîner annuel était également l'occasion de féliciter la nouvelle présidente du Crif Alsace, Sophie Cohen-Elbaz, et de remercier Pierre Haas, ancien président et désormais président d'honneur du Crif Alsace. Le président du Crif a prononcé un discours à l'occasion de ce rendez-vous.

 

 

Qui, parmi nous, n’a pas l’écho autour de lui de familles juives s’inquiétant désormais à voix haute pour l’avenir de leurs enfants ? Qui, parmi nous, ne ressent pas qu’aux temps de la confiance et des certitudes ont succédé pour les Français juifs depuis le 7-Octobre des temps de doute et d’inquiétude ?

C’est avec ce sentiment de préoccupation inédit pour notre génération mais aussi de combativité républicaine que je m’adresse à vous ce soir, ici à Strasbourg, ville marquée, plus qu’ailleurs, par la longue épopée de l’histoire juive de France, la cicatrice béante de la Mémoire de la Shoah comme la promesse européenne du « Plus jamais ça ».

Merci, chers élus, militants ou simples amis, dans ces temps douloureux, de venir dire, en étant à nos côtés dans ce dîner du Crif, que les Juifs ne sont pas seuls. Votre présence, ce sentiment à travers vos gestes et vos mots, que les antisémites ne gagneront pas, parce que sinon tous les Français perdraient une part d’eux-mêmes, nous réchauffe le coeur.

C’est pourquoi, pour commencer, je tiens à saluer et remercier chaleureusement Aurore Bergé, notre invitée d’honneur, pour son engagement infatigable et courageux contre toutes les formes d’antisémitisme. Chère Aurore, c’est le troisième événement contre l’antisémitisme que nous partageons en cinq jours : merci de ta lucidité, de ta sincérité, de ta fidélité dans les temps troubles que nous traversons. Je sais que mon ami Ariel Goldmann, président du FSJU partage chacun de ces mots à ton égard.

Je veux aussi rendre hommage à Pierre Haas, président du Crif Alsace pendant huit ans, dont le mandat s’est achevé il y a quelques jours. Pierre, merci pour ta ténacité, ta fidélité à nos valeurs républicaines et ton engagement au service de la cause des Français juifs. À Sophie Cohen-Elbaz, qui a repris le flambeau, je souhaite tous mes vœux de succès et de force pour conduire l’action du Crif Alsace avec, je le sais, la même détermination que son prédécesseur.

Chers amis,

Je viens signer ce soir une reconnaissance de dette : la dette que le judaïsme français a envers Strasbourg, l’Alsace et le judaïsme alsacien. L’Alsace, cette terre au judaïsme fertile, d’une richesse et d’une profondeur historique sans égale en France : c’est ici que s’est forgée une part essentielle de l’histoire du judaïsme français. Ici que des penseurs juifs, des dirigeants d’institutions, des rabbins, des militants juifs ont su mieux que quiconque conjuguer une identité profondément juive et résolument républicaine. Parmi mes illustres prédécesseurs, permettez-moi de rappeler le souvenir de Jean Kahn et Théo Klein, tous deux issus de ce si singulier judaïsme alsacien.

Une autre de ces consciences, Marc Bloch, qui sera bientôt panthéonisé, eut un jour face à l’antisémitisme cette formule sur son identité de Français juif : « La France, cette patrie dont je ne saurais déraciner mon cœur ».

« Déraciner » : le mot répond avec quatre-vingt ans d’anticipation aux haineux qui ont choisi de tronçonner l’arbre en hommage à Ilan Halimi. Car au fond, quels que soient les nouveaux prétextes qu’ils invoquent et même si leurs inspirations ont changé, les antisémites d’aujourd’hui sont aussi des héritiers des antisémites d’hier.

Qu'on tronçonne l'arbre en hommage à Ilan Halimi ou qu'on tague d'un « Free Palestine » les voitures de touristes juifs, l’ingrédient principal est désormais souvent le même : une approche obsessionnelle et caricaturale du conflit au Proche-Orient, à travers l’essentialisation de tous les Juifs, assignés à répondre d’événements qui se déroulent à 3 000 kilomètres. La haine d'Israël est devenue le carburant de la haine des Juifs. Le prêt-à-penser est devenu le moteur du prêt-à-haïr.

Les derniers mois ont été vertigineux : ainsi, le rabbin Elie Lemmel a été victime de deux agressions violentes, à une semaine d’intervalle, tout comme le rabbin d’Orléans quelques semaines avant lui. Des agressions ou des insultes à l’égard de rabbins ont aussi eu lieu à Levallois ou encore récemment à Nice. En s’attaquant à des rabbins, elles dévoilent les intentions de leurs auteurs : s’en prendre au visage le plus emblématique de la présence juive dans une ville.

Cette haine prospère non seulement dans les actes violents, mais aussi dans les exclusions symboliques, comme celle de Raphaël Enthoven, censuré d’un festival du livre à Besançon. Ou encore, le scandaleux refus d’accès à un parc de loisirs en août dernier pour 150 enfants israéliens.

Face à cette poussée de haine, le défi auquel nous faisons face est simple :
J’ai confiance dans les garde-fous institutionnels ou politiques de notre pays face à la poussée de haine quand elle vise explicitement les Juifs. Beaucoup d’alliés résisteront. Mais y aura-t-il la même clairvoyance pour résister à cette haine quand elle se cache derrière la haine d’Israël ? La France va-t-elle devenir, sous nos yeux, un pays ou plutôt une société antisioniste ? Car le risque c’est bien que règne demain en France et en Europe une hégémonie culturelle de l’obsession et de la détestation d’Israël.

Or, quoi que chacun pense de la guerre à Gaza ou des choix politiques du gouvernement israélien, quels que soient les sentiments légitimes vis-à-vis de la détresse de populations civiles que personne ne peut ignorer, ceux qui imaginent que les Juifs pourraient vivre sereinement dans un pays dont la norme sociale deviendrait un jour radicalement hostile à Israël se trompent.

Il suffit pour cela de regarder l’Histoire : n'oublions jamais que c'est la haine d'Israël qui a chassé les Juifs du monde arabo-musulman après 1948. N'oublions jamais que les politiques ayant de fait chassé les Juifs du bloc soviétique après-guerre étaient officiellement antisionistes et non explicitement antisémites.

Ainsi les débats aujourd’hui ne concernent pas seulement le regard des Français sur le gouvernement ou la politique d’Israël mais bien la condition des Juifs à terme dans la société française.

Dans ce contexte, la mobilisation des pouvoirs publics pour sécuriser les synagogues et les lieux de vie juive en concertation avec les institutions de la communauté ou encore les efforts en terme d'éducation et de Mémoire de la Shoah, sont réels. Ton engagement, chère Aurore, avec les Assises de la lutte contre l’antisémitisme en est une illustration emblématique. Il est de notre responsabilité collective de le rappeler, à ceux en France mais aussi en Israël ou aux États-Unis, qui l’ignorent ou l’oublient.

Mais si beaucoup est fait pour protéger les Juifs, – et nous en sommes reconnaissants –, grandit en revanche l’idée que, trop souvent, nous ne sommes plus compris par une partie de la société française.

Pourquoi ne sommes-nous pas plus nombreux à nous inquiéter de l’emprise de La France insoumise (LFI) sur la gauche française ? Je le dis à nos amis de la gauche républicaine, les alliances avec LFI sont une compromission. La gauche française doit se démélenchoniser comme la gauche britannique s’est décorbynisée !

Notre inquiétude face à la reconnaissance prématurée d’un État palestinien par la France dans quelques semaines est aussi un des symptômes de cette incompréhension. Alors répétons-le : notre rejet d'une reconnaissance prématurée d'un État palestinien est d'abord celle de citoyens français républicains inquiets de voir ce geste de notre diplomatie donner raison à LFI et son hystérisation du débat public sur Gaza depuis le 7-Octobre. Inquiets de voir ce symbole tragique être brandi comme une victoire par le Hamas alors qu’il détient encore des otages à Gaza. Inquiets de voir ce geste discréditer à terme le dialogue direct entre Israéliens et Palestiniens, seule option pour parvenir un jour à la paix.

Chers amis,

En cette période de rentrée, je veux aussi avoir une pensée pour la jeunesse. La jeunesse, c’est l’âge de l’insouciance. Celui des promesses d’avenir et des horizons paisibles. Mais pour beaucoup de jeunes Français juifs, c’est aujourd’hui l’âge des craintes face à la stigmatisation antisémite, quand 16 % des élèves de onze à dix-huit ans en France assument refuser d’être amis avec un camarade parce qu’il est juif.

Avoir douze, quinze ou vingt ans en France après le 7-Octobre, c’est aussi devoir faire face à la vague de haine sur les réseaux sociaux où les Juifs sont massivement affublés du qualificatif mensonger et infamant de « génocidaires ».

Les artistes, en particulier ceux qui s’adressent aux plus jeunes, devraient être un vecteur d’apaisement. Mais quand des artistes cèdent à la démagogie et au conformisme ambiant, quand certains se joignent à des foules chauffées à blanc par LFI, ils trahissent leur vocation et cultivent l’indignation sélective.

Il y a deux semaines, le festival Rock en Seine, a accueilli le groupe irlandais Kneecap, dont les chanteurs ont récemment hurlé sur scène « Vive le Hamas ! Vive le Hezbollah ! ». Quel message envoie-t-on à notre jeunesse ?

En mai, lors du Festival de Cannes, 300 artistes du monde entier signaient une tribune pour dénoncer le silence qui entoure, disent-ils, « l’horreur de Gaza ». S’émouvoir de la détresse de populations civiles est toujours légitime. Mais pourquoi ces 300 indignés n’ont-ils pas eu de mots pour les victimes du 7-Octobre ou pour les autres conflits dans le monde ?

Ce silence sur le Soudan ou la Syrie fait écho à celui des artistes français aujourd’hui quand certains d’entre eux, dont Amir ou Enrico Macias, font l’objet de campagnes de haine et d’appels au boycott. Leur faute : refuser de se joindre au cortège de ceux qui instrumentalisent la détresse des civils palestiniens pour accabler Israël. Heureusement, ils ne réussiront à faire taire leur voix ni celle du public, nombreux, qui continue de les acclamer.

Chers amis, l’avenir n’est pas écrit. Il dépendra de notre résistance. De l’Alsace où le judaïsme n’a jamais cessé de rayonner, comme partout en France, soyons le rempart contre la haine.

Alors que face à la haine de ceux qui ont tronçonné l’arbre en mémoire d’Ilan Halimi, des mairies, par dizaines, plantent des arbres pour lui rendre hommage, me reviennent les mots d’Albert Cohen sur son identité juive, « je suis un arbre de Judée dans la forêt de France ».

Mesdames et messieurs, je le redis avec force : personne ne nous déracinera. Ni les islamistes, ni les antisionistes ni je ne sais quelle catégorie d’antisémites.

Les craintes, les aspirations, les espoirs des Français juifs traduisent les craintes, les aspirations, les espoirs de tous les Français. Œuvrer contre l’antisémitisme, comme lutter contre le poison de toutes les haines, c’est toujours rassembler les Français autour de leurs valeurs essentielles.

Chers amis,

Comme vous, je suis lassé d’entendre que seules les pensées radicales pourraient aujourd’hui mobiliser les foules, que la victoire de l’extrême droite serait inéluctable : en France, j’en suis convaincu, celles et ceux qui aspirent à une République forte, laïque et universaliste, constituent le collectif le plus puissant du pays. Aux citoyens engagés qui se sentent seuls, notre dîner rappelle que nous, les républicains solitaires, sommes les plus nombreux.

Chers amis,

N’en déplaise aux populistes, la République n’a pas dit son dernier mot. Redonner aux Français juifs confiance dans l’avenir, c’est restaurer la confiance pour tous les Français, en la France et en la République.

Je vous remercie.

 

Yonathan Arfi, président du Crif